Numéro 33 :

Professeur Chantal Daumerie

Conversation à bâtons rompus à propos d’une carrière médicale


image1

AMA : Pourquoi  avez-vous choisi la carrière médicale ?

C.D. : Dans ma famille, j’appartiens à la quatrième génération de médecins.  Mes contacts avec la carrière médicale datent donc de mon enfance.  Je n’ai jamais hésité sur le choix de carrière.  Pendant mes humanités, j’accompagnais déjà mon père à la clinique et la médecine ne m'a jamais déçue depuis.  C'est vrai qu'il faut choisir la carrière que l’on aime et si l’on est passionné, on arrive toujours à ce que l’on veut.

AMA : Avez-vous vécu l’ouverture large de la médecine aux femmes ?

C.D. : Quand j’ai commencé mes études, ce changement était déjà bien en route avec 10 à 15 % de femmes, peut-être plus assidues que les hommes, comme aujourd’hui d’ailleurs.  Pendant les études, il y a peu de difficultés : si une femme a envie d’être médecin et possède les capacités, il n’y a pas de problème, elle y arrive… C’est après que les choses deviennent plus difficiles pour les femmes : on a encore peur de leur donner des responsabilités … Tout le monde peut constater qu'il n’y a pas beaucoup de femmes chefs de service. 

AMA : Est-ce que par ailleurs les femmes ne choisissent pas certaines carrières médicales parce qu’elles se disent qu’elles auront charge de famille et pourront plus difficilement assurer une carrière à temps plein ?  Si elles sont généralistes, elles choisissent la pratique en maison médicale qui peut leur laisser du temps libre ; parmi les spécialités, elles opteront par exemple pour l’ophtalmologie, la dermatologie…

C.D. : C’est le choix de certaines.  Mais cela commence à changer.  Il faut faire ce qu’on aime et ensuite les choix peuvent changer au cours de la vie ;  il faut saisir les opportunités et s’adapter.  Mon choix était une médecine plutôt intellectuelle, comme la médecine interne.  J'avais grandi dans un milieu chirurgical et me disais « ce n’est pas pour moi »…  La médecine interne laissait encore une grande possibilité de choix ultérieurs ;  j’ai fait ces choix, je crois, sans carriérisme.
Si on est décidé, on arrive toujours à faire ce qu’on choisit, même sans tenir compte des possibilités du marché.  Le marché ne doit pas gouverner les décisions, c'est seulement un élément.  Bien entendu, comme dans toute profession, il faut être à l'écoute des opportunités qui s’ouvrent.
Actuellement, il y a une certaine dérive dans la formation et l'évaluation, une sorte d'effet de balancier.  Alors que du temps où j'étais étudiante, on accordait une importance primordiale, peut-être trop importante, aux grades académiques, on en tient beaucoup moins compte aujourd'hui et on ne favorise pas la formation intellectuelle. Pourtant, il me semble que l'excellence académique reste le reflet de certaines qualités, comme la constance dans l’effort et le travail.

AMA : Parmi les qualités importantes pour un médecin, il y a le bon sens et le cœur.  Il n’est pas toujours facile d’évaluer ces qualités pendant les études.

Si l’on choisit la médecine, je pense que c’est pour aider les gens.  De nos jours, pour gagner de l’argent, il vaut mieux faire autre chose.  Parmi les médecins, certains choisissent des spécialités techniques, parfois parce qu’ils ne privilégient pas le contact avec le patient.  Cela ne les empêche d'ailleurs pas de faire une médecine utile à tous. D'autres sont motivés par le travail médical plus classique parce qu’ils aiment travailler en équipe.  Je ne crois pas que des cours de psychologie puissent changer le caractère des individus. Le bon contact avec les patients est une aptitude innée à laquelle l'enseignement ne peut pas changer grand-chose. Je ne crois pas qu'il appartient à l'Université de décider des aptitudes humaines des futurs médecins, mais qu'elle doit promouvoir l'excellence professionnelle. La société se charge de régler le reste en fonction de l'offre et de la demande. 

AMA : Ne vaut-il pas mieux être un médecin qui a des connaissances raisonnables, mais qui a du cœur, du bon sens, et qui n’est pas orgueilleux ?

C.D. : Comme tout professionnel, un médecin doit posséder les connaissances requises à l'exercice de ses activités. Il est assez évident que l'exercice de la médecine générale demande davantage de sens du contact avec le quotidien, alors que le spécialiste doit être plus scientifique et techniquement plus performant, apprendre à travailler dans une équipe pluridisciplinaire et accepter de se remettre en question. Quant au bon sens et à l'amabilité, je crois que ce sont aussi des qualités nécessaires à l'exercice de n'importe quelle profession, ou du moins ce devrait être le cas. Il faut aussi une certaine humilité pour exercer correctement la médecine et surtout avouer, dans certains cas, son incompétence, savoir passer la main, discuter avec ses confrères . C’est la richesse de tous les groupes multidisciplinaires qui tendent à se développer. 

AMA : Pourquoi avez-vous choisi la médecine universitaire ?

C.D. : A la fin de mes études, j’ai reçu des propositions de compléter ma formation dans un laboratoire.  Ayant connu tous les aspects de la médecine privée, j’étais heureuse de me consacrer à une médecine comportant l’enseignement et la recherche, avec une situation financière moins brillante peut-être, mais stable.  Je pouvais offrir à mes patients les meilleurs soins, dans une ambiance d’équipe et passer du temps sur des cas difficiles, sans penser à la rentabilité.  J’ai la chance de ne pas devoir percevoir d’honoraires.  J’espère que Saint-Luc ne tombera pas dans le piège de devenir un « business hospital ».
Les tâches d’un médecin universitaire évoluent avec le temps.  Au départ on veut apprendre et constituer sa patientèle.  Personnellement, j’aimais l’endocrinologie, puis j’ai fait la médecine nucléaire et ainsi je suis arrivée à la pathologie thyroïdienne.  On m’a proposé de la prendre en charge : je me suis prise au jeu.  J’ai passé des journées entières dans mes bouquins et journaux pour ne pas être piégée dans mes diagnostics.  Les patients ne s’y trompent pas : ils viennent. 
Mais on ne peut pas tout assurer.  Un patron m’a dit un jour : « Il faut apprendre à déléguer.  On ne peut pas tout faire. »  Je ne sais pas si lui-même le faisait.  Mais c’est très juste, car le défaut de beaucoup de médecins est l’individualisme. Si  l’on veut être up to date, par exemple dans le domaine de la thyroïde, il faut rester en contact avec la recherche en collaborant avec les laboratoires ;j’ai la chance de pouvoir compter sur certains  laboratoires de la faculté( histologie, biologie cellulaire) , qui me donnent accès à une recherche au niveau international.  La thyroïde est petite par la taille, mais complexe par la fonction, les relations avec diverses pathologies.  Cet abord pluriel des choses est extrêmement satisfaisant et n'est guère possible que dans un milieu universitaire ou assimilé.

AMA : Il y a aussi l’enseignement.

C.D. : Là, je dois reconnaître que franchement ce n’est pas « ma tasse de thé ».  Je n’aime guère parler en public et les exposés me demandent beaucoup de travail et préparation car je n’aime pas et suis peu capable d' improviser . L’enseignement est nécessaire à l’université et je remplis scrupuleusement les tâches attribuées. Je participe bien sûr à l’enseignement 2ème et 3ème cycle, à la formation continue, à la formation des assistants, des stagiaire, à la supervision de mémoires, au DES… Par contre, je ne souhaite pas donner des  cours ex cathedra. 

AMA : Et la promotion dans la carrière ?

C.D. : Je suis plutôt en retard… A l'Université et St Luc, c’est un peu comme à l’armée.  Une fois que vous êtes dans le système, vous finissez toujours par avoir vos promotions, mais plus ou moins rapidement.  Les profils carriéristes sont favorisés par le système: travail axé exclusivement sur le curriculum vitae, obtention de promotions, insertion dans la mécanique institutionnelle, etc … Parfois, quand un collègue du même âge vous dépasse, c'est un peu pénible psychologiquement mais cela ne dure pas… Mes plus grandes satisfactions, c’est lorsqu’un patient me témoigne sa reconnaissance ou lorsque, quand je fais mes courses, un patient m’aborde.

AMA : Mais si je vous suis bien, les gens qui auront le pouvoir seront en majorité des carriéristes ?

C.D. : L'Université n'échappe pas au modèle de la société. C’est clair que, actuellement, l'avenir appartient aux "grandes gueules" !  Un certain élitisme est nécessaire à l’Université.  Mais dans les circonstances financières difficiles, on constate que les critères d'évaluation se déplacent subrepticement  de l'excellence vers la capacité à rapporter des crédits.  Je vois un risque important d’évoluer vers une médecine à deux vitesses, du type anglais.  Je participe au conseil médical pour essayer de lutter contre cette possible dérive, mais cette institution n'a pas beaucoup de poids …

AMA : L’hôpital a des contraintes budgétaires…

C.D. : Oui.  Mais il y a d’autres problèmes : les administratifs ont de plus en plus de pouvoir, les médecins sont de moins en moins considérés…  La priorité d'une Clinique Universitaire est pourtant évidente: ce sont les malades, mais ceci n'est presque plus jamais mis en exergue. Mon impression est que, depuis quelques années, on tend à négliger les menus travaux peu visibles qui font la base d'une médecine de qualité, au profit de ce qui se voit. Quand je commence le matin, je m’informe du résultat des examens demandés pour mes patients : s’il y a un problème, je téléphone au patient.  Ensuite, je fais mon travail médical : consultations, lettres, tour de salle, réponse aux téléphone et Email. Tout cela est invisible mais nécessaire.  Et enfin, la recherche et la lecture, souvent le samedi et le dimanche.  Heureusement, ma famille comprend parfaitement la situation et m’aide beaucoup.

AMA : Et la vie de famille ?

C.D. : J’ai dû prévoir et composer.  Quand mon mari a dû partir un an à Harvard, j’ai choisi de rester ici, notamment parce qu’on m’offrait peut-être une place à Saint-Luc.  J’ai décidé de n’avoir qu’un seul enfant, parce que j’avais choisi de faire une carrière complète.  Il m'arrive de le regretter.

AMA : Ce n’est pas simple.

C.D. Il suffit d'avoir une famille compréhensive, qui vous comprend si vous rentrez à 9 heures du soir, qui admet les réunions, les congrès, les gardes, les imprévus…

AMA : Est-ce que vous avez un hobby ?

C.D. : Malheureusement, pas vraiment, mais j'aime le jardinage… J’adore les fleurs… Chaque fois que j’ai un peu de temps, je vais chipoter dans mon jardin, j’ai besoin d’air et cela me permet de me détendre.  Je cours les pépinières et lis quelques magazines.  Je pratique le jardinage d’une manière peu scientifique, pour m'amuser, mais le temps disponible reste trop court.

AMA : Le mot de la fin ?

C.D. : Le parcours universitaire reste difficile pour les femmes, malgré leurs brillants résultats…  J’aime citer Françoise Giroux : « Il y aura égalité entre les hommes et les femmes quand une femme incompétente accèdera à un poste de responsabilité ».


AMA-UCL Association des Médecins Alumni de l'Université catholique de Louvain

Avenue Emmanuel Mounier 52, Bte B1.52.15, 1200 Bruxelles

Tél : 02/764 52 71 - Fax : 02/764 52 78