Numéro 27 :

Les interviews de l'AMA-UCL

Docteur Fr. Philippart 

A propos de l'Ordre des Médecins


AMA : Pour beaucoup de confrères, l'ordre des médecins est une structure un peu mystérieuse, dont ils connaissent mal les rouages, le pouvoir et les actions.  Ils n'en ont eu souvent qu'un contact extérieur, parfois désagréable.  Quel est le rôle de l'ordre ?

Fr. Philippart : Il est double, normatif et disciplinaire.  Par son conseil national, il est amené à émettre des avis sur des questions de déontologie professionnelle.  Les conseils provinciaux ont un rôle disciplinaire : ils ont le droit d'instruire et de juger les plaintes qui leur sont adressées et de prononcer éventuellement des sanctions.    Les conseils provinciaux n'ont donc pas de rôle normatif mais ils peuvent émettre des avis à propos de questions posées par des médecins particuliers voire même des personnes privées, pour autant que le conseil national aie déjà publié sur la quesiton ;  ils ont tout un mémoire d'avis qui s'est constitué depuis la création de l'ordre.  Si l'ordre des avocats a été fondé à la période napoléonienne, la loi sur l'ordre des médecins n'a été votée qu'en 1938, mais n'a été appliquée qu'à partir de 1947.

AMA : Vous ne vous occupez donc que des problèmes impliquant un docteur en médecine ?

Fr. Philippart :  Bien entendu.  La commission médicale provinciale, elle, est un organisme plus ancien (1817), chargé, entre autres, de valider les diplômes.  Elle regroupe toutes les professions de santé.  Le conseil obligatoirement présidé par un médecin, assisté d'un vice-président médecin lui aussi, regroupe des professionnels de la santé (infirmières, kinésithérapeutes...) et l'inspection de la pharmacie.  Cette dernière siège à cette commission, mais a une activité autonome.

AMA : Cette commission a-t-elle un pouvoir disciplinaire ?

Fr. Philippart :  Elle peut prononcer un blâme, mais surtout retirer le visa d'aptitude à la pratique des médecins et aussi des autres praticiens de la santé.  Elle n'a donc pas à proprement parler de pouvoir disciplinaire.

AMA : Peut-elle alerter la justice ou l'ordre des médecins ?

Fr. Philippart : C'est ce qu'elle fait.  Le plus souvent c'est l'inspection de la pharmacie qui découvre le problème, par exemple un abus de prescription de stupéfiants, et peut immédiatement déposer une plainte soit en justice, soit à l'ordre des médecins.

AMA : Quelle est la composition de l'ordre ?

Fr. Philippart :  Le Conseil National est présidé par un magistrat de cour de cassation et composé d'un représentant de chaque conseil provincial et de chaque université.  Comme tout fonctionne sur base d'un arrêté royal de 1967, les universités d'Anvers, Namur et Mons ne sont pas représentées.  Le conseil national a la personnalité juridique : lui seul peut acheter des bâtiments et se défendre en justice lorsqu'un conseil provincial est attaqué.

AMA : Comment devient-on membre du conseil de l'ordre ?  On est élu bien entendu, mais sur des listes : comment ces listes sont-elles constituées ?

Fr. Philippart :  Les élections sont organisées par un arrêté royal de 1970, de façon démocratique.  Il y a d'abord appel à candidature.  Tout médecin peut poser la sienne pour autant qu'il ait au moins 10 ans de pratique et qu'il n'ait pas encouru de condamnation majeure : une réprimande n'exclut pas le candidat, mais bien un avertissement ou une suspension.  Le conseil en exercice examine la recevabilité de la candidature et établit la liste des candidats par district.  Le vote est secret et les bulletins sont envoyés au conseil national qui a la charge de dépouiller et de publier les résultats.  Le mandat est de 6 ans : les élections ayant lieu tous les trois ans, les conseils sont donc renouvelés par moitié tous les trois ans, de manière à assurer une continuité.  Les prochaines débuteront en janvier 2003, pour se clôturer le 10 mars 2003.

AMA : Y a-t-il une répartition prévue, par exemple en généralistes et spécialistes ?

Fr. Philippart : Non.  Il se peut que certains groupes de pression donnent des mots d'ordre ;  ainsi en est-il d'associations de médecins généralistes qui veulent assurer une représentation valable ou de certains groupes hospitaliers, surtout fusionnés, qui souhaitent être représentés.
Après les élections, il y a au conseil provincial une séance de passation de pouvoir, au cours de laquelle un bureau est constitué : il comprend un président, un vice-président, un secrétaire et parfois un trésorier.  Nous avons toujours à nos côtés deux assesseurs juridiques qui sont des magistrats de la première instance.

AMA : Aucune formation n'est exigée des membres du conseil ?

Fr. Philippart : Jusqu'à présent, aucune, mais au Conseil du Hainaut, nous l'avons fait, en organisant une journée de formation : on explique aux " nouveaux " la structure de l'ordre, les lois qui le concernent, la manière de conduire une instruction.
En matière de confidentialité, nous exigeons qu'un de nos membres se retire d'office si le problème débattu concerne quelqu'un avec lequel il a des liens, soit institutionnels, soit d'amitié ou de parenté.  Le président doit veiller à repérer ces incompatibilités.  Il y a là une dérive corporatiste à éviter.

AMA : Vis-à-vis d'un problème donné, comment fonctionne l'ordre ?  Pouvez-vous faire des confrontations, des convocations de témoins, des missions diverses ... procédez-vous à une instruction ?

Fr. Philippart :  Prenons le cas d'une plainte qui nous arrive.  Elle est examinée par le bureau qui prend attitude : le plus souvent, il s'adresse au médecin pour le mettre au courant de la plainte et lui demande de donner par écrit sa version des faits, à charge autant qu'à décharge.  S'il apparaît qu'il y a égarement déontologique majeur, nous confions le problème à une commission d'instruction, composée de trois de nos membres et d'un assesseur juridique.  Chez nous cette commission convoque le plaignant d'abord, pour lui faire éventuellement compléter son témoignage et apprécier le sérieux de sa démarche.  La plupart des plaignants sont très heureux qu'on les écoute.  Ensuite, la commission d'instruction peut faire venir des témoins, par exemple le médecin chef d'un hôpital et en dernier lieu, toujours le médecin pour enregistrer sa version des faits.
Le conseil discute du devenir de la plainte, à partir des déclarations enregistrées qui lui ont été communiquées et après un rapport oral d'un membre de la commission.  Les possibilités sont alors diverses.  Ce peut être le classement sans suite parce que le conseil estime qu'il n'y a pas de faute déontologique et qu'il n'y a matière à poursuite ;  parfois le président ajoute une admonestation.  Dans d'autres cas, le conseil décide de prolonger l'instruction parce que l'on manque de preuves ou de témoignages.  Enfin, le conseil peut juger que le grief est établi, met alors le médecin en prévention et va le faire comparaître devant le conseil au complet.  Il peut s'y présenter seul ou accompagné d'un avocat ou d'un confrère, à titre de défenseur : cette dernière option me paraît souvent la meilleure.  La comparution se fait suivant une procédure bien établie : on répète les griefs.  Ensuite le président pose des questions, refait une instruction d'audience.  La parole est donnée ensuite à l'avocat de la défense et en dernier lieu au médecin.

AMA : Le plaignant n'a pas d'avocat et n'est pas présent ?

Fr. Philippart :  Il est déjà arrivé que le conseil décide de faire comparaître le plaignant en audience de jugement, mais à titre de témoin.  La procédure n'est toutefois pas contradictoire, mais à huis clos.  Ensuite, le conseil délibère : chacun des membres est amené à donner son avis.  Un vote secret a lieu ensuite.  La décision peut être soit un acquittement, soit une sentence : réprimande, avertissement, suspension, radiation.

AMA  : Ces réprimandes sont-elles actées et peuvent-elles être prises en considération lors de futures comparutions ?

Fr. Philippart : Toutes les décisions figurent au dossier ordinal des médecins.  Quant à leur incidence en cas de nouvelle comparution suite à une nouvelle plainte, elles seront prises en compte dans la mesure où les nouveaux griefs portent sur une récidive de mêmes faits par rapport aux précédents.  Néanmoins, le débat reste ouvert au sein du conseil entre la consultation du dossier disciplinaire à priori (dès le début de l'instruction) et celle à posteriori, lorsque la décision finale est sur le point d'être votée.  Le choix entre les deux s'opère au cas par cas.

AMA : Avez-vous le pouvoir de contrôler l'observance de la sanction ?

Fr. Philippart : Dès que le conseil a pris sa décision, l'assesseur juridique rédige la sentence en exposant le grief et les attendus.
Cette décision est envoyée d'abord au médecin qui a comparu et en même temps au président du conseil national lequel dispose, comme le prévenu, d'un droit d'appel s'il estime la décision inadéquate par rapport aux griefs.
Si aucun appel n'est interjeté, au bout de 30 jours, la décision est communiquée au Ministre de la Santé Publique.  Depuis un A.R. récent (2001), quand la sentence comporte une interruption d'activités, elle est communiquée à la Commission Médicale Provinciale qui a charge de la transmettre à toutes les commissions des autres provinces, à tous les conseils provinciaux de l'ordre, à l'INAMI, au médecin chef de l'hôpital s'il s'agit d'un clinicien ou au médecin responsable du groupe de garde s'il s'agit d'un généraliste.  L'INAMI est également informé de toute décision concernant un grief d'abus de liberté thérapeutique ou diagnostique.
Hormis un hasard " malheureux " ou une dénonciation, les conseils de l'ordre n'ont pas mission ni pouvoir de contrôler l'exécution d'une sanction de suspension.  Seul l'INAMI, via les organismes assureurs, a cette possibilité de contrôle.  Un médecin suspendu pris en flagrant délit de prestation pourrait devoir en répondre devant un tribunal pénal qui le poursuivrait pour exercice illégal de l'art de guérir, devant l'INAMI pour prestations indûment facturées et devant l'ordre pour atteinte à l'honneur de la profession.
La commission médicale provinciale a compétence légale pour retirer le visa d'un médecin jugé inapte à continuer d'exercer l'art de guérir.  Elle peut le faire en référé durant 1 ou 2 mois si la situation le justifie (maladie mentale grave) ;  dans la majorité des cas, pareille décision n'est prise qu'après expertise par un collège formé de deux psychiatres et d'un interniste.

AMA : Et l'information du plaignant ?

Fr. Philippart :  C'est un point d'achoppement.  Le plaignant n'est pas tenu au courant du devenir de sa plainte : il ne sait pas si l'Ordre a pris ses griefs en considération, s'il considère que le médecin est fautif et si une sanction a été prononcée.

AMA : Delà, les critiques du public et les gens qui s'exclament : " C'est du corporatisme : ils ne se mangent pas entre eux.   On n'a pas de nouvelle : on a beau écrire, insister, il ne se passe jamais rien. "

Fr. Philippart :  C'est un point dont il faut en effet débattre et qui appelle une réforme.  Néanmoins, nombreux sont les médecins qui y sont opposés.  Les généralistes craignent que le plaignant fasse publicité tapageuse d'une sanction dont ils seraient frappés suite à une plainte déposée par lui.  Ce qui ne manquerait d'entraîner des conséquences néfastes sur sa réputation et sur la fréquentation de sa patientèle.  Les spécialistes d'hôpitaux craignent des représailles de la Direction Administrative.
Mais point n'est besoin d'être devin pour savoir que lorsqu'un médecin poursuivi est acquitté par son Conseil de l'Ordre, il procède lui-même à une large publicité de cette issue qui lui est favorable.
Plus de transparence est pourtant souhaitable et souhaitée et il est aisé de comprendre que le plaignant reçoive quelqu'information.  On pourrait par exemple proposer que lui soit signifié le terme de la procédure disciplinaire, la décision du conseil quant à la recevabilité de son (ou de ses) grief(s) et l'indication qu'une mesure a été prise, sans cependant en préciser la nature.  Possibilité ne devrait pas être donnée au plaignant d'aller en appel de décision prise par le conseil s'il l'estime inadéquate à son goût.  La possibilité d'appel donnée au président du Conseil National peut, en l'état de la législation actuelle, contrebalancer la mansuétude excessive d'un conseil provincial ;  cependant, in fine, c'est le conseil d'appel qui, reprenant l'affaire " ab initio ", confirmera, aggravera ou allègera.

AMA : Il n'y a jamais de compensation vis-à-vis du plaignant.

Fr. Philippart :  Nous n'intervenons pas dans les conflits financiers : ceux-ci sont du ressort de la justice.  Lorsque nous sommes en face d'une possibilité de faute médicale, nous l'envisageons au plan déontologique.  Mais pour la réparation d'un dommage, nous disons clairement au plaignant que ce n'est pas de notre compétence et qu'il peut s'adresser à un homme de loi pour évaluer le dommage, rechercher la causalité entre les lésions et une éventuelle faute médicale.  Notre seule compétence est la déontologie médicale : les plaignants ne le comprennent pas toujours facilement.
Les plaintes sont actuellement en inflation : dans notre province nous en traitons environ 250 par an (pour une communauté de 5000 médecins).

AMA : Y a-t-il des conflits entre médecins ?

Fr. Philippart :  Ils sont plutôt rares et exceptionnels entre généralistes.  Par contre dans les hôpitaux peuvent naître de graves conflits.  Cette réalité s'épanouit surtout depuis la mise en place des fusions de groupements.  De nombreux facteurs sont à prendre en compte : les différences de " culture " entre les institutions fusionnées, les conflits de pouvoir, les restructurations des équipes, les modifications des pools d'honoraires.
Quant aux généralistes, ils sont plutôt la cible de patients mécontents lors des gardes.

AMA : Votre attitude est-elle la même si le plaignant est médecin ?

Fr. Philippart :  Elle est différente, en ce sens que nous tentons plus souvent une conciliation.  Nous tentons parfois une conciliation entre le médecin et un plaignant non-médecin, mais la manœuvre est délicate et les résultats assez décevants.

AMA : On comprend que l'ordre des médecins est souvent dans une situation délicate, critiqué par les plaignants qui se sentent dépassés, peu informés et par les médecins qui trouvent que l'ordre s'occupe de faits mineurs et pas des gros poissons.

Fr. Philippart :  Oui, telles sont bien les critiques formulées à l'encontre de l'ordre.  Pour les plaignants, la procédure disciplinaire leur donne une impression de manque de transparence, de protection mutuelle, bref de corporatisme.  Certains le vivent très mal, en restant habités par une sensation d'injustice qui les a motivé à déposer plainte, s'estiment maintenus dans l'ignorance d'une faute qu'ils ont soupçonnée.  Il n'est pas rare que beaucoup de plaintes se terminent par une référence au serment d'Hippocrate, ce qui démontre qu'à leurs yeux, l'art de guérir a gardé quelque sacralité.
Pour les médecins, le reproche différentiel entre gros et petits poissons est quasi mythique et s'inscrit dans l'arsenal des récriminations usuelles contre le rôle disciplinaire de l'ordre, mais les premiers témoins des exactions des gros prédateurs marins sont ceux-là même qui font ce reproche.  Rarissimes sont ceux qui dénoncent les faits.  Comment l'ordre pourrait-il " indaguer " s'il est maintenu dans l'ignorance ?  De plus, les preuves sont parfois bien difficiles à obtenir : les conseillers ordinaux n'ont pas (heureusement !) les pouvoirs d'inspecteurs de police judiciaire et ne peuvent compter que sur le devoir de vérité auquel sont déontologiquement tenus les médecins face à leurs pairs.  Et les " gros poissons " sont souvent passés maîtres dans l'art d'habiller la vérité.
Nonobstant cela, les manquements graves doivent s'apprécier en fonction du temps et des solutions interviennent au terme de très longues procédures savamment entretenues par d'habiles plaideurs.
Les médecins doivent se convaincre que le souci premier des conseillers est d'assurer aux patients une médecine de qualité respectueuse de l'homme.

AMA : On dit également que l'ordre est sous l'influence de groupes de pression ;  il y a les différentes universités, les politiques, mais surtout les syndicats.

Fr. Philippart :  Comme dans toute organisation, certaines tendances peuvent être représentées.  Ce n'est pas pour autant qu'on puisse dire qu'elles exercent une pression.  Leur présence permet au contraire de connaître tous les points de vue que le corps médical peut exprimer.  Si l'un ou l'autre membre du Conseil National exerce en même temps une responsabilité syndicale, les autres en exercent ailleurs : comité national de bio-éthique, universités, etc...  Chaque personne quelle qu'elle soit est en elle-même un groupe de pression !

AMA : Comment est financé l'ordre des médecins ?  Les cotisations sont assez lourdes.

Fr. Philippart : On nous le reproche parfois.  Depuis quelques années, nous communiquons notre budget dans les circulaires provinciales.  Nos rentrées viennent exclusivement des cotisations, dont 25 % doivent être versées au conseil national.  Notre poste secrétariat représente 37 % du budget en Hainaut.  Quant aux locaux, c'est le conseil national qui est propriétaire.

AMA : Etes-vous défrayés pour vos prestations ?

Fr. Philippart :  Nous percevons des jetons de présence ; également pour des prestations qui deviennent de plus en plus fréquentes que sont les saisies de dossiers médicaux par la justice au cours desquelles un médecin de l'ordre doit être présent, pour veiller au respect du secret.  Tout ce temps est quand même à prélever sur celui habituellement consacré à l'activité médicale.

AMA : Que se passe-t-il si on ne paie pas sa cotisation ?

Fr. Philippart :  Il y a des exemples de médecins qui ne paient pas leur cotisation depuis de nombreuses années, mais on n'a pas le droit de les empêcher de travailler et ils restent inscrits au tableau de l'ordre.  Anciennement, il y avait des poursuites disciplinaires et des suspensions.  Aujourd'hui, on se contente d'envoyer des rappels au cours de l'année en cours, mais au début de l'année suivante, si le médecin n'a pas donné d'explication, on confie le problème à un avocat qui continue à poursuivre le médecin, pour obtenir le paiement éventuellement en justice, mais il n'y a plus jamais de suspension de la pratique médicale.
Les non payeurs ne sont pas légion.  La plupart le sont par négligence ;  quelques-uns désirent manifester par là leur opposition à l'Ordre.  Qu'ils sachent que malgré leur non paiement, le conseil provincial doit virer leur quote-part au Conseil National, ce qui maintient leur possibilité de prester.  Si tel est le cas, c'est donc grâce à la solidarité involontaire de tous ceux qui règlent leurs cotisations !

AMA : On parle de réforme de l'ordre.  Qu'en pensez-vous ?  Où en est-on ?

Fr. Philippart :  Une réforme est indispensable.  Elle a déjà une histoire.  Il y a eu des mouvements en faveur de réformes, mais toujours à la suite d'un événement déclenchant : par exemple les actions du syndicat Wynen à propos des gardes médicales.  Une première tentative de réforme a failli réussir en 1987, sous l'impulsion du ministre Busquin ;  nouveau démarrage avec la période Colla : il s'agit pratiquement d'une disparition de l'ordre.  Il voulait créer un collège déontologique général dans lequel auraient figuré toutes les branches de la santé ;  le volet disciplinaire était exercé dans chaque province par une équipe de 4 personnes, deux magistrats et deux médecins.  A côté du projet Cola, sont nés 6 ou 7 autres avant-projets de réforme.  On en est là !  Aucun de ces projets n'a abouti.  Avec la ministre Alvoet, il y a quelques idées sur la table, mais Madame Alvoet a mis comme condition préalable le règlement du problème des droits des patients.  Ce qui paraît assez raisonnable.  Je suis personnellement favorable à la définition des droits des patients.  Beaucoup de ces choses étaient déjà depuis longtemps dans le code civil, mais elles vont être renforcées et précisées.  Pour les médecins, c'est une révolution : ils mettront du temps à l'intégrer dans leur pratique.
Au point de vue de la réforme de l'ordre, un point essentiel sera l'information donnée au plaignant, mais que cette information soit dépénalisée et que le plaignant ne soit pas poussé à mettre en route une procédure vengeresse.  En ce qui concerne la structure, il faudrait que toutes les facultés de médecine soient représentées.
Actuellement, la plupart des médecins vivent très mal une comparution à l'ordre, même comme témoin : nous payons, je pense, le comportement des premiers conseils de l'ordre qui apparaissaient comme un tribunal et avaient un comportement rigoureux.  Nous traînons cette réputation.  Il faut mettre en avant le dialogue, la disponibilité, l'avis donné par téléphone.
Une autre réforme devrait être la possibilité d'effacement de peines, la suspension d'un prononcé, des peines avec sursis, des réhabilitations...  Par ailleurs, pour les récidives par exemple en matière de toxicomanie ou de faux certificats, on pourrait envisager, comme au Canada, une technique d'accompagnement.

AMA : Le médecin va devoir parler plus avec ses malades, expliquer...

Fr. Philippart :  Je n'ai pas évoqué le contenu des instructions de l'ordre et des plaintes.  A la base, il y a toujours le silence : on n'explique pas, on se cache, on se fâche.  Les médecins ne sont souvent pas assez ouverts et se comportent en hommes peureux.  Tout cela devrait être appris à nos futurs médecins et aussi la manière de maîtriser et d'affronter une agressivité.

AMA : Faut-il un ordre des médecins ?

Fr. Philippart :  Je me pose la question, mais je n'ai pas la réponse.  Parmi les professions libérales, les médecins sont les plus poursuivis.  Ils doivent répondre à une série de juridictions.  Deux articles du code pénal concernent les médecins : celui du secret et celui de non-assistance à personne en danger.  Au plan civil, on leur réclame des dommages à tout propos.  Ils ont en outre un tribunal disciplinaire qui peut les poursuivre pour faute déontologique et un tribunal administratif qui est l'INAMI.  Le comité de contrôle de l'INAMI et la chambre restreinte sont des tribunaux assez inquisiteurs : les contrôleurs de l'INAMI ont les prérogatives d'officiers de police judiciaire.
Enfin, chaque fois que de nouvelles lois sont votées, des commissions de contrôle sont créées.  Dès la promulgation de la loi sur l'euthanasie, une commission de contrôle et de surveillance a été créée : le médecin qui va pratiquer l'euthanasie devra rendre des comptes.  Ce sera la même chose avec la loi sur les droits du patient.  Les médecins sont poursuivis de tout côté et tout est regardé.  Là où un quidam sera puni une fois, le médecin sera puni deux fois, car les instances se communiquent les dossiers.
Faut-il encore un ordre ?  Il devrait en tout cas porter un autre nom.  Il devrait aussi se réformer en élargissant le champ de ses possibilités en matière disciplinaire.  En outre, il devrait pouvoir accroître sa fonction de médiation et pourrait jouer un rôle important dans l'évolution que connaît la profession médicale aujourd'hui : exercer surtout une fonction d'aide en faveur de ceux qui en nombre croissant connaissent des difficultés.
Dans les hôpitaux, les comités d'éthique peuvent jouer un rôle très utile, entamer le dialogue et déboucher sur des conciliations, chacun gardant le sentiment de sa dignité.  Ces comités pourraient également être créés en médecine générale, sur le mode des comités hospitaliers.
Mais à la question que vous posez, c'est aux médecins de répondre en priorité, avant le monde politique.  Je verrais très bien l'organisation d'un referendum national sur cette question.  Puissé-je ne pas être une voix dans le silence d'un désert pourtant peuplé.


AMA-UCL Association des Médecins Alumni de l'Université catholique de Louvain

Avenue Emmanuel Mounier 52, Bte B1.52.15, 1200 Bruxelles

Tél : 02/764 52 71 - Fax : 02/764 52 78