Numéro 43 :

Endémie goitreuse au Congo

André Vleurinck 1

 

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La photo ci-contre, qui a été prise en 1937 aux environs de Dilolo, illustre un des problèmes auxquels les médecins " coloniaux " étaient régulièrement confrontés dans nombre de régions congolaises et au Katanga en particulier.

Nous habitions alors à Mutshatsha, une petite station ferroviaire sur la ligne en direction de l'Angola.  Mon père, le docteur T. Vleurinck, médecin au chemin de fer, y disposait d'un hôpital où étaient soignés tant les travailleurs africains de la société et leurs familles, que les habitants des environs.

Une question qui le préoccupait était celle des carences alimentaires qualitatives dont souffraient les Africains, en particulier ceux des villages de l'intérieur qui ne bénéficiaient pas, comme les agents du chemin de fer, d'un ravitaillement organisé.

De ces carences, la plus évidente était le manque d'iode qui s'exprimait de façon flagrante dans la fréquence et le volume des goitres qui s'observaient partout.  Dans le Sud-Ouest de Katanga surtout, cette maladie était si répandue qu'il n'était pas nécessaire de fréquente les dispensaires pour s'en apercevoir.

Un jour qu'en voiture nous traversions un village d'une cinquantaine de huttes, mon père me demanda de compter les goitres visibles chez les femmes au bord de la route.  Je n'avais alors que neuf ans mais me souviens en avoir relevé une quinzaine.  Si l'on considère que je n'ai pu voir que les plus gros et chez une partie des habitants seulement, on imagine la gravité du problème.

A l'époque, le journal de Tintin ou les albums d'Hergé ne nous parvenaient pas encore.  Nous ignorions que le " crétin des Alpes ", avant que de devenir une injure étoile au répertoire du capitaine Haddock, était longtemps demeuré un malade européen victime d'une carence alimentaire dans un pays aux eaux trop pauvres en iode et dont les habitants n'avaient pas accès aux produits de la mer.

C'est ce que m'expliquait mon père qui, pas plus que son confrère de Dilolo, le docteur Heyden avec lequel il opérait des goitres monstrueux, ne pouvait se satisfaire d'un traitement chirurgical qui ne solutionnait en rien le problème.

Des mesures préventives à l'échelle de la région sinon du pays étaient indispensables.
S'il était difficile à de jeunes médecins perdus en brousse de se faire entendre d'autorités lointaines et souvent surchargées de problèmes, il y avait peu à espérer de celles-ci à une époque où la crise des années trente les privait encore de tout moyen d'action.

Aussi fallut-il attendre la décennie suivante pour que le CEPSI (Centre d'Etude des Problèmes Sociaux Indigènes), répondant aux demandes insistantes de mon père qui en était membre fondateur, obtienne la commercialisation subsidiée du sel ioduré que préparaient les minoteries de Kakontwe à l'intention des travailleurs de l'Union Minière.

Rappelons que ce procédé d'iodation 2 y avait été instauré en 1939 à la demande du docteur Mottoule de l'UMHK.  Une inspection médicale réalisée cette année là dans la population scolaire indigène avait révélé des chiffres impressionnants : parmi les 617 enfants examinés dans les écoles UMHK de Lubumbashi et Kipushi, 309 présentaient des atteintes thyroïdiennes, soit 50 %.  Dans les écoles de la cité indigène d'Elisabethville,  les chiffres étaient comparables, avec 447 anomalies chez 915 enfants, soit 48 % !
La direction de l'Union Minière décida alors d'additionner d'iode le sel distribué à ses travailleurs lors des "posho" hebdomadaires.

Dix-huit mois plus tard, le contrôle médical fait dans les mêmes écoles ne montrait plus que 25 % d'atteinte thyroïdienne chez les enfants de l'Union Minière, alors qu'il en était encore observé 41 % dans les écoles de la cité où la même précaution n'avait pas été prise.

La prise en charge par des subventions publiques et privées du surcoût engendré par l'iodation permit de mettre sur le marché un sel dont le prix lui assura une rapide diffusion.  Il ne fallut pas longtemps pour que l'endémie goitreuse ne soit plus qu'un souvenir... trop vite oublié semble-t-il.

Très curieusement, c'est à moi qu'il serait donné de découvrir en 1970 que cette maladie et son remède avaient disparu des mémoires. A Kolwezi, où je dirigeais alors le service médical du groupe Ouest Gécamines, le docteur Bizimana, un jeune médecin d'origine rwandaise, vint me faire part du souci qu'il éprouvait au nombre croissant de goitres débutants observés chez les jeunes filles au dispensaire de Luilu.
Très étonné, après lui avoir expliqué les mesures en matière d'iodation du sel, je lui demandai de procéder à une enquête approfondie.

Quinze jours plus tard, me confirmant ses observations, il déposait sur mon bureau un échantillon du sel distribué dans les centres de ravitaillement de la société, se disant persuadé que ce sel était dépourvu d'iode.  L'enquête auprès des responsables des Minoteries révéla que l'iodation était effectivement abandonnée depuis deux ou trois ans.  A la reprise de l'Union Minière par la Gécamines en 1966, la cessation des subventions accordées par la première de ces sociétés pour compenser les frais d'iodation, s'ajoutant à la disparition des subsides du gouvernement congolais depuis 1962, avait fait de ce produit une marchandise invendable sur le marché.   Les Minoteries avaient donc renoncé à sa fabrication. Par acquit de conscience, elles avaient néanmoins décidé de s'approvisionner en sel " marin " de Lobito qui, pensaient-elles, devait contenir de l'iode.  Nos analyses démontrèrent qu'il n'en était rien !  En 1970, les " paternalistes " belges, survivants de l'époque coloniale, étaient encore en nombre suffisant aux postes clés de la Gécamines que pour obtenir de cette société la reprise des subventions nécessaires et la situation se rétablit assez rapidement.

Qu'en reste-t-il aujourd'hui ?

André Vleurinck

  1. Le docteur André Vleurinck, diplômé en 1955,  a vécu au Katanga jusqu'en 1975.  Après des humanités au Collège Saint François de Sales à Elisabethville et des études de médecine à l'UCL, il est retourné au Katanga au service de l'Union Minière et a été directeur médical de la Gécamines à Lubumbashi, de 1972 à 1975.   Depuis lors, il vit en Belgique où le " consolent les écureuils et les oiseaux de son jardin " ;  il déplore la triste évolution du Congo et en particulier du Katanga.
  2. "La Hollande a, elle aussi, essayé l'iodation de l'eau, puis l'a abandonnée.  Actuellement, la prophylaxie iodée est largement appliquée dans les pays en développement, soit par l'iodation du sel, soit par une injection de lipiodol tous les un à deux ans.  Le problème médical actuel est surtout la surveillance de la qualité de la prophylaxie iodée, car un excès d'iode a aussi des effets négatifs sur la santé.  L'article historique du Docteur Vleurinck est un beau témoignage de "médecins sur le terrain"  Christian Beckers,  Professeur émérite de l' UCL

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