Numéro 46 :
Miss P. et le Prince des Berlingots 1
René Krémer
A notre époque, il y a certes encore des malades imaginés dans les œuvres de fiction, mais on assiste à une efflorescence de récits autobiographiques d’écrivains malades : épileptiques (Valérie Pineau Valenciennes), drogués (Klaus Mann, Cyrille Putman, William Burroughs), malades du SIDA (Hervé Guibert, Pascal De Duve) 2.
Pour François Nourissier, Miss P. 3 est l’intruse qui s’est glissée dans son corps et s’est manifestée la première fois en 1995, aux sports d’hiver, en provoquant une chute incompréhensible « dans le replat de l’arrivée, là où on a déjà enlevé ses moufles. »
L’écrivain décrit sa maladie dans un livre étrange destiné, dit-il, à arracher à la maladie le masque horrifique, c’est-à-dire ridicule, dont l’affuble la peur.
Son récit « est chaotique, morcelé, désossé », de la micrographie 4 dit-il, appliquant ce terme au découpage en petits chapitres alignés dans le désordre. Il y a des comparaisons inattendues, parfois boiteuses, et des calembours pas toujours du meilleur goût. Il est, dit-il, à la recherche du « bon usage de la maladie, mais l’amertume de ne plus plaire est présente. » Sous le masque d’un verbiage historico-littéraire, il s’efforce de « transmuer la peur en mots et les mots en rire. »
Dans ses interviews à la presse, François Nourissier s’est expliqué sur le terme « berlingots » : pour lui, les bonbons aromatisés représentent ce que Pascal appelait « les grandeurs d’établissements », désignant par dérision « tous les hochets, tous les plumages, les armes d’apparat, les présidences, les fauteuils, l’influence, les pouvoirs », en fait tous ces honneurs auxquels la maladie l’a obligé à renoncer, mais qu’il n’a pas toujours dédaignés, entre autres la présidence du jury de l’Académie Goncourt pendant de nombreuses années.
Il décrit remarquablement la raideur musculaire, l’hypertonie, l’enrayage cinétique : « je suis obligé de penser au geste que je vais exécuter tout au long de son déroulement. Quand les pieds se soudent au sol… le reste du corps pris dans l’impulsion veut aller de l’avant. D’où les petits pas symboliques du grand âge. » C’est le phénomène de la « roue dentée » que le clinicien met en évidence par des à-coups successifs, lors de la mobilisation passive du poignet.
Il se heurte aux murs, aux chambranles de portes, agrippe au passage le dossier des fauteuils. « Si mes mains sont libres, je les tends comme des antennes. » … « Je suis entré dans l’hiver de mon corps. » Les troubles de la parole s’installent : « Je laisse les tresses entremêlées de deux ou trois phrases sortir de moi en nœuds… en effilochures d’un discours dont je renonce à rectifier le cours. » C’est le débit qui est irrégulier, mais dans le calme, la qualité du style et le cours de la pensée semblent intacts.
Déprimé, il parle de son « inespérance ». La rigidité musculaire gagne son visage : « Mes sourires voués au rictus et mon discours à la bouillie. » Les chutes sont fréquentes : « Tombé, je suis la tortue retournée sur le dos. » Il ne prend plus de bain, en raison de difficultés énormes pour sortir de la baignoire. Il n’ose pas prononcer le nom de sa maladie et fuit les articles qui en parlent : « Face au peloton, je suis de ceux qui demandent le bandeau noir. »
Ses symptômes s’amendent pendant les séjours à l’hôpital (Necker et Ambroise Paré), mais se réinstallent au retour à domicile. Les médicaments (Levodopa et Parloden) diminuent la rigidité et le tremblement, mais sont la cause d’hallucinations.
La situation s’aggrave progressivement : salivation incontrôlée, pleurs faciles. Il maigrit : « Mes pectoraux coulent en plis comme les bajoues d’un mâtin de Naples. » Sa mémoire lui joue des tours, il craint cette maladie « au nom allemand qui vous obsède. » Il se compare à Jean-Paul II « abîmé dans sa prière. » Mais il garde son sens critique : c'est ainsi que la presse lui reproche d'avoir publiquement soutenu Michel Houellebercq contre Franz Weyergans alors qu'il faisait partie du jury du Goncourt 2005.
J’ai trouvé sur le net les considérations d’un médecin américain, le docteur David Cram, atteint lui aussi de la maladie de Parkinson 5. C’est une malade qui lui a révélé sa maladie : « Vous paraissez vieux : refoulez vos épaules et redressez-vous. » Sa femme remarquait ses mots lents, le pharmacien se plaint de ne plus pouvoir lire ses ordonnances. Il décrit, comme F. Nourissier, les tremblements qui s’accentuent lors des mouvements, la démarche de marionnette, les hallucinations, la dyskinésie, la rigidité, l’instabilité, la difficulté de parole… l’amélioration à chaque nouveau médicament admis par la FDA (food and drug administration). Il décide de ne jamais se plaindre et conseille aux parkinsoniens de chercher « encore et toujours une niche qui donne une valeur et un but à votre vie. »
Pour Nourissier, cette niche est la dérision et la littérature qui lui est encore permise, ce qui rend la compagnie de Miss P. acceptable.
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François Nourissier. Le Prince des berlingots. (2003)
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La maladie de Parkinson.
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Les Parkinsoniens ont une écriture de plus en plus petite : on parle de « micrographie ».
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My Parkinson disease. http://agenet.com