Numéro 24 :

Les interviews de l'AMA-UCL

Le père Marcel le Maire, s.j., aumônier des étudiants en médecine


AMA : Pouvez-vous, Père le Maire, évoquer le début de votre parcours avec les étudiants ?

M. le Maire : J’avais toujours désiré devenir aumônier d’étudiants, parce que c’est un beau métier, qui n’existait pas à l’époque dans nos universités.  On me destina, en 1952, à devenir professeur d’histoire aux Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur ; j’étais docteur en histoire, particulièrement en histoire contemporaine ;  j’y suis resté deux ans.  Ma formation était louvaniste et Namur était à l’époque ce que j’appelais, dans mon langage, une puériculture universitaire, un grand collège, avec toute sorte de règlements qui me paraissaient totalement désuets, comme l’extinction  des feux le soir à dix heures.  Je me suis érigé en contestataire de ce système et au bout de deux ans on me mit dehors, ce qui a été la grande bénédiction de ma vie, je ne le cache pas, et j’ai été nommé à Bruxelles, à la Maison St.Ignace, rue Washington, avec comme mission de faire une percée à l’ULB, mais on m’avait gardé des cours à Namur et j’étais en outre professeur de sciences religieuses à Anvers ;  cette année là je passai beaucoup de temps dans les trains et les tramways et mes patrons m’ont dit : Anvers et Louvain, c’est suffisant.
Aux Facultés de Namur, en 1947, je préparais ma thèse de doctorat.  J’ai fait alors la connaissance du Père Debauche dont je suis devenu très proche et qui m’a confié l’aumônerie d’un petit groupe d’étudiants en médecine qui s’est appelé « équipe d’Hippocrate ».

AMA : Un homme charmant, très cultivé, très ouvert, que j’ai bien connu comme professeur de philosophie en 1ère candidature.  Il avait été blessé pendant la première guerre et avait une balle logée près du cœur que je me souviens avoir vue sur des radiographies.

M. le Maire : Le Père Debauche était en outre un précurseur.  Il nous répétait sans cesse que la médecine de papa, libérale et paternaliste, avait fait son temps.  La médecine doit être sociale : les pauvres doivent être aussi bien soignés que les riches.  En 1948, mon équipe d’Hippocrate arrivait en 2e candi à Louvain où je l’ai suivie.  Très vite, elle a souhaité transformer en « maison médicale » la maison qu’elle avait louée au 17, rue Notre-Dame.  Ce souhait s’est réalisé en 1955.  En 1956, la Maison médicale était solennellement inaugurée par le recteur de l’université et par le doyen de la Faculté.  Le président du Cercle y habitait, ainsi que les délégués de cours, quelques responsables d’Hippocrate (chaque année voyait naître une nouvelle équipe d’Hippocrate) et quelques grosses légumes du Cercle.  Comme aumônier d’Hippocrate on m’avait aussi donné un bureau.  Très vite, j’ai été « adopté » par les étudiants du Cercle qui m’ont nommé aumônier de la Faculté tout en popularisant mon vieux totem scout  « Ourson » qui me reste encore aujourd’hui.  La « Mémé », comme on l’a appelée rapidement est devenue très vite le centre de toutes les activités organisées par les étudiants : conférences de toutes sortes, organisation des sports, exposition des firmes pharmaceutiques, bal de la Faculté, revue de médecine, etc …   Mon activité alors était principalement de type religieux : on avait des messes de cours, des récollections, des conférences.  Il y avait énormément de vitalité.  Ultérieurement, deux événements fondamentaux ont modifié la structure de l’Université : le Concile Vatican II (1965) et la décision du « splitsing » de l’UCL.  Le Concile a apporté une sorte de libération de toutes les oppressions ecclésiastiques et surtout morales.    Avant, la réglementation était incroyable, une religion de terreur, qui n’avait rien à voir avec l’Evangile.  Le Concile a été une espèce de grand coup de vent.  Certains ont dit que la libération était telle que l’Eglise ne représentait plus rien du tout.  Je crois personnellement que ce fut tout à fait bienfaisant et qu’on en vit encore les bienfaits aujourd’hui.  Bien entendu, il y a eu des excès, des outrances, mais le résultat fut globalement très positif.  Il y a eu une effervescence intellectuelle et religieuse : il y avait des réunions partout.  Ce coup de vent nous a rafraîchis.
Le second événement important est la fracture de l’Université.  Je me souviens qu’en 1962-1963, le Cardinal Suenens avait prononcé une phrase pathétique : « Le splitsing serait un suicide sans précédent. »  Deux ans après, la chose était décidée après le « Walen buiten ».  Très tôt, nous avons appris que nous ne suivions pas l’Université à Louvain-la-Neuve : la décision d’implanter la Faculté de Médecine à Woluwe fut prise, grâce à Lavenne et De Somer qui avaient programmé un hôpital complémentaire à Bruxelles, sur un terrain mis à disposition par le baron Fallon.  L’Université décida que, puisqu’il y aurait un hôpital, il était préférable que la Faculté émigre à Woluwe.  Nous nous sommes battus, en vain, pour ne pas venir à Woluwe, mais la chose était décidée et les étudiants n’ont rien eu à dire.

AMA : La localisation de l’hôpital universitaire à Bruxelles capitale a pourtant des avantages, étant donné la patientèle potentielle de la région et la facilité des trajets pour les étudiants de Bruxelles.  A Louvain-la-Neuve, il aurait fallu englober la clinique d’Ottignies et son personnel médical, ce qui n’eut pas été simple.

M. le Maire : Par contre, le passage à Woluwe allait être pénible pour les étudiants, qui allait être pieds et poings liés par l’Administration de l’Université, alors qu’à Louvain nous étions tout à fait libres.  A Woluwe, nous étions sous la mainmise de l’Université qui devenait notre patron logeur et notre guide culturel.  Prévoyant cette évolution, les étudiants m’ont demandé d’être en quelque sorte leur représentant, parce que plus âgé et ancien professeur ;  j’avais plus de densité et pouvais mieux résister à l’emprise des administrateurs de l’UCL.

AMA : Cette relative autonomie vis-à-vis de l’Université est très importante.  Le problème est le même pour les associations d’anciens et la formation post-graduée.

M. le Maire :  Pour moi et les étudiants, le passage à Woluwe fut un appauvrissement.  Du milieu bouillonnant à Leuven, nous sommes tombés dans un véritable désert de boue, d’habitations et d’étudiants, car il n’y avait au début que deux années ;  il a fallu 5 ou 6 ans pour que le déménagement de la Faculté soit complet.   Ce fut également pendant quelques années un appauvrissement intellectuel et spirituel.
Puis il y eut la réforme des études de médecine ;  j’en entends parler depuis 1948, ce qui n’a pas empêché que la pression sur les étudiants devienne de plus en plus forte.  La conséquence est que les étudiants sont de moins en moins intéressés par ce qui n’est pas les études et que leur culture s’en ressent.  A Louvain, nous avions les grandes conférences Saint-Luc, toujours remarquables, et le contact permanent avec les étudiants et les professeurs des autres facultés.  Nous avons perdu ici un instrument de culture et de contact.

AMA : Pourquoi n’organisez-vous plus ces rencontres, ces débats, ces conférences ?

M. le Maire : Parce que les étudiants n’ont plus le temps : nous avons pourtant essayé.  La division en semestres a été une catastrophe au point de vue de la vie culturelle … A partir du 1er décembre, il n’y a plus moyen d’organiser des activités culturelles.

AMA : C’est la même chose avec le « parrainage à la carte » facultatif que l’AMA organise, des rencontres d’un jour sur le terrain avec divers types de pratique médicale : cette action rencontre un succès notable, mais uniquement pendant le premier trimestre.

M. le Maire : A Leuven, la vie intellectuelle se poursuivait jusqu’au pèlerinage à Saint-Joseph !    Et ce n’est qu’alors que les étudiants s’inquiétaient et se consacraient uniquement à la préparation des examens (fin mars, début avril).

AMA : Certains attendaient que les marronniers fleurissent !

M. le Maire : La suppression des examens de janvier n’a pas changé grand chose, l’esprit est resté.  Chose curieuse.  Les étudiants aimaient avoir un certain contact avec un aumônier : ce n’était pas une direction de conscience, on parlait de tout et de rien.  Aujourd’hui, ces contacts sont tombés… Ici je passe des journées entières à Woluwe, sans voir un étudiant.  Ils n’ont plus le temps !
Le seul loisir qui leur reste, c’est la fameuse soirée du mercredi, une guindaille où ils se défoulent.  Au début, j’allais leur dire bonjour, mais il faudrait des oreilles spéciales pour résister à ce nombre de décibels.
Ce rôle de conseiller a beaucoup diminué.  Par contre, comme j’ai connu pas mal de professeurs en tant qu’étudiants, je peux leur demander de petites faveurs pour des étudiants qui me paraissent le mériter.  Par exemple, obtenir qu’un étudiant qui devait repasser un examen auquel il n’avait que 11 ou 12, en soit dispensé : je devais parfois insister, mais j’obtenais souvent gain de cause.  Je savais que c’était un étudiant honnête et pas un « tuyauteur » professionnel.  J’aidais les étudiants en fonction de la connaissance que j’avais d’eux.
Aujourd’hui, des étudiants viennent me trouver : ils me considèrent un peu comme la mémoire du Cercle ; ce n’est pas seulement administratif, mais plus vivant que cela.  D’autres viennent me demander de les marier, de baptiser leurs enfants.  Je participe un peu à leur vie spirituelle.  Pour un mariage, je les vois cinq ou six fois ;  en ce qui concerne la réussite du mariage, j’ai d’assez bonnes statistiques personnelles.  Je leur dis toujours :  vous n’êtes pas obligés de vous marier religieusement ; si vous le faites, faites-le sérieusement.  Le travail de préparation est la condition.  Je ne marie pas des étudiants qui n’ont pas envie de travailler.  Ils doivent donc travailler.  Cela dure 4 à 5 mois : ils ont le temps de se remettre en question.  Et cela, c’est un très beau ministère.

AMA : Etes-vous confronté à d’autres problèmes ?  La drogue, le suicide des jeunes, l’alcoolisme ?

M. le Maire : La drogue, pas du tout.  Le suicide, il y en a sans doute, mais ce n’est pas ceux là qui viennent chez moi … et quand on en parle, les professeurs qui peuvent être concernés sont d’une discrétion totale.  Le SIDA, il n’y a pas beaucoup d’étudiants qui sont pris là dedans.

AMA : Avez-vous l’impression qu’il y a un certain relais par les psychiatres ?

M. le Maire : Certainement.  Un certain nombre de ceux qui allaient trouver l’aumônier, consultent aujourd’hui les psychiatres.  Dans le temps, j’avais une bonne collaboration avec les psychiatres : nous nous envoyions des étudiants …

AMA : Et les contacts avec les étudiants étrangers ?  Il y a eu les Américains à une époque, les juifs New-Yorkais.

M. le Maire : J’en ai eu quelques-uns uns qui venaient très régulièrement chez moi : on bavardait à n’en plus finir, y compris de religion.  Il n’y en a plus à l’heure actuelle.  Actuellement, ce sont surtout des étudiants venus du Maghreb.  Ils viennent me voir surtout pour des problèmes financiers, comme beaucoup d’étudiants étrangers d’ailleurs.  Ils savent que, chez moi, il n’y a pas de formalités.  Tandis qu’au service social de l’Université, il faut remplir des conditions bien précises.

AMA : Avez-vous un budget pour ces aides ?

M. le Maire : Oui ! Modeste.  Il s’agit du produit de mariages, de quelques dons ; le cercle médical contribue à ce budget.

AMA : Il est important que nos lecteurs sachent qu’il est possible, par votre intermédiaire, d’aider des étudiants en difficulté, sans formalité, sans frais administratifs et en toute discrétion.

M. le Maire : Les budgets s‘épuisent vite en effet.  Mais deux mille francs par mois à un étudiant qui a à peine de quoi vivre, cela peut être utile.  Il y a des bourses qui tardent à arriver ou qui n’arrivent pas du tout.  Dans les contacts avec les étudiants, je m’efforce aussi de les aider et de les encourager à achever leurs études, à ne pas abandonner ;  je vais parfois trouver le Doyen pour que tel ou tel étudiant puisse bisser ou trisser son année, alors qu’il est hors norme et désespéré … et parfois cela marche !

AMA : Il faut penser aussi que l’on forme des gens qui vont avoir une très lourde responsabilité et qui doivent donc faire la preuve d’un minimum de connaissances.

M. le Maire :  Je sais.  J’ai plutôt confiance dans des gens pareils, parce qu’ils sont souvent très humbles et ne font pas de bêtises, s’entourent de conseils et d’avis parce qu’ils savent très bien que ce n’est pas facile.  Ce qui n’est pas toujours le cas de gens très brillants qui se croient sortis de la cuisse de Jupiter.

AMA : Et les étudiantes viennent-elles plus facilement vous trouver ?

M. le Maire : Ce qui a changé, ce sont les relations entre filles et garçons.  Au début, ils étaient très séparés.

AMA : Ou bien on flirtait ou bien on ne se parlait pas.

M. le Maire : Oui.  Ensuite, il y a eu l’influence assez négative de la libération sexuelle.  Cela a été assez fort.  Mais actuellement, les filles sont parfaitement intégrées, plus appliquées que les garçons me semble-t-il.  Bizarrement, les filles viennent moins me trouver que les garçons.  Je les vois plus par contre à l’heure de messe.  On dit maintenant que les gens ont perdu la foi : je pense qu’il n’en est rien.  Une certaine pratique est moins forte qu’il y a quelques années, mais la foi est là …  Par exemple, lorsque le professeur Dhem faisait dire ce qu’on appelait un peu irrévérencieusement « la messe des macas » (voir encadré) pour honorer les gens qui avaient donné leur corps à l’Université, il y avait un monde fou, pratiquement tout l’auditoire était là et presque tous communiaient.  A la messe de promotion, il y a de plus en plus de monde.  Ils n’ont pas perdu la foi, mais bien un certain sens de la pratique réglementaire ;  c’est un peu la même chose pour nous d’ailleurs.  Et ils ont perdu, ce qui est une bonne chose, la notion de péché lié aux manquements dans cette pratique.  Dans ce domaine, je suis plutôt optimiste.

AMA : Père, avez-vous des projets ?

M. le Maire : (rire)  J’ai le projet de me retirer, ayant dépassé les quatre-vingt ans.  Il serait raisonnable que l’on me remplace et je l’ai demandé aux étudiants qui sont mes patrons. Ils sont allés trouver le provincial et l’évêque, en vain : il n’y a plus de prêtre qui estime que c’est un apostolat intéressant, alors que je trouve que c’est un très beau métier.  J’ai donc le projet de continuer le plus longtemps possible.

AMA : De quoi vivent vos patrons, la Mémé ?

M. le Maire : La Mémé est le domaine de tous les responsables du Cercle : elle vit en partie de la location d’une partie de nos locaux.  C’était des chambres d’étudiants, mais elles étaient trop bruyantes : elles sont actuellement occupées par une école hôtelière.  En outre, les étudiants versent à la Mémé une cotisation qui donne pas mal d’avantages, notamment une réduction sur le prix des livres de cours (CIB).  Nous avons un assez modeste subside de l’UCL, par contre nous devons payer à l’Université un loyer assez plantureux.

AMA : Ce que vous appelez vos locaux, sont en fait loués par l’Université ?

M. le Maire : Les étudiants considèrent que c’est le prix de leur indépendance.  L’UCL entend serrer la vis, supprimer les soirées dansantes, etc … C’est peut-être utile à Louvain-la-Neuve, mais à Woluwe c’est très différent : il n’y a pas de rues ici.  C’est un morceau de faubourg : il n’y a pas de guindailles installées, ce que je regrette parfois.

AMA : L’alcool, n’est-ce pas un problème chez les étudiants ?

M. le Maire : Un problème chez certains, mais quasi toujours temporaire : dès qu’ils sont médecins, c’est terminé.

AMA : Avez-vous des contacts avec les parents d’étudiants ?

M. le Maire : Quasi aucun.  Il y a 20 à 30 ans, des parents me demandaient parfois de surveiller leur rejeton : je refusais, ce n’était pas ma mission.  Pour certains à l’Université, j’aurais dû me poster à la porte des studios et empêcher les filles d’entrer chez les garçons et vice-versa.  Ce n’était pas mon métier et j’ai également refusé.

AMA : Merci, Père le Maire, de vous êtes soumis à la question et de nous avoir décrit votre mission d’aumônier de nos étudiants.  Que nos lecteurs sachent qu’ils peuvent vous aider financièrement dans votre mission de soutien bien ciblé et sans tracasseries administratives à des étudiants en médecine méritants et en situation économique difficile.


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