Numéro 16 :

In Memoriam Charles Francis


Le Professeur Charles Francis est mort le 1er mai 2000, à la veille de ses 65 ans.  C'était un médecin, et un homme d'action.  C'était aussi un homme de principes et, dans le sens noble du terme, un homme politique, un citoyen de la "polis", intéressé et actif dans la chose publique.  Il aimait la vie, avec un côté épicurien, presque Rabelaisien.  Il aimait rire et partager le rire, en racontant d'un air entendu "la dernière blague de Bodart".  Il considérait toute chose avec un scepticisme enraciné en lui comme une seconde nature.  Il aimait et savait écouter, encourageant naturellement son interlocuteur à parler.

Il suivait avec attention l'évolution politique de la Belgique, s'amusant à découvrir les failles juridiques dans le montage de plus en plus compliqué de nos institutions.
Dans sa vie "publique", il a représenté les médecins au sein du Conseil de l'Ordre des Médecins du Brabant; aux Cliniques universitaires Saint-Luc, il les a représentés au sein du Conseil médical, qu'il a présidé.  Il n'a jamais hésité à affronter l'autorité pour défendre les médecins.  Il n'a pas hésité non plus à collaborer activement avec elle si la situation l'exigeait, même au prix de concessions qu'il savait expliquer et justifier devant l'Assemblée générale des médecins.  Il n'a jamais perdu de vue qu'au centre de cette action publique demeurait (et devait demeurer) le malade, ses souffrances et son angoisse.  Il considérait que le médecin doit être l'avocat du malade, son rempart face aux lois et règlements édictés par les bien-portants.  Dans ce sens, refuser de s'engager dans le débat politique était pour lui une forme d'abandon du malade.

Il est resté un défenseur acharné mais impuissant de la notion de secret médical, battue en brèche pour l'instant et dont l'importance ne deviendra que plus évidente avec son effacement.  Il voyait avec méfiance l'arrivée des forces multiples qui allaient s'interposer entre le malade et le médecin : l'intérêt supérieur de l'Etat, les contraintes budgétaires, les managers de la santé ou l'arrivée en force de l'industrie pharmaceutique et de ses incitants financiers.

Il a passé les dix dernières années de sa vie dans un fauteuil roulant, après l'accident qui lui coûta sa capacité à se mouvoir.  Il a dû apprendre à devenir un homme de réflexion, et ce ne fût point facile.  Il eut la chance d'être aidé, entouré, aimé, de son épouse Anne-Marie, femme d'exception.  Il a vu grandir sa famille par l'arrivée des enfants de ses enfants, et comme c'est souvent le cas, a eu plus de tendresse pour eux que pour ses enfants.  Ce fut l'une de ses joies.

Il est resté attaché aux Cliniques Saint-Luc, où il était devenu un point de repère pour ceux qui lui ont succédé au Conseil médical.  Un homme de conseil, un sage.
Au milieu de l'agitation souvent frénétique du médecin universitaire de nos jours, tiraillé sans cesse entre l'enseignement, la recherche, la gestion, les commissions, il n'a jamais cessé de rappeler qu'au centre et au-dessus du fracas devait rester, préservée, la place du malade.

Daniel Rodenstein


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