Numéro 34 :

Les interviews de l’AMA-UCL

Katia Cherton et Catherine Magnette


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Nous avons estimé que cet interview de deux jeunes généralistes travaillant en association pouvait intéresser les jeunes diplômés et les étudiants en médecine.  Katia et Catherine se sont connues en 1999, à l’occasion d’une journée de rencontre à la carte organisée par l’AMA-UCL.1
 
 

AMA : A quel moment avez-vous décidé de devenir généraliste ?

K.C. : Très tôt dans ma vie.  J’ai d’abord pensé être infirmière ;  mais, connaissant mon caractère, n’aimant pas être commandée, j’ai estimé qu’il valait mieux choisir la médecine et peut-être l’homéopathie qui me rendait plus indépendante : je pouvais faire ce que j’estimais juste, sans devoir en rendre compte à personne, si ce n’est à mes patients.

AMA : Dès lors, vos études ont été orientées dès le départ vers la médecine générale ?

K.C. : Je me suis posé des questions en premier doctorat, parce que l’image du généraliste qui nous était donnée à l’époque (1992) n’était pas attrayante et faisait croire que les compétences du généraliste étaient très limitées.

AMA : Cela a changé depuis lors.

K.C.: J’hésitais donc à l’époque parce que je tenais à faire un travail de qualité et je songeais à la psychiatrie parce que ce que j’apprécie en médecine, c’est la relation.  Mais j’ai compris qu’en médecine générale, on peut faire de la psychiatrie de première ligne.  On rencontre souvent des patients qui ont un problème, mais n’iront jamais voir le psychiatre.  Le généraliste peut écouter et aider les gens dans des situations difficiles sans qu’il y ait nécessairement médicalisation du problème.
A l’époque où j’ai fait mes études, les stages en médecine générale  ne commençaient qu’après le choix.  J’ai participé à l’Audit que la Faculté a conduit et l’une de nos revendications était d’avoir des contacts avec la médecine générale avant de choisir sa carrière.  On en a tenu compte.

AMA : Après vos études, vous êtes-vous installée tout de suite ?

K.C. : Oui et aussitôt dans l’optique d’une association.  Je suis entrée dans un groupe préexistant, mais la médecine qu’on y pratiquait ne correspondait pas à mes attentes.

AMA : Avez-vous fait d’emblée le choix entre la campagne et la ville ?

K.C. : Je me suis d’abord installée à la campagne en pensant que ce serait ce que je préférerais.  Ca a été le « choc des cultures » : la grande différence entre l’image de gens polis, heureux et rationnels que nous donnent les médias et la réalité, bien différente.  Ici, à Namêche, où je me suis installée dans un second temps, c’est une région semi-rurale et les gens sont plus ouverts: c’est une population ouvrière.  Ils approchent mieux la différence : ils ont voyagé, ils se sont mélangés, ils ont rencontré des étrangers.

AMA : Cette expérience décevante à vos débuts ne vous a pas fait rejeter la médecine en maison médicale ?

K.C. : Pas du tout.

AMA : Mais vous avez choisi une entente à deux.  Comment assurez-vous la continuité des soins ?

K.C. : Au début, j’étais disponible 24 heures sur 24, sept jours sur sept.  J’ai abandonné les week-ends, une fois que nous nous sommes mis en ménage, mon conjoint et moi ;  quand j’ai eu des enfants, j’ai dû repenser mes soirées.  Je travaillais en consultation jusqu’à 20-21 heures : pour les enfants c’était ingérable.  J’ai œuvré pour qu’il y ait une garde de soir dans la région, parmi les 8 médecins… Malheureusement, les médecins qui participent à cette garde n’ont pas accès aux dossiers, mais nous avons convenu de toujours laisser un résumé de dossier au domicile de nos malades ;  en outre nous sommes presque toujours joignables par téléphone.
Actuellement, je suis associée à Catherine Magnette : nous assurons chacune une soirée sur deux, c’est-à-dire la consultation du soir et les visites de la soirée et de la nuit.  Un jour sur deux, je peux m’occuper des enfants à partir de 17 heures.  Ainsi la vie de famille est acceptable.

AMA : Au point de vue financier, cela ne va pas trop mal ?

K.C. : Mon conjoint travaille et je n’ai donc pas seule la charge familiale.  J’ai eu des problèmes ces quatre dernières années : mon fils aîné a été gravement malade, j’ai moi-même été malade … Pendant la maladie de mon fils, j’ai arrêté de travailler pendant trois mois.  Une amie m’avait dit : « Comme médecin, tu es remplaçable, comme maman, tu ne l’es pas. »  Mais les fins de mois sont un peu difficiles : les travaux attendent.  Il faut choisir entre une qualité de vie familiale et un revenu important... Par rapport aux hommes, on a une chance.  Mon petit garçon avait un an : chaque fois qu’il me voyait, il hurlait, parce qu’il savait que j’allais repartir.  C’est alors que j’ai décidé de m’associer.  Si on fait des enfants, c’est pour s’en occuper et espérer qu’ils soient heureux.  Une femme s’en rend compte très tôt, l’homme plus tard.

AMA : Parfois trop tard !

K.C. : J’ai eu un premier échec d’association : ce qui est une catastrophe financière.  Dans mes choix, la priorité c’est la qualité de la médecine.  Je considère aussi qu’il est très important de travailler en équipe, notamment avec les paramédicaux : une infirmière, un kiné ou un pharmacien peuvent vous téléphoner en vous disant : « je ne suis pas tout à fait à l’aise quant à votre prescription » : c’est précieux, on peut en discuter et parfois il apparaît que vous avez commis une erreur.

AMA : Vous avez tout à l’heure parlé d’homéopathie : la pratiquez-vous ?

K.C. : J’ai suivi deux années de formation sur les trois années prévues au Centre Liégeois d’Homéopathie à Esneux : j’ai dû abandonner parce que je ne parvenais plus à gérer mon activité médicale et familiale, les cours, mes problèmes de santé, … Je fais de l’homéopathie à minima.

AMA : C’est toujours le minimum en homéopathie !

K.C. (rit…) : Je ne propose pas systématiquement l’homéopathie…mais j’adresse parfois des patients à un confrère homéopathe.  Il y a des situations particulières dans lesquelles je ne peux pas ne pas le proposer : par exemple le gosse qui est malade tout le temps : il sort d’une cure d’antibiotiques pour en commencer une autre…Bien entendu, je n’arrête pas systématiquement les traitements de fonds.  Il est vrai que j’ai eu de francs succès dans des cas assez désespérés.  Je ne dis pas que je suis homéopathe : je ne fais pas de publicité.  Mais le bouche à oreille m’amène toutefois des malades.

AMA : Les résultats de l’homéopathie ne sont-ils pas qu’une forme de psychothérapie ?

K.C. : Je ne le crois pas : j’ai des exemples de guérison très troublants.  Ma mère a une cholangite sclérosante : on lui a proposé un traitement à l’Imuran.  J’ai refusé et l’ai adressé à l’homéopathe avec lequel je travaille habituellement.  Les tests hépatiques se sont normalisés dans les deux mois qui ont suivi.  Je suis les tests hépatiques ;  à chaque fois qu’ils redeviennent anormaux, je l’envoie chez l’homéopathe  et chaque fois ils se normalisent.  On peut dire qu’il y a une composante psychologique.  C’est possible !  Mais entre mes granules et l’imuran, je préfère mes granules !
Ma formation de base n’est pas mauvaise, mais, comme en médecine classique, il faudrait une mise à jour régulière.

AMA : Il y a des intégristes parmi les homéopathes ?

K.C. : Oui, bien sûr.  Je ne recommanderais pas n’importe quel homéopathe, comme je ne recommanderais pas n’importe quel spécialiste.

AMA : Changeons de sujet.  La sécurité ?

K.C. : Par rapport aux agressions, je prends des précautions.  J’ai un secrétariat téléphonique vers lequel mes appels sont déviés quand je suis dans un « trou » 2 et eux peuvent me biper.  Car je suis une « parano » de l’urgence ratée.  Cette communication marche dans les deux sens : si j’ai une inquiétude dans un endroit où je vais, je leur donne un délai ;  ils m’appellent et si je ne réponds pas, ils envoient les…, la police.  On n’a jamais dû en arriver là.  Si l’on n’a pas peur, on risque moins.
Quelqu’un a essayé une fois de m’agresser, mais il n’a pas eu de chance : je le connaissais, je savais que c’était un « couillon », je savais qu’il frappait sa femme mais qu’il ne frappait que s’il était certain d’avoir le dessus.  Quand j’ai vu son regard, moi qui suis une sportive de salon, je l’ai attrapé par le col et je l’ai collé au mur 3.  Il faisait deux fois mon poids, mais il a été pris par surprise et il m’a laissée sortir.  J’ai eu de la chance.
Il y a d’autres types de sécurité, notamment la sécurité financière, car nous sommes dans une situation précaire.  Je travaillais énormément, j’ai eu des problèmes de santé aigus.  Mon assurance n’intervient qu’après un mois de carence ; les patients partent parce que vous êtes malade…  Les situations dans lesquelles je me suis trouvée n’auraient pas posé de problèmes financiers à un salarié : même licencié, il a pour lui le chômage.
J’ai fait un choc hémorragique à la naissance de mon fils : j’ai retravaillé huit semaines après.  Je me suis traînée pendant un an : la galère !  Un salarié aurait, de toute façon, eu trois mois de congé de maternité…Puis, je suis retombée malade...

AMA : Avez-vous des spécialités dans votre pratique ?  ECG ? Sutures ?

K.C. : J’ai un électrocardiographe que je n’utilise qu’en préopératoire ou en urgence.  Je déteste la petite chirurgie.  Par contre, je me consacre au suivi de l’allaitement maternel : j’ai suivi une formation, après avoir allaité  mes deux enfants.  Pour le premier, j’ai fait ce qu’on nous a dit à l’Université, c’est-à-dire pas grand chose.  J’ai introduit les biberons pour pouvoir travailler : comme je l’ai fait avant 5 mois, je n’ai plus eu de lait.  On m’a dit « c’est normal, tu es fatiguée » et je le croyais aussi. Avant mon second bébé, j’avais vaguement lu un bouquin du docteur Thirion. Ce qui ne m’a pas empêché de souffrir de crevasses pendant 3 semaines.  J’ai enfin consulté une amie spécialisée dans ce problème. En 24H, tout allait bien ! A cette occasion, je me suis rendu compte que j’ignorais pas mal de choses, mais qu’en outre j’avais des idées fausses.  Ce qui m’a décidé à suivre la formation donnée par le Dr Coussement de l’institut Co-naître (www.co-naitre.net).  Allaiter un bébé est un plaisir extraordinaire et aujourd’hui nous sabotons les allaitements, par incompétence.

AMA : C’est souvent la reprise du travail qui est difficilement compatible avec l’allaitement.

K.C. : Je suis indépendante.  Mon enfant de 18 mois est allergique au lait de vache : je continue à l’allaiter et je travaille un plus grand nombre d’heures que la plupart des salariés.  C’est donc possible.  Il y a un minimum de notions théoriques à connaître pour que cela marche.  Beaucoup de professionnels de la santé donnent de mauvaises informations par ignorance, comme moi il y a peu de temps.  C’est triste. D’où l’importance de se former…comme toujours.

AMA : Et les loisirs, la culture, les spectacles, les vacances ?

K.C. : C’est un problème pour n’importe quel couple avec des enfants en bas âge : c’est plus difficile encore pour un généraliste.  Certes, je peux demander à ma collègue de me remplacer à charge de revanche, prendre une baby-sitter… Nous avons été deux fois au cinéma l’année dernière.

AMA : Le sport ?

K.C. : Je demande à mes malades d’en faire.  Mais je n’en fais pas.  Il faut dire que le sport ne me donne pas énormément de plaisir.  Par contre, j’aime le jardinage… J’ai choisi cette maison d’une part parce qu’il était possible de parquer et d’installer un cabinet, mais aussi parce qu’il y avait un jardin.  Un jardin, c’est un bonheur.  Je lis.  Mais pas des bouquins sérieux, bien que j’aie beaucoup d’intérêts pour d’autres lectures… mais pour le moment, la lecture c’est mon Valium… Mes livres sont en quelque sorte extraterrestres : Harry Poter par exemple.  Quand je suis tracassée, pour penser à autre chose, je prends un bouquin.

AMA : Le mot de la fin !

K.C. : Si les médecins veulent garder une qualité de vie, il faut favoriser une collaboration entre médecins généralistes.  Je n’étais pas très syndicaliste, mais je pense que les médecins doivent acquérir une certaine responsabilité politique. Des réformes nous tombent dessus sans arrêt : elles ne sont pas nécessairement mauvaises, si elles sont cohérentes. Je crois que si nous ne nous  syndiquons pas, la profession de généraliste sera vouée à disparaître.  Dans ma région, il n’y a plus beaucoup de médecins qui pratiquent une médecine générale pure et dure.  Pour moi, par exemple, l’allaitement pourrait être une porte de sortie de la médecine générale.  Je pourrais très bien ne faire plus que cela. Parmi mes confrères, je perçois une sorte d’épuisement, de ras le bol, d’incertitude quant à leur avenir. 

AMA : Le médecin était mieux considéré jadis alors qu’il était moins efficace.

K.C. : Oui.  Le médecin généraliste était placé très haut ;  aujourd’hui il est bien tombé de son piédestal.  Ce n’est  pas une mauvaise chose, mais on lui met sur la tête tout et n’importe quoi.  On a droit à la santé.  Non !  On a droit aux soins.  On ne sait pas quoi faire d’une situation, on demande un certificat médical.  Mais évidemment, l’employeur, l’assurance et même l’INAMI peuvent se retourner contre vous.  Je suis bien consciente que le médecin doit assumer ses responsabilités, mais il y a des limites à nos responsabilités.  Si l’on continue à presser, à pourchasser les généralistes, on risque de rendre la profession invivable.

AMA : Les soins palliatifs ?

K.C. : C’est le seul domaine que j’aurais pu choisir au lieu de la médecine générale.  J’avais fait un stage à Saint Jean en soins palliatifs.  J’ai beaucoup aimé.  On a tendance à penser que la mort, c’est l’échec du médecin.  Mais là j’ai compris que lorsque ces moments étaient bien vécus, quand on pouvait parler, mettre des mots sur les situations et contrôler les symptômes, c’était un travail extraordinaire.

AMA : Avez-vous des équipes de soins palliatifs dans la région ?

K.C. : Oui et j’aime bien cette solution, car  les gens préfèrent mourir à la maison : ce souhait mérite d’être respecté quand le milieu familial le permet.  Ce sont des moments d’une rare richesse : souvent dans les familles, on ose parler de choses non dites jusqu’alors et rétablir les priorités, repenser les valeurs ;  dans certaines familles, on remet le malade au centre de la famille en tant que sujet et non objet de la maladie.  Ce n’est pas sans souffrance mais c’est extraordinaire.

Entrée de l’associée de Katia, Catherine Magnette.

AMA : Vous n’avez pas entendu ce qu’a dit Katia : quelques mots sur votre association ?

C.M : C’est une chance incroyable que j’ai eue.  Je n’ai pas dû chercher pour débuter ma carrière.  Je me demandais ce que serait ma vie de généraliste, comment je pourrais gérer ma vie familiale.  J’ai eu beaucoup de chance de rencontrer Katia et que nous ayons la même vision des choses, de notre vie professionnelle et personnelle.

AMA : Que pensez-vous de l’homéopathie ?

C.M. : Je connais peu parce que je ne m’y suis jamais intéressée personnellement (rire de Katia).
J’en ai discuté quelques fois avec Katia : cela m’intrigue, non pas pour pratiquer ce type de médecine, mais pour essayer de comprendre comment cela fonctionne.  Mais je ne crois pas que j’y viendrai un jour.

AMA : Avez-vous une pratique préférée ?

C.M. : J’aime beaucoup les soins palliatifs.  Je suis actuellement une formation dans ce domaine.  En outre, plus récemment, je travaille dans une consultation de planning familial et j’espère transposer ce que je fais là dans ma pratique de médecine générale : consultations pour les jeunes filles, examens gynécologiques.  Je fais également des consultations ONE, mais c’est un peu frustrant car on doit voir 15 enfants en une heure et demie : alors qu’on est sensé tester plein de choses et donner des explications aux parents ;  on n’a pas le temps et c’est mal rémunéré…

La conversation se poursuit hors micro en buvant une tasse de café.  Ce fut une visite qui m’a appris beaucoup de choses sur la vie de nos jeunes confrères, sur leur travail et leur motivation.

 

  1. La conversation rapportée ci-après est un peu décousue, parce que nous avons choisi de rapporter l’entrevue telle qu’elle s’est déroulée.
  2. Zone où les GSM ne fonctionnent pas (note de la rédaction).
  3. Technique qui peut être efficace, mais n’est pas sans risque (note de la rédaction).


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