Numéro 49 :
Connaissez-vous André Vésale ? (1514-1564)
René Krémer
Tout le monde dira oui, bien évidemment. Il y a une Tour Vésale à Woluwe, un auditoire à Louvain, un Hôpital à Charleroi, une Haute Ecole à Liège. André Vésale a vécu à Bruxelles et à Louvain. C’était un anatomiste qui disséquait des cadavres, au mépris des lois de l’époque et a rectifié certaines erreurs de Galien, comme celle qui concerne le maxillaire inférieur, que Galien décrivait en deux parties comme chez le porc. Vésale écrivait ses livres en latin et a été médecin de Charles Quint.
En lisant le remarquable ouvrage de Robert Delavault : « André Vésale », publié en 1999, et quelques autres livres, on en apprend un peu plus sur notre grand anatomiste.
Vésale est issu d’une famille de médecins originaires de Wesel, en Basse Rhénanie. Son bisaïeul Johannes émigre à Louvain en 1428, lors d’une épidémie de peste : il devient enseignant et praticien, puis doyen et recteur de la toute jeune Université de Louvain fondée trois ans plus tôt. Devenu brabançon, il s’appellera dorénavant Johannes de Wesalia ou Jan van Wesele. Son fils Everard sera médecin à Louvain et soignera Maximilien d’Autriche, Philippe le Beau et Marguerite d’Autriche. Son fils Andries, le père de Vésale, apothicaire, tiendra officine, dans la ruelle de l’Enfer, au Sablon.
André, né « coiffé » le 31 décembre 1514, est baptisé au Sablon. On raconte, qu’enfant, il gravissait la colline du Galgenberg, le mont de la potence, aujourd’hui Place Poelaert et furetait parmi les os qui s’accumulaient au pied des gibets. C’est sans doute une légende. Il étudie chez les Frères de la vie commune. A quinze ans, il va à Louvain au Collège de l’Université où l’on enseignait la philosophie, les langues anciennes (latin, grec, hébreux) et des notions élémentaires d’anatomie selon Galien.
A l ‘Université de Paris où il se rend en 1533, la faculté de médecine est le parent pauvre, les cours étant donnés dans des Eglises, notamment à Notre Dame. Comme à Louvain, l’enseignement de la médecine est basé sur les écrits anciens. Les rares dissections de cadavres sont exécutées par un « chirurgien » barbier ignare, tandis que le professeur tient, du haut de l’estrade, un discours sans relation précise avec la dissection. Il est très peu question de veines, d’artères ou de nerfs.
Risquant l’exclusion de la faculté, Vésale, en se cachant des hommes du guet, glane des ossements au Cimetière des Innocents : quelques étudiants l’accompagnent. Au retour, ils comparent leurs trouvailles avec les données officielles et découvrent des différences et notamment le fameux os unique de la mâchoire inférieure. Vésale demande et obtient de pouvoir remplacer l’appariteur barbier des dissections : il nomme les muscles. C’est une révolution dans l’enseignement de l’anatomie.
Mais en 1536, la guerre étant déclarée entre François 1er et Charles Quint, les brabançons sont devenus des ennemis du Roi de France. Vésale retourne à Louvain et reprend les dissections. Il a ainsi l’occasion de décrire le corps jaune de l’ovaire chez une jeune fille noble, qu’on croyait avoir été empoisonnée. Vésale conclut à une compression par un corset trop serré. Il confectionne un squelette entier à partir de divers ossements trouvés au cours d’expéditions clandestines dans des cimetières. Les bien pensants louvanistes l’accusent d’hérésie et de profanation.
Dès 1537, Vésale se rend à l’Université de Padoue qui avait la réputation d’être libre et tolérante. Après un stage hospitalier, il obtient enfin le titre de docteur en médecine avec la mention « magne cum laude ». La dissection des condamnés à mort était la règle, mais l’enseignement était scolastique comme à Louvain et à Paris, avec la péroraison du professeur sur des textes anciens et la dissection par le barbier en toile de fond. Vésale, lui, fonctionne à la fois comme dissecteur, démonstrateur et conférencier et procède à des dissections minutieuses. C’est ainsi que, grâce à la température hivernale, il peut travailler 15 jours sur le même cadavre. Il décrit ainsi le trapèze qu’il appellera « capuchon de moine », le diaphragme qui, étalé, ressemble à une raie et la valvule auriculo-ventriculaire gauche en forme de mitre. Il publie en 1538 les tabulae, planches anatomiques avec des dessins de Calcar, un élève du Titien et une nomenclature en latin, grec, arabe et hébreu. Il corrige les erreurs de Galien qui, selon lui, n’aurait jamais disséqué que des animaux . Il était, pourtant, le médecin des gladiateurs. On raconte que les étudiants apportaient à Vésale des cadavres dérobés dans des sépultures profanées.
En 1543, Vésale publie son chef d’œuvre « De humani corporis fabrica ». Les pages et les dessins sont transportés à dos de mulet par le Saint Gothard, pour être imprimés à Bâle, la même année que l’ouvrage de Copernic « De revolutionibus orbium coelestum libri sex. »
Un squelette reconstruit par Vésale, un peu selon la méthode Frankenstein, est toujours exposé à l’Université de Bale.
Le plus souvent, Vésale disséquait le corps humain, non pas couché comme dans la leçon d’anatomie de Rembrandt, mais en position verticale, grâce à un attirail comportant corde, poutre et poulie.
Dans la Fabrica, il dénonce des erreurs anciennes telles que la notion d’utérus organe double. Il décrit également le médiastin, le mésentère, l’oreille interne. Les professeurs de grand renom, ceux que Rabelais appelait les « veaux enjuponnés », critiquèrent vivement ce jeune anatomiste de 28 ans qui osait mettre en doute les concepts des anciens.
Vésale fait éditer une version abrégée de la Fabrica qu’il intitule Epitome, à l’usage des étudiants. Le livre était dédié à Charles Quint et valut à Vésale le titre de medicus ordinarius familiaris, attaché à la Cour de l’empereur. Il est amené à soigner les blessés du siège de Landrecies en 1543. Sans grande originalité, il utilisait des emplâtres et des bouillies à base d’extraits de grenouilles, de vers et de vipères. C’était un grand anatomiste, mais sans doute un thérapeute très moyen.
A l’époque où les campagnes militaires s’arrêtaient pendant l’hiver, Vésale retourne à Pise, Bologne, Padoue et Florence. Partout, il dissèque devant les étudiants, les cadavres parmi lesquels on cite notamment ceux d’une jolie prostituée et d’une nonne.
Charles Quint n’est pas un malade facile, sujet à des crises d’épilepsie, asthmatique, mais surtout torturé par la goutte, alors qu’il ne renonce ni à sa gloutonnerie, ni aux épices, ni aux vins capiteux. Vésale traitera la goutte par la « Tisane de Racine de Chine » , avec des résultats inconstants...
Vésale épouse à l’Hôtel de Ville de Bruxelles et à l’Eglise Saint Nicolas, Anne van Hamme de Vilvorde, qui se révélera une épouse plutôt volage, très assidue aux fêtes et bals de la Cour de Charles Quint.
Les reproches persistent, à la fois sur le caractère non légitime des dissections et sur les critiques de l’œuvre de Galien. Le plus virulent est son ancien maître parisien, Jacques Sylvius qui exige une rétraction publique des critiques envers Galien , par celui qu’il appelle Vaesanus (fou furieux) et qu’il accuse de blasphème. On suspecte Vésale de sorcellerie parce que, contre le pronostic des autres médecins, il a prédit la mort de Maximilien d’Egmont atteint d’un abcès dans la gorge. L’autopsie révélera qu’il avait raison : l’abcès avait fusé dans le médiastin.
Après que Philippe II ait succédé à Charles Quint, de retour à Bruxelles, Vésale s’installe rue des Minimes et y développe une belle clientèle, malgré les critiques toujours nombreuses et injustes, comme cette accusation gratuite de Granvelle : « Il déclare ses malades atteints mortellement afin que s’ils meurent cela l’excuse et que s’il survit, il a fait un miracle. » C’est Molière avant la lettre.
Vésale aurait peut-être rencontré Ambroise Paré à deux reprises. Tout d’abord lors du siège d’Hesdin en 1553. Paré, prisonnier des troupes impériales, fut chargé de convoyer le seigneur de Martigue, qui avait reçu « un coup d’arquebuse au travers du corps ». Ambroise Paré parle longuement de cet épisode et de son contact avec « le chirurgien de l’empereur », mais sans jamais citer le nom de Vésale. Deux ans plus tard, Vésale se rend à Paris en diligence envoyé par Philippe II au chevet d’Henri II blessé dans un tournoi. Il ne peut que constater le caractère mortel de la blessure : la lance avait pénétré par l’œil droit et traversé l’occiput. Ambroise Paré était présent, mais ne semble pas avoir été appelé à soigner le Roi, car il était en désaccord avec la Faculté de Médecine de Paris.
Pour avoir autopsié un grand personnage, alors qu’à l’ouverture, le cœur battait encore, l’Inquisition aurait condamné Vésale à mort, puis aurait commué la peine en l’obligation d’un pèlerinage à Jérusalem. Selon d’autres sources, il aurait promis ce pèlerinage s’il guérissait d’une grave maladie. Quoiqu’il en soit, au retour de la terre sainte, sur un bateau de fortune pour pèlerins, il contracte le typhus et est débarqué dans l’île de Zante où il meurt peu de temps après, le 15 octobre 1564.
Préfaçant le fac-similé du livre de Charles Estienne, le Doyen de la faculté de Paris conteste le titre de Père de l’anatomie donné à Vésale, en invoquant des précurseurs, parisiens bien entendu, tels Jacob Sylvius et Charles Estienne : « On ne crée pas à soi seul » dit-il « une branche de la science. »
Par contre, il reconnaît que Vésale a été le premier à rompre la chaîne des préjugés et à réfuter Galien et que ses dessins étaient particulièrement beaux. Il n’est pas bon bec que de Paris.
Ouvrages consultés :
- Roger Delavault. André Vésale (1514-1564). 1999
- Georges Leboucq. André Vésale. 1944
- André Vésale. De humanis corporis fabrica. 1543
- Ambroise Paré. Œuvres. 1585
- Charles Estienne.La dissection des parties du corps (1546). Fac-similé. 1965
- Préface de G. Cordier, doyen de la faculté de médecine de l’Université de Paris.