Numéro 29 :

Les interviews de l'AMA-UCL

Docteur Raphaël Chirimwami
Doyen de la Faculté de Médecine de l’Université catholique de Bukavu (UCB)
(République démocratique du Congo)


AMA : L’UCB est-elle une université complète ?

R.C. : L’UCB est une très jeune université, créée en 1989-1990 ; actuellement, elle comprend quatre facultés : médecine, droit, agronomie et économie.

AMA : L’UCL a-t-elle participé à la création de votre université ?

R.C. : Oui.  Monseigneur Gillon, ancien recteur de Lovanium, a joué un rôle important : alors qu’il était encore à Lovanium , il avait déjà conçu le projet d’une extension à Bukavu.  Mais aujourd’hui Lovanium est devenu une université d’état qui fonctionne tant bien que mal.

AMA : Y a-t-il d’autres universités à Bukavu ?

R.C. : Oui, une université protestante, moins importante, mais comportant une faculté de médecine et un hôpital.  Il y a également un centre universitaire, extension de l’université de Kisangani.  Nous préparons un colloque qui aura pour thème une meilleure intégration de ces universités.

AMA : Comment se répartit la population estudiantine ?

R.C. : Il y a 400 étudiants en médecine, c’est-à-dire environ la moitié des étudiants de l’UCB.

AMA : Combien de médecins sont-ils diplômés chaque année ?

R.C. : L’année dernière, 25 étudiants ont été promus : c’est un record.  Les quatre années précédentes, la moyenne était de 12 à 15 par an.  La ville de Bukavu compte 450.000 habitants.  Les universités les plus proches sont Bujumbura à 120 km au Burundi, Butembo à 700 km au Nord Kivu, Goma à 120 km et Butare au Rwanda, à 150 km.  Nous avons des conventions avec ces universités pour l’échange de professeurs, particulièrement avec l’université catholique de Bujumbura.

AMA : Quelle est la capacité de votre hôpital ?

R.C. : Elle est de 500 lits, mais seule la moitié de ces lits est occupée, par manque de personnel et d’infrastructure.

AMA : Quelle est la situation politique à Bukavu ?

R.C. : Nous sommes dans la partie du territoire congolais occupée par la rébellion soutenue par le Rwanda.  Dans la mesure où nous n’avons pas d’activité politique, les rebelles nous laissent tranquilles.

AMA : Vous devez avoir des problèmes financiers importants ?

R.C. : Bien entendu.  L’économie tourne difficilement.  Nous vivons grâce au minerval des étudiants et d’aides diverses : des entreprises devenues rares depuis la guerre et de partenaires extérieurs qui nous assistent dans les missions d’enseignement et dans l’équipement, notamment des bibliothèques.  Ce sont des universités, particulièrement l’UCL, des ONG parfois multinationales, telle Medicus Mundi.  Il y a en outre quelques bourses d’études locales et d’universités étrangères, notamment de l’UCL.  La coopération française nous a aidés à construire un amphithéâtre dans l’hôpital, tandis que la coopération belge a fourni des équipements didactiques et des livres.

AMA : D’où viennent les professeurs ?

R.C. : Ils sont congolais, recrutés selon des critères de compétence, mais nous avons également des professeurs étrangers invités, notamment de Bujumbura.  Il est parfois difficile de respecter les horaires et le programme.

AMA : L’hôpital dépend-il de l’université ?

R.C. : C’est un hôpital d’état, transféré à l’Eglise pour la gestion et l’enseignement, pour 25 ans.  Les médecins sont soit des professeurs de l’université, soit des médecins indépendants.

AMA : Que deviennent les jeunes médecins diplômés de l’UCB ?

R.C. Sur les 58 médecins sortis jusqu’ici, la plupart sont restés à Bukavu et au Kivu et travaillent dans les hôpitaux périphériques de l’état, qui manquent cruellement de médecins surtout depuis la guerre et sont souvent tenus par les églises locales.

AMA : Les revoyez-vous, ces jeunes médecins : envisagez-vous un enseignement post-gradué ?

R.C. : Nous n’avons pas encore de formation continue, mais nous devons l’organiser.

AMA : Avez-vous recruté de futurs professeurs parmi vos diplômés ?

R.C. : Oui, bien évidemment.  Huit d’entre eux ont été recrutés comme assistants et quelques autres sont en formation à l’extérieur dans le cadre de la coopération Sud-Sud interafricaine, au Bénin ou à Bujumbura.  A l’UCL, un assistant achève sa formation aux Cliniques Saint-Luc.

AMA : Quel est l’équipement de l’hôpital ?

R.C. : Nous disposons de deux salles d’opération permettant la chirurgie générale, orthopédique, digestive…

AMA : Vous investissez dans la prévention et le dépistage ?

R.C. : L’hôpital a essentiellement une action curative, mais la Faculté a un département de santé publique qui s’occupe de médecine préventive ;  mais étant donné la situation politique actuelle et la nécessaire collaboration de l’état dans ce domaine, ce département est actuellement en veilleuse : quelques structures fonctionnent encore grâce à la collaboration des organismes non gouvernementaux.

AMA : Quelles sont les priorités dans le domaine de la prévention ?

R.C. : Les maladies endémiques, en particulier le SIDA.  L’accès aux antiviraux est, comme partout en Afrique, le problème majeur ;  nous cherchons des moyens de financement : l’OMS, les ONG, peut-être les firmes pharmaceutiques.  Des entreprises s’organisent pour soigner leur personnel.  J’ai rencontré ici le médecin d’une société brassicole qui est venu s’entraîner à la manipulation des médications anti-SIDA.  Nous avons renforcé la prévention de la transmission du SIDA par les transfusions .

AMA : Et l’utilisation des préservatifs ?  Les réticences de l’église catholique ?

R.C. : Je pense que l’autorité ecclésiastique est assez ouverte dans ce domaine, tout en insistant sur l’abstinence et la fidélité.

AMA : Ce sont des grands mots pour des maux terribles.  On pourrait dire que ne pas recommander les préservatifs peut être assimilé à la non-assistance à personne en danger.  Ne pensez-vous pas ?

RC. : Il y a aussi la malaria, qu’on oublie un peu.

AMA : Quel est l’essentiel de la prévention ?

R.C. : L’usage des moustiquaires, car le moustique pique surtout la nuit ;  la lutte contre l’environnement des moustiques demande plus de moyens.  La prévention médicamenteuse doit être ciblée, par exemple chez les femmes.  La tuberculose est souvent associée au SIDA avec des conséquences désastreuses.  L’hypertension artérielle et le diabète sont des problèmes en croissance.

AMA : Avez-vous un examen d’entrée aux études de médecine ?

R.C. : Nous avons un examen d’entrée, mais sans numerus clausus.  Les élèves sortent du secondaire où ils ont choisi des options diverses : mathématiques, physique, littéraire, psychologique, parfois économique.

AMA : Docteur, parlons un peu de vous.  Quel a été votre parcours ?

R.C. : J’ai terminé mes humanités en Belgique, à Braine le Comte.  J’ai fait mes études de médecine à Louvain l’Ancienne et j’ai eu mon diplôme en 1974.  Après des études de médecine tropicale à Anvers, j’ai fait la spécialisation en anatomie pathologique à Kinshasa, avec un complément de formation à Woluwe, en neuropathologie, dans le service du professeur Brucher, et j’ai présenté une thèse de doctorat.  De retour à Kinshasa, j’ai enseigné en tant que professeur d’anatomie pathologique, mais je me suis investi de plus en plus dans la jeune université de Bukavu où je suis devenu doyen depuis deux ans.

AMA : Votre fonction de doyen exige-t-elle un plein temps ?

R.C. : Non, je continue à consacrer une partie de mon temps au laboratoire d’anatomie pathologique.

AMA : J’imagine que les professeurs au Congo rencontrent des problèmes financiers.

R.C. : Bien évidemment.  Il n’y a plus d’état au Kivu, mais ce n’est guère mieux dans la partie du pays qui n’est pas occupée par les rebelles.  Le paiement de salaires symboliques est très aléatoire.  Les professeurs sont payés par la redistribution du minerval des étudiants…  Quelques médecins ont un cabinet privé et reçoivent quelques malades après leurs heures de service : cela leur apporte un petit supplément pécunier.

AMA : Quelles sont vos perspectives d’avenir ?  Les choses finiront-elles par s’arranger au plan politique ?  Cette guerre stupide va-t-elle enfin cesser ?

R.C. : Je crois fermement  que la situation va se stabiliser ; nous nous accrochons aux nouveaux accords passés entre Kinshasa et le Rwanda, après que les milices rwandaises repoussées au Congo après le génocide auront été neutralisées et renvoyées au Rwanda pour être jugées.  Nous ne désespérons pas des hommes !  L’Ouganda a déjà retiré une partie de ses troupes.

AMA : Le Congo doit-il rester uni ?

R.C. : Tous les congolais sont d’accord pour affirmer qu’il n’y a qu’un état, avec des entités comme la province du Kivu ou le Katanga, qui pourraient jouir d’une certaine autonomie, dans le cadre d’un état fédéral.

AMA : Pour vous-même, quelles sont vos priorités et vos projets ?

R.C. : Que notre faculté de médecine progresse, tant sur le plan humain que sur le plan matériel : il faut une volonté politique, la paix, afin que l’économie puisse redémarrer.

AMA : Comment peut-on vous aider ?  Nous avons l’impression que ce que nous, médecins, pouvons faire de mieux est de vous aider à former des médecins et des enseignants de valeur.

R.C. : Nos besoins sont considérables.  Des équipements tant pour l’hôpital universitaire que pour les hôpitaux périphériques qui l’entourent.  La documentation, les livres, les cours.  Une ouverture pour nos jeunes vers les pays développés.

AMA : De quoi avez-vous actuellement besoin dans votre hôpital ?

R.C. : Les priorités ne sont pas les techniques de pointe, raffinées.  Nous manquons du matériel élémentaire d’investigation radiologique : nous avons deux appareils datant de la fin de la période coloniale, qui restent en ordre de marche grâce à l’ingéniosité de nos techniciens, mais ne permettent guère que des radios osseuses et du thorax.  Notre appareil d’échographie est ancien et peu performant.  Le professeur Fiasse vient de nous installer une salle d’endoscopie digestive et a entraîné nos médecins sur place.  Nous n’avons pas de respirateur, ce qui nous limite en chirurgie.  La salle de soins intensifs ne permet qu’une surveillance intensive, faute de matériel.

AMA : Si des médecins désirent se rendre à Bukavu pour vous aider, courent-ils des risques du fait de l’état de guerre ?

R.C. : Les risques sont présents.  Des médecins et infirmières sans frontière travaillent chez nous en permanence.  Des professeurs de l’UCL viennent régulièrement enseigner dans notre université.  En ville, il n’y a pas d’insécurité directe, permanente : il y a une police, une armée.  Ils ont intérêt à maintenir l’ordre, mais dans les collines environnantes, il y a des factions armées rivales.  Bukavu est relativement calme, mais il y a néanmoins des agressions sporadiques, des exactions diverses, de la corruption…

AMA : Merci, docteur Chirimwami, de vous être prêté à cette interview avec tant d’objectivité.  Nous souhaitons que ce pays et sa province du Kivu que tant de belges aiment profondément, retrouve la paix et une prospérité si compromise actuellement.


AMA-UCL Association des Médecins Alumni de l'Université catholique de Louvain

Avenue Emmanuel Mounier 52, Bte B1.52.15, 1200 Bruxelles

Tél : 02/764 52 71 - Fax : 02/764 52 78