Numéro 14 :

Les interviews de l'AMA-UCL

Le professeur Didier Moulin, Doyen de la Faculté de Médecine

A propos des études de médecine

 


I. Le numerus clausus.

AMA : Pas mal de nos confrères s'interrogent sur le but et les conséquences du numerus clausus et sur la façon dont les universités francophones et particulièrement l'UCL vont appliquer la loi et gérer cette difficile sélection.

D.M. : Le numerus clausus est une décision politique datant de 1997, qui aura ses effets à partir de 2004. Le nombre d'étudiants qui pourront être diplômés docteurs en médecine en 2004, 2005 et 2006 est fixé pour l'ensemble du pays.

On reparle actuellement de ces quotas parce que les autorités ministérielles doivent prendre une décision quant au nombre de diplômés en 2007 et 2008. Ceci concerne notamment les étudiants qui vont rentrer en septembre prochain. Les doyens des facultés de médecine se sont réunis pour tenter d'évaluer les besoins en médecins dans 10-12 ans, en tenant compte des entrants et des sortants dans la carrière médicale, d'une pléthore qu'on a essayé d'objectiver et d'une croissance estimée minimale de l'activité médicale : quand on intègre ces données, on met en évidence le risque d'une pénurie de médecins vers 2010-2015. Vu la longueur de la formation, ce problème doit être étudié dès à présent !

AMA : Dans cette projection, a-t-on pris en considération les médecins qui abandonnent la pratique ou s'y consacrent à temps partiel et ceux qui s'expatrient ?

D.M. : On n'en a pas tenu compte, car il n'y a pas de données objectives. Il y a un certain nombre de diplômés qu'on ne retrouve plus par exemple dans les listes de l'ordre; une enquête est en cours de façon à préciser combien de médecins ne sont plus répertoriés, soit qu'ils aient une activité dépendant de leur qualité de médecin, sans être sur les listes de l'INAMI, soit qu'ils pratiquent à l'étranger. En outre, il a été tenu compte dans les prévisions d'un certain changement de mode de vie et d'une autre répartition entre vie professionnelle et vie privée (sociale et culturelle), désirée par les générations qui nous suivent.

Ma conviction personnelle est qu'il faut probablement maintenir le système de numerus clausus, mais adapter les quotas aux besoins de notre société. La proposition des doyens était de les augmenter, mais la commission de planification ministérielle n'a pas suivi cette proposition et a suggéré de maintenir les mêmes quotas pour 2007-2008. Il est probable que le pouvoir législatif suivra cet avis de la commission.

AMA : La réticence des pouvoirs publics est probablement due au fait qu'ils estiment que pléthore et dépenses médicales sont liées ?

D.M. : La décision du numerus clausus est due à la conjonction de deux circonstances : d'une part le vécu de la pléthore par certaines catégories de médecins et d'autre part la conviction des autorités responsables du budget qu'il y a liaison entre le nombre de médecins et le coût de la santé. Ce qui n'est toutefois pas clairement démontré.

Il y a 20 à 25 ans, certains prévoyaient la pléthore, mais aucune décision n'a été prise à l'époque; actuellement, il y a une sensation de pléthore, mais on peut craindre une pénurie; il est toutefois difficile de prendre une décision qui s'efforcera d'éviter la pénurie, alors que la pléthore est actuellement évidente. Cela est du à la longueur des études : pour un objectif à long terme, les décisions doivent être prises au moins sept ans à l'avance.

AMA : Beaucoup de confrères comprennent mal la façon dont ce numerus clausus va être appliqué dans les facultés francophones. Comment sera appliquée cette sélection tardive ? Sera-t-elle juste ? Identique dans chaque université ? Et que deviendront les candidats refusés après trois années d'études ?

D.M. Ce sont des questions que nous nous posons également. 1 En Flandre, les modalités de sélection sont différentes et simples : il y a un examen d'entrée. Les étudiants qui auront réussi cet examen vont devenir médecins à la condition de réussir les épreuves académiques.

AMA : Cet examen d'entrée en région flamande n'est donc pas un concours ?

D.M. : Non. Tout qui réussit a accès aux études et au diplôme. Une rencontre récente avec les collègues néerlandophones nous a appris qu'ils ignoraient comment répondre en pratique aux exigences des quotas.

En communauté française, la décision a été différente. Nous étions convaincus qu'une sélection avant l'accès à l'université n'était pas réalisable de manière optimale. Notre option a été d'accueillir tous les étudiants et de leur assurer une certaine formation jusqu'au terme des candidatures tant en dentisterie qu'en médecine. Ceux auxquels l'accès aux études médicales sera refusé ultérieurement auront eu néanmoins une formation diplômante qui peut leur donner accès à d'autres types d'études.

La sélection se fait au cours des trois ans de candidature avec comme hypothèse de travail, que la sélection sera plus adéquate et pourra tenir compte à la fois des capacités académiques et de l'aptitude à pratiquer le métier de médecin; il faut bien admettre que cette aptitude est difficile à évaluer. On peut toutefois définir certains profils. C'est pourquoi aux épreuves académiques ont été ajoutées des épreuves dites d'attestation qui testent différentes aptitudes de ces étudiants à affronter les professions médicales.

AMA : Y aura-t-il des éliminations au cours des trois candidatures ?

D.M. : Au terme de chaque année, après la seconde session d'examens, l'épreuve académique et l'épreuve d'attestation permettent de classer les étudiants selon leurs performances : ils sont informés de leur classement et peuvent se situer par rapport au quota. Ils peuvent rencontrer les responsables de l'unité de pédagogie qui les informent sur les possibilités de réorientation.

Qu'avons-nous déjà constaté ? Après deux années, c'est-à-dire en septembre dernier, le nombre d'inscriptions en 3ème candidature correspondait à peu près au quota. Les choses sont toutefois compliquées par la présence de "bisseurs" du système ancien, qui n'étaient pas concernés par le numerus clausus, ayant commencé leurs études avant que la loi n'entre en vigueur.

AMA : En quoi consistent ces épreuves d'attestation ?

D.M. : On rencontre de telles épreuves dans chaque année de candidature. Par exemple, en première candidature, les étudiants entendent une conférence sur un problème de santé d'intérêt général sur lequel ils ne doivent pas avoir de connaissances particulières; on leur pose ensuite des questions de raisonnement et de synthèse et on leur demande de rédiger une dissertation sur le sujet. Ce que l'on analyse, c'est leur capacité à aborder un problème, à en faire la synthèse, à analyser le pour et le contre, indépendamment de toute connaissance.

AMA : A qui est confiée cette évaluation ?

D.M. : A des personnes qui sont indépendantes des responsables de l'enseignement et des épreuves académiques de ces étudiants. Le nom des évaluateurs est maintenu secret.

AMA : Sont-ce des médecins ?

D.M. : Il y a des médecins, des enseignants, mais aussi des non-médecins.

AMA : Les résultats des épreuves d'attestation entrent-ils en jeu pour la réussite de chaque année d'étude ?

D.M. : Ils n'interviennent pas dans la réussite de l'épreuve académique : la loi stipule clairement que ces épreuves sont indépendantes et ne conditionnent pas la réussite. Nous aurons certainement des étudiants qui auront réussi les examens académiques, seront candidats en médecine, mais ne pourront pas poursuivre leurs études de médecine car ils ne seront pas classés en ordre utile. Mais le bilan de la spécificité de ces épreuves d'attestation reste à faire.

AMA : Pourra-t-on bisser et néanmoins poursuivre ses études ?

D.M. : La répétition des années est pénalisée, notamment pour éviter une stratégie qui consisterait à répartir les années d'étude sur deux ans de façon à réussir les épreuves plus facilement. La situation serait absurde. En étalant les candidatures sur 6 ans, ce qui est légalement possible, l'étudiant parviendrait à avoir de meilleures performances et à mieux se classer pour poursuivre. Nous avons voulu éviter cet écueil et comparer des étudiants mis dans des situations comparables.

AMA : La seconde session est-elle également pénalisée ?

D.M. : Oui. Chaque session "répétée" est pénalisée de dix points.

AMA : Les universités francophones appliquent-elles toutes les mêmes règles ?

D.M. : Exactement. Il y a eu concertation. Les règles ont été établies de commun accord. Dans chacun des jurys, il y a des représentants des 5 facultés. Je pense qu'il n'y aura pas de traitement différent selon les facultés.

AMA : La répartition des quotas par faculté de médecine est-elle immuable, clichée ?

D.M. Les quotas pourraient être adaptés à l'avenir. L'institution qui attirerait un plus grand nombre d'étudiants pour le second cycle, pourrait voir son quota revu à la hausse.

AMA : Ce numerus clausus ne risque-t-il pas d'entraîner une pénurie de médecins ?

D.M. : Comme il a été dit au début de notre entretien, les estimations des doyens de médecine font prévoir une pénurie de médecins entre 2010 et 2015 si les quotas actuels sont maintenus. Notre analyse se base sur certaines hypothèses qui n'ont pas été contestées; d'aucuns ont préféré faire aux doyens un procès d'intention. On a combattu notre analyse en disant que nous étions uniquement préoccupés par les subsides que nous recevions par étudiant : ceci est faux puisque depuis plusieurs années il y a une enveloppe budgétaire globale et fixe pour l'ensemble des universités. On nous a également accusés de vouloir nous réserver une "main d'œuvre" à bon marché dans nos hôpitaux : or encadrer de jeunes médecins représente un coût très important et les médecins assistants candidats cliniciens bénéficient dans les hôpitaux académiques d'une rémunération équitable.

AMA : Pensez-vous que cette diminution du nombre d'étudiants va entraîner un meilleur encadrement et un meilleur apprentissage pratique de la médecine ?

D.M. : Je le crois très sincèrement. C'est bien pour cela que, prévoyant une réduction de 50 % des étudiants qui entameront le second cycle en septembre prochain, nous avons revu le contenu du programme de formation en augmentant la pratique par des stages (1 mois en 1er doctorat, 2 mois en 2ème doctorat, 6 mois en 3ème doctorat). Le tutorat sera renforcé et sa qualité s'améliorera grâce à la réduction du nombre d'étudiants.

AMA : On entend dire que les médecins en formation spécialisée étant beaucoup moins nombreux, l'Université va les garder dans ses cliniques et pénaliser ainsi les hôpitaux périphériques.

D.M. : C'est un problème important, non encore résolu : les responsables des hôpitaux académiques et non académiques élaborent des plans. Pour les hôpitaux académiques, le problème est très important car la majorité des assistants candidats spécialistes y travaillent. Ces hôpitaux devront notamment accueillir les MACCS (médecins assistants candidats cliniciens spécialistes) pendant les deux premières années en application de la loi du 16 mars 1999 (sur les diplômes d'enseignement spécialisé - DES). L'idée n'est certainement pas que seuls les hôpitaux académiques assurent la formation spécialisée, mais ils seront confrontés à des obligations. Dans les toutes prochaines années, nous devrons "inventer" dans un contexte légal complexe.

AMA : Une autre remarque, fréquemment entendue, est la suivante : nous sommes un petit pays, dans une Europe communautaire avec diplômes plus ou moins équivalents ou en voie de l'être, comment gérer seuls la pléthore ?

D.M. : Nous sommes un des derniers pays européens à avoir pris une limitation d'accès aux études de médecine. Jusqu'à présent nous pouvions accueillir des étudiants venant d'autres pays de la Communauté européenne.

Dans les pays qui limitent l'accès à la profession, des indices de pénurie apparaissent. C'est très clair aux Pays-Bas : pas mal de médecins formés en Flandre vont y pratiquer. Même pénurie en Grande Bretagne et en France. Récemment, les Français ont pris la décision d'accueillir 7500 médecins non européens qui fonctionnaient déjà comme subalternes dans leurs hôpitaux et qui maintenant obtiennent le statut de praticien adjoint contractuel et pratiquent dans les hôpitaux seulement. Ceci doit nous interpeller quant à une pénurie possible dans les 15 ans : vu la longueur de la formation nous devons y penser dès à présent.

Bien entendu, nos prévisions ont été établies sans tenir compte de changements majeurs dans la dispensation des soins : on pourrait imaginer une extraordinaire percée technologique ou une révolution dans les choix de la société vis-à-vis de la santé.

II. La réforme des études

AMA : Quelle est la philosophie de la réforme ? Est-elle également applicable à toutes les facultés ?

D.M. : Dans chaque discipline il y a une augmentation des connaissances et des savoir-faire, mais aussi en pédagogie, y compris celle qui concerne l'enseignement supérieur. Il est difficile de ne pas entendre que dans une discipline spécifique comme la pédagogie, il existe des méthodes supérieures aux méthodes traditionnelles. On peut résumer cette philosophie de la réforme utilisée depuis longtemps dans les pays anglo-saxons de la manière suivante : l'efficacité d'une formation est proportionnelle à l'implication active de l'étudiant dans celle-ci. Ce qui est donc d'emblée mis en question c'est le cours ex-cathedra. La tactique de l'enseignant doit changer : il présente des problèmes, donne des instruments pour les résoudre, sollicite la participation active de l'étudiant.

Concrètement, dans notre métier de médecin, chaque jour nous devons analyser de façon critique ce qu'on peut lire dans la presse médicale et ce qui nous est proposé dans des guides de pratique clinique. Il est évident qu'il est très efficace d'aborder les problèmes d'une manière critique dès l'université et qu'ainsi l'étudiant ne soit pas maintenu dans un état de passivité et dans une situation de croyance vis-à-vis de connaissances enseignées par des maîtres, détenteurs du savoir, alors que ce savoir va changer ultérieurement.

AMA : En somme, il faut inculquer à l'étudiant la notion que la médecine est en continuelle évolution, que l'expérience s'acquiert au fil des années et que l'abord de la pratique doit être interactif.

D.M. : L'idée n'est pas de renoncer aux cours ex-cathedra mais de les limiter pour favoriser un enseignement qui incite l'étudiant à une réflexion et une recherche personnelle, notamment en le confrontant avec des cas vécus dans la pratique.

AMA : Il faudra donc réviser la notion classique de la nomination académique liée au nombre d'heures de cours données.

D.M. : Dans la réforme envisagée, une convention sera passée entre l'université et l'enseignant, permettant à ce dernier d'innover sur le plan pédagogique tout en gardant son statut. Le nombre d'heures de cours et d'exercices encadrés hebdomadaires pour l'étudiant doit être limité et clairement défini. La charge de travail horaire pour les enseignants n'en sera pas pour autant réduite compte tenu des obligations d'un enseignement plus interactif. Changer c'est toujours un peu déranger : mais une remise en question me paraît indispensable. L'enjeu est de former de bons médecins : on ne peut pas manquer de s'efforcer de faire mieux quand l'occasion se présente. Mais mieux n'est pas nécessairement plus. Il n'est dès à présent plus possible d'enseigner la totalité des connaissances médicales dont on sait par ailleurs qu'elles sont changeantes et parfois contestées ou démenties. Des choix sont à faire. Nous devons donner à nos étudiants les instruments leur permettant d'aborder tout problème et d'assimiler toute connaissance nouvelle.

AMA : C'est le vieil adage de la tête bien faite et de la tête bien remplie. Certains font remarquer qu'il y a peu de place accordée dans l'enseignement actuel à la prévention, à l'économie de la santé et à l'éthique.

D.M. : Dans le passé, on a créé des cours supplémentaires qui ont été placés en fin de cycle, peut-être en raison de l'encombrement des trois premiers doctorats. Dans la réforme envisagée pour septembre prochain, tous les enseignants concernés par le contexte de la pratique médicale, tels les aspects économiques, sociaux, juridiques, déontologiques, éthiques, se sont réunis et ont réfléchi à la meilleure façon d'intégrer ces éléments, en tenant compte de la surcharge et du déséquilibre. Un programme est prévu au long des doctorats, avec des cours en 1er doctorat et des séminaires en second doctorat. L'étudiant va tenir une sorte de carnet de bord dans lequel il notera des questions, des problèmes qu'il rencontrera au cours de ses stages, des tutorats et des lectures : à l'occasion des séminaires il pourra exposer ces interrogations et réflexions et initier un travail personnel qui sera encadré lors des séminaires et poursuivi en troisième doctorat; ces problèmes de contexte seront aussi envisagés de manière plus active. On s'est donc nettement écarté des sentiers battus et les enseignants ont marqué leur accord pour utiliser des moyens pédagogiques rénovés, notamment une liaison sur intranet entre enseignants et étudiants. Dès l'an prochain, en premier doctorat, ces cours seront donnés par des paires d'enseignants : par exemple, à propos de la confrontation des intérêts privés et de ceux de la société, le cours d'éthique sera donné avec un enseignant de santé publique.

AMA : Une question délicate pour finir. Ne devrait-on envisager non pas une formation, mais une information dans le domaine des médecins parallèles, largement pratiquées aujourd'hui ?

D.M. : Je me pose très souvent la question. Dans un cours à option donné par le professeur Michel Lambert 2, des médecins qui pratiquent ce type de médecine viennent exposer leur point de vue et participent au débat et à la réflexion. Il y a dans cette approche des médecines parallèles une difficulté de contenu : nos méthodes médicales sont passées au crible de la médecine expérimentale. L'homéopathie par exemple est plus ancienne que l'approche de Claude Bernard.

AMA : Pourquoi ce cours du professeur Lambert est-il optionnel ? Compte tenu de la matière très abondante en premier doctorat et du grand nombre de cours à option (24), seul un petit nombre d'étudiants vont faire le choix de cette information sur les médecines parallèles ?

D.M. : Vous touchez du doigt le problème de la surcharge : on veut réduire le nombre d'heures de cours. Dans certaines universités françaises, il existe des formations en médecine parallèle. Je pense, personnellement, que ces problèmes pourraient être abordés à l'occasion de séminaires et de la discussion de cas concrets.

AMA : Monsieur le Doyen, vous avez clarifié le problème de la limitation de l'accès à la profession médicale en Belgique et celui de la réforme des études de médecine à l'UCL. Je vous en remercie au nom de nos lecteurs. Si vous le voulez bien, nous nous reverrons dans un ou deux ans pour connaître les résultats de ces changements

 

  1. C'est l'état fédéral qui détermine le nombre de médecins qui ont accès à une pratique de soins à l'intérieur de notre sécurité sociale, mais ce sont les communautés et les gouvernements régionaux qui décident du mode de sélection.
  2. Analyse des médecines parallèles. MED 2310


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