Numéro 55 :

In Memoriam Robert Ponlot (1923-2008)

Benoît Lengelé

Je devais avoir l’âge d’Eléonore, celui des premiers tours de salle, lorsque pour la première fois, j’ai croisé Robert Ponlot.  D’emblée, je n’ai pas été frappé par la stature professorale de celui dont on disait, entre étudiants, qu’il était un chirurgien remarquable. L’homme, en effet, avait le regard haut, dépourvu de toute fierté et affichait une attitude simple, sans distance, teintée sous un beau sourire, d’une douce et bienveillante empathie.

Je n’en connaissais pas bien davantage sur sa personnalité, lorsque deux ans plus tard, je rentrai dans son bureau de l’unité 62 pour passer l’examen de chirurgie de 4ème doctorat.  En fait d’examen, l’épreuve se restreint vite à une longue conversation où, égrainant ses souvenirs, il me fait partager, comme il l’avait fait avec tant d’autres, son enthousiasme pour l’exercice chirurgical, mettant en exergue, au-delà de l’acte technique, les grandes satisfactions humaines qu’il y avait trouvées.  Thibault était alors à naître, lorsque concluant son long monologue il me dit : « Tu seras chirurgien.  Je t’y aiderai, comme le fils que je n’ai pas eu à ton âge ».  Ainsi avait-il décidé de mon destin.  Et chaque jour il tint sa promesse, au-delà même de son serment spontané.

Au côté de Charles Chalant, Robert Ponlot était alors un travailleur infatigable.  Véritable âme du service de chirurgie cardiovasculaire, il y vivait jour et nuit, se dévouant sans compter au chevet des malades, enseignant aux jeunes, presque toujours avec patience, les rudiments, puis les finesses de son art.  Voulant rester disponible pour chacun, il lui arrivait souvent de dormir dans son bureau, tantôt sur un transat bancal, tantôt à même le sol, un gros traité de médecine, qu’il n’avait jamais ouvert, lui servant d’oreiller.

Au-delà de l’opérateur efficace qu’il était, portant sans relâche secours aux cœurs blessés, tous ceux qui l’ont côtoyé ont apprécié l’homme de cœur qu’il fut avant tout.  Toujours prêt à écouter, à servir, à conseiller, à rassurer, à apaiser.  Intrinsèquement bon, il ne pouvait voir le mal en aucune chose, pardonnant toutes les faiblesses, oubliant toutes les blessures qu’on avait pu lui infliger.  Fait remarquable dans la communauté médicale, où souvent les langues d’Esculape savent être venimeuses et les formules assassines, il n’avait point d’ego, estimait chacun pour ses qualités originelles et jamais je ne l’ai entendu lever un mot à l’encontre d’un confrère.  En retour, jamais je n’ai ouï porter critique contre lui.

L’enthousiasme était le trait dominant de son esprit, curieux de tout, en particulier des derniers développements de sa spécialité qu’il suivait en participant, en auditeur attentif, à tous les workshops organisés dans le service.  Enthousiaste au-delà de la science, pour la jeunesse et la créativité ensuite.  Ainsi restait-il proche des jeunes assistants, gardant face à la nouveauté un regard et une âme pure d’enfant.  Voici moins de 10 ans, peu avant qu’un triste accident ne lui brise les jambes, je me souviens très bien l’avoir croisé à une heure avancée de la nuit, couché sur un brancard aux urgences, les paupières mi-closes sous l’éternelle casquette qui servait de couvre-chef à son vertex dégarni.  En dépit de l’heure tardive, je lui trouvai à son réveil immédiat un regard brillant, plein de joie qu’il était à l’idée d’accompagner une équipe de prélèvement qui allait chercher un cœur en hélicoptère.

L’humour était un autre trait de son caractère.  Tantôt flegmatique, tantôt empreint d’autodérision, c’était une arme dont il se servait pour aplanir les moments de tension dans sa charge ou encore pour dissimuler ses inquiétudes.  Souvent ainsi l’a t-on vu plaisanter avec les malades, descendre au bloc opératoire, l’air distrait, feignant d’avoir oublié de mettre son pantalon, ou encore ici même, prendre le goupillon pour microphone.

L’amour enfin, fut le feu de son existence.  Celui qu’il vécut avec Anne d’abord, indissociable compagne de son parcours de vie, dont il portait toujours une image sur son cœur.  Celui pour ses enfants ensuite, qu’il a regardé grandir avec émerveillement jusqu’à ses derniers instants.  Si fier d’eux.  Si préoccupé aussi à l’idée de devoir un jour les quitter.  L’affection enfin pour tous ceux qui étaient de sa proche famille et au-delà de celle-ci pour tout ses compagnons de route à l’hôpital et à l’université : ceux de la vieille garde, de l’escadron des mousquetaires qu’il aimait tant évoquer et avec qui il restait en contact téléphonique rapproché.  Ceux de la jeune garde ensuite et de la grande armée du présent et du futur, qui sans nul doute se reconnaîtront ici : ils sont trop nombreux pour les énumérer.

Le curriculum vitae de Robert Ponlot, retrouvé dans les archives du service de chirurgie cardiovasculaire tel qu’il fut rédigé par lui-même voici quelques années, est bien différent de celui qui fut rappelé ici.  Il est à l’image de l’homme.  Sobre, il ne comprend que 4 pages, là où tout autre en aurait mis 40.  Sur la première, il égrène avec simplicité la litanie des fonctions occupées, telles les dizaines d’un chapelet qui connut certes les mystères joyeux et glorieux, mais aussi les stations difficiles des mystères douloureux.  Au-delà de cet énoncé des devoirs accomplis, pas un titre ronflant, pas la moindre mention des nombreuses distinctions reçues, pas d’évocation non plus de ses contributions scientifiques, si ce n’est un petit clin d’œil au veau Rebecca.  Et puis, à la dernière page, sous la rubrique activités actuelles et regards sur la société, on trouve derrière le jardinage, la lecture et les mots croisés, ces quelques mots qui résument l’homme tout entier : « Garder une confiance inépuisable dans l’humanité.  Développer sans cesse la tolérance et la générosité.  Privilégier en tout la foi, la droiture, la fidélité ».

Chère Eléonore, Cher Thibault, vos chers parents vous ont portés sur le chemin de la vie jusqu’où leurs forces les ont portés.  Sans compter, ils vous ont offert avec générosité vos racines et vos ailes.  Vous portez chacun, sur vos visages, le souvenir de leur figure et dans vos cœurs, la force de leurs nobles valeurs.  Alors qu’ils se sont maintenant retrouvés, côte à côte, cœur à cœur, dans un invisible au-delà, ils vous invitent à vous laisser porter à présent par vos propres ailes, libres comme le vent, où longtemps encore vous distinguerez le doux murmure de leur mémoire.

Mais ils ont fait plus encore.  Car au sein de la famille universitaire, ils ont planté dans le jardin de leur existence, de nombreux arbres sur les branches desquels, demain, vous pourrez venir vous reposer.

Au nom de cette grande forêt silencieuse ici réunie autour de vous, je leur dirai simplement au revoir et merci en citant ces quelques vers empruntés à Jean d’Ormesson, si cher à Monsieur Ponlot, qui dans son livre intitulé « Et toi mon cœur, pourquoi bats-tu ? », écrit ceci :

« Vous ne saurez jamais que votre âme voyage,
Comme au fond de nos cœurs, un doux cœur adopté
Et que rien, ni le temps, d’autres amours, ni l’âge
N’empêcheront jamais que vous ayez été ;

Que la beauté du monde a pris votre visage
Vit de votre douceur, luit de votre clarté,
Et que le lac pensif, au fond du paysage,
Nous dit seulement votre sérénité.

Vous ne saurez jamais que nous emportons votre âme
Comme une lampe d’or qui nous éclaire en marchant,
Et qu’un peu de votre voix a passé dans notre chant.

Doux flambeau, vos rayons, doux brasier, votre flamme
Nous instruisent des sentiers que vous avez suivis,
Et vous vivez encore puisque chacun ici vous survit »

 

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