Numéro 15 :
Les interviews de l'AMA-UCL
Professeur Guy CORNU : l'enseignement continu (ECU-UCL)
AMA : Comment définir l'enseignement continu ?
G.C. : L'enseignement continu englobe toutes les méthodes destinées à maintenir, développer et actualiser les connaissances des médecins et leur permettre d'assumer ainsi leur rôle dans la société, tout au long de leur carrière; c'est essentiellement une mise à jour des connaissances, dont la qualité et la pertinence sont garanties, dans le cas de l'ECU, par notre Université.
AMA : En ce qui concerne la médecine générale, un tour complet des connaissances ne doit-il pas être prévu périodiquement ?
G.C. : A l'ECU, nous avons opté pour une revue des connaissances utiles à un médecin de première ligne tous les cinq ans. Pour le spécialiste, son domaine étant plus limité, mais plus pointu, les cycles doivent en principe être plus courts.
AMA : L'enseignement continu s'inscrit-il dans des obligations légales ?
G.C. : Pas vraiment. La mise à jour des connaissances est avant tout une obligation morale et éthique. L'accréditation est légale, certes, mais n'est actuellement pas obligatoire, encouragée par certains avantages accordés au médecin recyclé : un meilleur remboursement de la prestation de consultation et une prime annuelle (actuellement 20.000 francs), qui permet tout au plus de couvrir les frais de la formation continue.
AMA : Quel est le statut de l'ECU ?
G.C. : L'ECU est une commission facultaire. L'Université estime qu'elle doit veiller à ce que ses anciens aient à leur disposition une formation post-graduée de qualité.
AMA : L'Université considère à juste titre qu'elle a le devoir d'assurer un enseignement continu, mais est-ce qu'elle en a l'apanage ? Y a-t-il d'autres acteurs que les universités impliquées dans cet enseignement ?
G.C. : Il y a certes d'autres organes qui participent à l'enseignement continu. Notamment des sociétés scientifiques tant spécialisées que de médecine générale : elles font le plus souvent appel à des enseignants universitaires, mais à titre individuel. Des petits groupements, de type association professionnelle ou régionale, ont également voulu jouer un rôle dans la formation continue : la bonne volonté y est toujours, mais pas toujours la qualité.
AMA : Et le rôle des firmes pharmaceutiques ?
G.C. : Il est certain que ces firmes espèrent profiter de l'enseignement continu pour faire connaître leurs produits. Les formations qu'organisent ces firmes sont donc souvent manipulées, biaisées …
AMA : Parmi ces différents acteurs, quels sont les atouts de l'Université ?
G.C. : Etant impliquée dans la recherche, l'Université peut apprécier la valeur pratique des découvertes et des progrès de la médecine et, ayant la fonction et l'expérience de l'enseignement, elle a de toute évidence une parfaite compétence pour prendre en charge l'enseignement continu.
AMA : Ne pensez-vous pas que si les universités francophones de notre pays s'entendaient pour établir un programme commun, il y aurait moins de redites, moins de rivalité stérile et une force plus grande vis-à-vis de l'enseignement continu non universitaire, parfois moins valable ?
G.C. : J'apprécie cette réflexion que vous faites, elle est essentielle : il est clair que la dispersion est toujours néfaste et que nous vivons dans un monde où l'Université est souvent contestée ou critiquée. Nous ne parvenons pas, en raison même de nos dissensions, à constituer une force suffisamment respectée pour être universellement appréciée.
AMA : Les choses sont-elles plus rationnelles dans le nord du pays ?
G.C. : Je crois qu'il y a eu en Flandre une meilleure entente interuniversitaire, avec notamment une ébauche de programme interuniversitaire : néanmoins tout est loin d'être parfait.
AMA : Comment l'enseignement continu est-il financé ?
G.C. : La réponse est simple : il n'y a pas de financement. On nous a demandé d'être autonome, "self-supporting". C'est à nous de trouver les moyens financiers. D'une part, nous demandons une participation aux médecins qui suivent notre formation, d'autre part, nous sollicitons un soutien des firmes pharmaceutiques, mais nous veillons à ce que jamais ce "sponsoring" n'influence le choix des sujets ou des orateurs.
AMA : Cette trésorerie à peine équilibrée ne vous empêche-t-elle pas d'investir dans des équipements plus performants ou des projets novateurs ?
G.C. : J'apprécie la remarque implicite dans cette question. Notre enseignement est proche du mode traditionnel : enseigner le savoir et actualiser les connaissances sous la forme de sessions magistrales, d'ateliers et de petits séminaires où des problèmes précis sont discutés. Une autre forme d'enseignement mérite notre attention : les multimédias par CD-Rom ou Internet. Elle va sans doute prendre une importance de plus en plus grande : nous ne pouvons pas l'ignorer, mais la mise sur pied de ce type de formation exige des moyens financiers qui devraient nous venir de l'état, de l'Université ou de l'INAMI.
AMA : Est-ce la même chose pour les autres facultés ?
G.C. : Oui. L'enseignement continu est laissé en jachère !
AMA : L'enseignement continu organisé par l'ECU ne devrait-il pas concerner également les spécialistes et les paramédicaux ?
G.C. : En ce qui concerne les spécialistes, il faut reconnaître que cette formation existe et est correctement structurée tant au sein de la Faculté via les départements cliniques, qu'à partir de sociétés scientifiques encadrées par les départements hospitaliers. En tant que commission facultaire de formation continue, nous sommes prêts à apporter un soutien à la formation postgraduée des spécialistes mais il y a peu de demandes et probablement pas de nécessité actuellement. En ce qui concerne les paramédicaux (par exemple, kinésithérapie et nursing), les départements concernés présents sur le site de Woluwé organisent une formation continuée; il en va de même de la dentisterie et de la pharmacie. Mais pour le moment, il n'y a pas de projets communs, ni de passerelles entre la médecine et ces différentes matières en fait très proches. Il serait souhaitable d'établir une communication entre ces différentes organisations : se rencontrer, comparer nos méthodes, s'enrichir de l'expérience des uns et des autres.
AMA : De tels contacts ont-ils déjà été établis ?
G.C. : Uniquement à un niveau individuel en ce qui concerne notamment la médecine dentaire et la pharmacie. Nous invitons des membres du nursing à parler à certaines séances pour généralistes, mais il n'y a pas eu de réunions communes à la médecine générale et aux soins infirmiers.
AMA : Ne devrait-on pas envisager une évaluation de l'enseignement continué ?
G.C. : Nous évaluons nos enseignants : après chacune de nos séances d'enseignement nous rassemblons une dizaine de médecins participants qui se réunissent pour donner leur appréciation : les objectifs ont-ils été rencontrés ? l'exposé était-il clair, le syllabus était-il intéressant et bien fait ? une discussion intéressante a-t-elle pu être organisée ? avez-vous pu en retirer des éléments utiles pour votre pratique ? Nous tenons compte de cette évaluation pour améliorer notre enseignement.
AMA : Et l'évaluation des enseignés ?
G.C. : Ceci est beaucoup plus difficile. Tout d'abord nous ne sommes pas les seuls à offrir une formation continue et pas mal de médecins participent également à d'autres enseignements. L'INAMI s'efforce d'apprécier la qualité de la médecine en Belgique et de savoir si la prescription des médicaments et des examens complémentaires biologiques ou médico-techniques s'améliore, mais cette appréciation se fait à partir de paramètres indirects, ne permettant qu'une évaluation globale. Mais nous n'avons actuellement pas de moyens d'évaluer l'influence de notre enseignement sur la pratique de tel ou tel médecin.
AMA : Ne pourrait-on envisager une méthode d'auto-évaluation après chaque séance, le médecin prenant ainsi conscience de la qualité de l'apprentissage ? L'informatique devrait le permettre.
G.C. : Certes l'informatique pourrait permettre à un médecin de savoir s'il a correctement assimilé le message qu'il vient d'entendre. C'est très réalisable si l'on en a les moyens financiers. C'est néanmoins un projet pour les prochaines années. Il y a deux formules, qui me paraissent complémentaires : soit une évaluation immédiate par questionnaire après chaque exposé ou chaque séance, soit une évaluation à distance, par exemple annuelle, qui permettrait de savoir si le bénéfice a été réel.
AMA : Est-ce que l'enseignement continu pour généraliste ne devrait pas inclure des stages hospitaliers ?
G.C. : Je crois qu'un stage hospitalier est très utile pour les généralistes lorsqu'ils viennent de terminer leurs études et sont en certification complémentaire, mais je ne suis pas convaincu que 5 ou 10 ans plus tard un stage hospitalier serait franchement bénéfique.
AMA : La décentralisation de l'enseignement continu n'est-elle pas coûteuse : son utilité justifie-t-elle l'effort et le coût ?
G.C. : Cet effort mérite d'être poursuivi bien qu'il exige des enseignants d'y consacrer pas mal de leur temps, dans un horaire déjà très serré. Toutefois les contacts que cette décentralisation permet nous paraissent enrichissants et précieux. Il est possible qu'à l'avenir les progrès de l'informatique rendent plus simples ces contacts avec la province. Par ailleurs, la répétition des séances d'enseignement mène, me semble-t-il, assez souvent à une certaine usure, à une réduction du message, à un effacement des nuances.
AMA : Quel est le rôle du nouvel Institut d'Enseignement Continu que l'UCL vient de créer ? Redécouvre-t-on l'Amérique ? Est-ce un organisme dirigiste, une centralisation bénéfique ou une aide précieuse pour des organes facultaires comme l'ECU ?
G.C. : Cette création témoigne d'une préoccupation de l'Université de sortir de sa tour d'ivoire et de s'ouvrir davantage aux anciens et au monde extérieur. Il est légitime et heureux que l'Université se préoccupe de l'enseignement du 3ème cycle et de la formation continuée et incite tous ses enseignants à participer à cette formation. Je ne crois pas que le but soit de contrôler et de diriger; l'avenir nous le dira. La formation continue est organisée depuis bien longtemps en Faculté de Médecine et notamment par l'AMA-UCL à partir de 1970, avec des pionniers comme Jean Sonnet, Frans Lavenne, Eugène Lebacq et André Lambert.
AMA : Quel est le rôle des associations d'anciens dans la formation continuée ?
G.C. : Les associations d'anciens ont parfois une meilleure perception des besoins des médecins, alors que nous, universitaires, nous vivons un peu dans un cocon intemporel. Par ailleurs, l'enseignement continu doit être concerné également par des problèmes de société, tel que l'éthique et l'économie : cet enseignement a été confié dans notre groupe à l'AMA-UCL. Un bon exemple a été donné lors du Congrès de Médecine Générale à Woluwé : la matinée consacrée à l'aptitude à la conduite automobile a été bien suivie et très appréciée.
AMA : L'Université et l'évolution technologique nous poussent à utiliser de plus en plus l'informatique dans l'enseignement. C'est une évolution inévitable et sans doute souhaitable, mais n'y a-t-il pas un danger : ne risquons-nous pas de perdre le contact humain ? Le regard, revoir son professeur et ses manies, les anciens syllabus, la discussion, les questions, les visages … n'est-ce pas irremplaçable ?
G.C. : Je souscris à cette lecture : les relations humaines, la convivialité entre confrères et avec les enseignants sont essentielles et doivent être préservées. Les communications informatiques sont souvent impersonnelles, manquent parfois d'humanité. Nous devons être attentifs à la part humaine et humaniste dans notre pédagogie.
AMA : Heureux de vous l'entendre dire. Les manipulations informatiques doivent être utilisées différemment dans les sciences humaines que dans les sciences exactes. Merci de ce tour d'horizon, professeur Cornu. Grâce à vous l'enseignement continu à l'UCL est particulièrement performant et bien ciblé.