Numéro 17 :

Les interviews de l'AMA-UCL

La recherche, mission essentielle de l'Université.
Le professeur Robert Lauwerys, prorecteur pour les sciences médicales

 


AMA-Contacts : Monsieur le professeur, quel est en tant que prorecteur votre rôle dans la recherche médicale ?
R.L.  Le Prorecteur assiste le recteur dans l'exécution de sa mission.  C'est ainsi qu'il participe, avec les deux autres prorecteurs (sciences humaines, sciences exactes), aux travaux du Conseil rectoral qui peut être considéré comme l'organe exécutif assurant les tâches de direction générale de l'Université.
Il exerce aussi le rôle de conseiller scientifique, c'est-à-dire qu'il assure le meilleur relais entre la politique scientifique de l'Université et celle des six écoles de la Faculté de Médecine et des Cliniques Universitaires.
Le prorecteur assure actuellement la présidence du conseil de recherche de l'université dont les objectifs sont de :

  • soutenir les pôles d'excellence en recherche existants ou en devenir
  • encourager et dynamiser les jeunes académiques, leaders ou leaders potentiels d'une équipe de recherche
  • attirer au doctorat des candidats prometteurs
  • faciliter le séjour de post-doctorands UCL à l'étranger et attirer des post-doctorands étrangers
  • stimuler la participation à des réseaux européens
  • favoriser la constitution d'environnements propices à l'encadrement des doctorands et à l'amélioration de la qualité de la recherche (écoles doctorales, instituts de recherche)
  • insuffler une culture d'évaluation de la recherche
  • maintenir l'éthique de la recherche.

A cette fin, le conseil de recherche propose des répartitions de budget pour les pôles d'attraction interuniversitaires, les actions de recherche concertées, les fonds spéciaux de recherche, les programmes d'impulsion, les mandats d'aspirant et de chargé de recherche UCL, les bourses postdoctorales, les prix pour postdoctorands étrangers, les investissements en logistique scientifique (bibliothèque informatique).

AMA-Contacts : La recherche médicale est donc une activité importante et nécessaire de l'université ?
R.L.  C'est une des missions essentielles de l'université de mener des activités de recherche (outre ses missions d'enseignement et de services spécialisés) qu'elles soient fondamentales faisant reculer les limites du savoir ou orientées permettant la transposition des connaissances nouvelles au niveau de la société au sens large.
Les progrès dans les méthodes diagnostiques et thérapeutiques sont tributaires de la recherche.  Celle-ci est aussi nécessaire pour que la faculté puisse remplir correctement son rôle de formation de professionnels de la santé (médecins, dentistes, pharmaciens, kinésithérapeutes …).  En effet comme indiqué dans le rapport UCL 575 qui constitue la charte stratégique actuelle de l'UCL, former les jeunes à l'acquisition du savoir s'acquiert essentiellement par la participation des enseignants à la recherche.  "Même si l'exploration s'arrête un jour, celui qui a participé à la recherche est le mieux à même de se tenir à la pointe de la connaissance et de remplir la mission de formation des étudiants."
La Faculté de Médecine mène donc au sein de ses diverses écoles, instituts et cliniques universitaires, des recherches expérimentales et cliniques, les deux approches étant profondément imbriquées : la recherche clinique prolonge la recherche fondamentale et une recherche expérimentale orientée peut être motivée par des observations cliniques.
On peut affirmer qu'au cours des trente dernières années, la Faculté de Médecine de l'UCL a opéré un rapprochement considérable entre la recherche biologique de base et la recherche médicale appliquée.  Ce rapprochement fut certes favorisé par le regroupement sur le site de Bruxelles d'entités de soins et de recherche qui auparavant étaient géographiquement dispersées.
L'intégration hospitalo-facultaire est devenue une réalité.  Une approche multidisciplinaire alliant les sciences fondamentales et la recherche clinique permet une transposition rapide aux patients des progrès acquis dans les disciplines biologiques de base.  La révolution biologique que nous connaissons actuellement suite au foisonnement des découvertes dans les domaines de la génétique et de la biologie moléculaire ne fera que renforcer cette approche multidisciplinaire dans l'intérêt du patient qui reste, il convient de le souligner, au centre des préoccupations de la Faculté de Médecine.

AMA-Contacts :  Plus précisément, quels sont à l'UCL, les lieux de cette recherche médicale ?
R.L.  Elle s'effectue dans les unités de recherche réparties dans les 13 départements ou écoles de la Faculté, l'Institut International de Pathologie Cellulaire et Moléculaire Christian de Duve, l'Institut Ludwig de recherche sur le cancer et dans les cliniques universitaires Saint-Luc et de Mont-Godinne.
Comme je l'ai signalé plus haut, la recherche implique souvent la collaboration de plusieurs entités de recherche fondamentale et/ou clinique.  Elles se regroupent ainsi en centres recherche virtuels permettant une approche multidisciplinaire d'un sujet de recherche.
Cette collaboration entre équipes de chercheurs peut d'ailleurs déborder le cadre facultaire et impliquer d'autres facultés de l'université (par exemple recherche sur les biomatériaux en collaboration avec la Faculté des Sciences Appliquées, recherche sur l'économie de la santé en collaboration avec la Faculté des Sciences Économiques, Sociales et Politiques, …)  voire d'autres universités  belges et étrangères (par exemple dans le cadre de projets financés par l'Union Européenne).  Les recherches cliniques visant à évaluer l'efficacité thérapeutique de médicaments sont souvent multicentriques nécessitant la collaboration de plusieurs institutions de soins belges et/ou étrangères.

AMA-Contacts : Comment recruter les médecins chercheurs ?  Quel est leur profil ?
R.L.  De manière assez arbitraire on peut considérer deux profils de médecin chercheur.  Celui qui pendant ses études de médecins est déjà attiré par la recherche, est habituellement accueilli dans un laboratoire de la faculté comme étudiant chercheur et au terme de ses études de médecine poursuit une activité de recherche.  Celle-ci peut se réaliser à temps plein ce qui suppose habituellement l'obtention d'un mandat de chercheur auprès d'un fonds de recherche ou à mi-temps lorsqu'il s'agit d'assistants UCL ayant également des charges d'encadrement pédagogique.

AMA-Contacts : Quel est l'avenir de ces médecins qui se consacrent entièrement à la recherche ?
R.L.  Les plus brillants deviennent chercheurs permanents au FNRS, d'autres passent dans le cadre académique universitaire.  Certains sont recrutés par des firmes privées, pharmaceutiques ou de biotechnologie.  D'autres se réorientent vers une spécialité médicale.
L'autre profil de médecin chercheur correspond au médecin assistant candidat spécialiste qui au cours de sa spécialité manifeste un intérêt pour une activité de recherche.  C'est pour rencontrer ce souhait qu'en 1996 un fonds de recherche clinique a été constitué sur l'initiative du centre médical des cliniques universitaires.  Ce fonds permet d'offrir des mandats de chercheur mi-temps ou temps plein à des jeunes cliniciens dans le but principal de réaliser une recherche au sein des cliniques universitaires et/ou des laboratoires de la Faculté de Médecine pouvant mener à la réalisation d'un doctorat en sciences médicales.  Ce fonds est financé par la Fondation Saint-Luc, le patrimoine facultaire et les cliniques universitaires.  Le temps consacré à la recherche par ces candidats spécialistes est assimilé par la commission d'agréation des spécialistes à 50 % du temps de la formation clinique.  Cette légère prolongation de la durée de la spécialisation est compensée par l'acquis indéniable pour la carrière clinique de ces jeunes spécialistes.

AMA-Contacts : Comment la recherche médicale est-elle financée en Belgique ?  Les crédits sont-ils suffisants ?
R.L. Il existe plusieurs sources de financement de la recherche biomédicale :

La Communauté française via l'allocation de fonctionnement de l'institution qui sert essentiellement à assurer le salaire de chercheurs (académiques, scientifiques temporaires) et l'entretien des locaux de recherche, via les fonds spéciaux de recherche et via les actions de recherche concertée.

  • La Région wallonne (recherche orientée transposable dans l'industrie, telle la découverte d'agents anti-infectieux).
  • Les "grands fonds" : FNRS, FRSM (fond de la recherche scientifique médicale), Télévie.
  • Les services du Premier Ministre, Affaires scientifiques, techniques et culturelles (SSTC).
  • L'Union européenne (recherche orientée).
  • Les firmes pharmaceutiques (en général recherche clinique visant à évaluer l'efficacité d'un médicament, plus rarement recherche fondamentale sur les mécanismes physiopathologiques).
  • Divers fonds alimentés par le mécénat tels le Fonds Maisin, le Patrimoine facultaire, le Fonds de recherche clinique, la Fédération belge contre le Cancer …
  • Les Cliniques universitaires réservent une partie de leurs ressources au financement de la recherche clinique (la majorité des cliniciens consacrent une partie de leur temps à des activités de recherche).

Cette multitude d'organismes allouant des fonds pour la recherche peut donner l'impression de financement adéquat de la recherche médicale en Belgique.  Au contraire, l'insuffisance du financement de la recherche constitue un défi majeur auquel la Faculté est constamment confrontée.
La Belgique consacre à sa recherche médicale, par habitant, dix fois moins d'argent que les Etats-Unis et moins que chacun de ses voisins.  Notre Faculté bénéficie heureusement de l'aide de nombreux mécènes qui, par le biais de la Fondation Saint-Luc, la Fondation Joseph Maisin, le Fonds du patrimoine facultaire et le Fonds de recherche clinique, permettent à de nombreux jeunes d'envisager une carrière de chercheur et d'assurer ainsi la pérennité d'une recherche biomédicale de pointe.  Il n'en reste pas moins ardu de permettre à un nombre suffisant de jeunes cliniciens de s'initier à la recherche.  Or accroître cette possibilité est, à mes yeux, essentiel pour l'essor de la recherche biomédicale qui justifie le caractère universitaire de nos cliniques.  A cette fin nous devons veiller à augmenter le budget du Fonds de recherche clinique lequel constitue souvent pour les jeunes cliniciens la seule source de financement leur permettant de se consacrer à une recherche au sein des laboratoires facultaires.

AMA-Contacts : La recherche fait-elle l'objet d'une surveillance éthique ?
R.L.  Toute recherche impliquant un être humain bénéficie de l'aide éclairée de la commission d'éthique biomédicale hospitalo-facultaire afin qu'elle se réalise constamment dans le total respect de la dignité et du bien-être des volontaires et des patients qui y collaborent.

AMA-Contacts : Y a-t-il une déontologie de la recherche ?
R.L.  Elle est bien nécessaire.  Au cours des dernières années, plusieurs journaux scientifiques internationaux ont rapporté des cas de falsification de résultats de recherches ayant déjà fait l'objet de publications.   A toutes fins utiles, l'Université a dès lors édicté des règles déontologiques relatives à la recherche et a notamment précisé les comportements qui devraient être assimilés à une faute déontologique grave.  L'Université a aussi constitué une commission de déontologie dont la mission est d'élaborer une procédure d'instruction des plaintes relevant de la déontologie de la recherche, d'instruire toute plainte dont elle serait saisie et d'en faire rapport au Recteur.

AMA-Contacts : Pouvez-vous nous citer des exemples de recherche médicale à l'UCL ?
R.L.  Les thèmes de recherche abordés au sein des diverses écoles de la Faculté de Médecine couvrent un large spectre qui va des problèmes biomédicaux les plus fondamentaux aux sciences humaines et à la santé publique.  Les différentes approches sont de plus en plus souvent combinées parce qu'elles se fécondent mutuellement.
Dans tous les départements de sciences fondamentales, les laboratoires accueillent régulièrement des médecins cliniciens qui viennent se former à la recherche avant de retourner dans les services hospitaliers où ils poursuivront leurs propres projets en collaboration avec des unités facultaires.
Dans le cadre de cette interview, il est impossible de mentionner les multiples programmes de recherche multidisciplinaire réalisés dans les écoles de la Faculté de Médecine.  On en trouvera l'énumération dans la brochure "Recherches" publiée par l'Administration de la Recherche.  A titre illustratif, j'évoquerai ici trois pôles d'excellence de recherche fondamentale et clinique.
D'abord, l'Institut International de Pathologie Cellulaire et Moléculaire (ICP) fondé en 1974 par le Professeur Christian de Duve, prix Nobel de médecine, et actuellement dirigé par le professeur Thierry Boon, Prix Francqui.  Cet institut regroupe des équipes de recherche en biochimie, biologie cellulaire et moléculaire, microbiologie, immunologie, génétique,  et accueille la branche belge de l'Institut Ludwig de recherche sur le cancer.  L'institut compte environ deux cent cinquante chercheurs et techniciens.  Vingt pour cent des chercheurs sont étrangers.  Son but est de faire bénéficier la santé et le bien-être humain des progrès des sciences biologiques fondamentales ou, pour reprendre une expression chère à son fondateur, "aider à traduire la révolution biologique en une deuxième révolution médicale".  L'ICP constitue la parfaite illustration d'un pôle d'excellence où le fossé entre recherche biologique fondamentale et recherche appliquée est largement comblé, selon sa devise "mieux comprendre pour mieux guérir".  L'excellence des recherches menées à l'ICP vient encore d'être confirmée par l'attribution du Prix Baillet-Latour 2000 à deux de ses chercheurs : les professeurs J. Van Snick et J.C. Renauld.
Autre exemple, dans un domaine plus clinique, je citerai la transplantation d'organes ou de tissus (rein, foie, cœur, poumon, moelle osseuse) qui constitue un fleuron de nos cliniques universitaires.  Ces activités sont réparties dans plusieurs services des Cliniques Saint-Luc et de Mont-Godinne et se réalisent en symbiose avec des unités facultaires qui s'emploient à étudier les mécanismes de rejet dans le but d'améliorer la tolérance des organes humains greffés voire dans l'avenir à permettre le recours aux xénogreffes.
Comme troisième exemple illustrant l'articulation de la recherche fondamentale et clinique, j'évoquerai celle menée par des équipes de recherche des départements de médecine interne et de physiologie qui collaborent à l'étude de la défaillance ou décompensation cardiaque faisant suite aux deux maladies cardio-vasculaires les plus fréquentes, la maladie coronaire et l'hypertension artérielle.  La décompensation cardiaque est devenue la cause la plus importante de morbidité et de mortalité en cardiologie.  Ce projet de physiopathologie et de pharmacologie de la décompensation cardiaque combine différents modèles expérimentaux approchés sous l'angle clinique, physiologique, biochimique et pharmacologique.  Cette intégration devrait permettre un meilleur traitement de la décompensation cardiaque influençant directement son pronostic.  Je signale que le professeur Jacques Melin vient d'obtenir le prix quinquennal J. Maisin du FNRS pour ses travaux sur la décompensation cardiaque.
Me limitant à trois pôles de recherche fondamentale et clinique, je réalise que mon propos effleure à peine la longue liste de recherches biomédicales de pointe amplement décrites dans les rapports des unités facultaires et ceux des cliniques universitaires.

AMA-Contacts : Merci, Monsieur le prorecteur, d'avoir bien voulu vous soumettre à cette interview qui permettra à nos lecteurs de saisir l'importance de la recherche médicale et la lourdeur de la tâche de notre École de Médecine qui doit remplir trois missions essentielles : enseignement, recherche et soins de santé.


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