Numéro 45 :

Alain Decaux : toutes les maladies sont vraies 1

René Krémer

 

Sans être un véritable historien, Alain Decaux s’est mis au service des histoires de l’histoire, produisant en abondance des émissions radiophoniques, puis télévisées, et des grands spectacles.  Sans imiter « la reine Margot », ni « Si  Versailles m’était conté », il est un admirateur d’Alexandre Dumas et de Sacha Guitry.

Un caractère passionné, des convictions de gauche et un certain manque d’objectivité l’ont conduit à des plaidoyers erronés.  Il croit à une collaboration « douce » chez Robert Brasillach 2 et plaide pour l’innocence des époux Rosenberg 3.

Sa popularité et son talent de communicateur l’ont conduit à l’Académie Française (1979) et au gouvernement, comme ministre de la francophonie du cabinet Rocard, sous Mitterand…  Il a participé au sauvetage du château de Montecristo 4 et à la restauration de Chantilly.  Ce flamand de France, né à Lille, se plaisait en Belgique, notamment à Waulsort et Saint-Idesbald.
Dans les mémoires qu’il publie à 80 ans, il parle abondamment de ses maladies, avec la simplicité d’un profane.

Son prognathisme provoquait les quolibets de certains compagnons d’école qui l’appelaient « galoche » ou « Fernandel ».  Cette disgrâce fut traitée par un médecin nommé Soleil et partiellement corrigée : « Il fallut plusieurs années pour que les dents du dessus mordent sur celles du dessous. »  Mais ce complexe physique a probablement persisté, puisque sur la photo de couverture du livre de ses mémoires, il appuie son menton sur le poing, masquant la protubérance que Charles Quint s’efforçait de dissimuler derrière sa barbe.

A 11 ans, une appendicite compliquée de péritonite met sa vie en danger.  Pendant sa longue convalescence, il dévore le Comte de Montecristo : Dumas devient son idole.

A 22 ans, une tuberculose pulmonaire le conduit au sana de Sancellemoz, une « thébaïde » proche du Mont Blanc.  La description rappelle un peu la Montagne Magique ;  Alain Decaux n’a certes pas le talent littéraire de Thomas Mann 5, mais il a le mérite d’avoir vécu ce séjour.

Lors de la  bronchoscopie, l’attente du médecin lui paraît longue : « Au Moyen Âge, les bourreaux étaient au moins à l’heure. »  Attaché par des courroies à la table des examens, il n’a que ses yeux pour se faire comprendre.  L’infirmière le traite de femmelette et l’opérateur en rajoute : « Les intellectuels sont des mauviettes. »  Decaux évoque également la faune du sanatorium qui mêle les sexes et les classes sociales, les cocktails dansants dans les chambres, les virées à Megève.  Comme les médecins estiment qu’il n’observera pas le repos absolu, c’est son poumon malade que l’on met au repos, par un pneumothorax, puis une section de bride.

En 1952, il est opéré d’une éventration, suite de la péritonite ancienne.
En 1958, une arthrite du genou est traitée par de Sèze 6 : « Mon genou droit était triplé de volume »
En 1969, une uvéite est traitée chirurgicalement à l’Hôtel Dieu : devenant un habitué des complications, il fait un ulcère de la cornée.  Son médecin le rend responsable de cette évolution très douloureuse : « en parcourant les journaux, votre regard était en perpétuel mouvement et la cornée frottait contre le pansement. »

En 1986, à 61 ans, c’est le début d’une longue aventure cardiaque.  Appelé la nuit pour une douleur de l’épaule gauche, son généraliste décèle une « anomalie » à l’ECG et transfère Alain Decaux à l’Hôpital Boucicaut 7 par le SAMU.
Decaux décrit la coronarographie comme « l’introduction d’une caméra dans l’artère coronaire » ;  il avait probablement vu le film de science fiction « Le voyage fantastique » 8.
Les lésions sont sévères et justifient une chirurgie.  Il est transféré à la Pitié Salpetrière dans le service du professeur Cabrol et opéré par Gandjbakhck 9.
La vie reprend, très active, avec d’incessants déplacements dans le monde entier.

En 1992, il a quelques « malaises » en visitant la « Death Valley » et au cours d’une croisière en mer Baltique.  A Tokyo, il croit mourir, tant son cœur bat fort.  Il pense : « mon pontage mammaire a vécu. »

En 1994, il fait un accès d’oppression respiratoire au cours d’une épreuve d’effort à l’hôpital américain de Neuilly.  Il est clair qu’il s’agissait d’un œdème pulmonaire et donc d’une cardiomyopathie ischémique avec insuffisance cardiaque gauche.  Son épouse le conduit dans sa Twingo à Boucicaut, un risque évident.
Réédition du périple de 1986.  Coronarographie à Boucicaut, pontages à la Pitié Salpetrière. Mais le moral est moins bon cette fois : le cardinal Lustiger lui administre le sacrement des malades.
Il rédige sa notice nécrologique, le faire-part pour le Figaro et le Monde et son testament.  
Gandjbakhck, chef de service cette fois, est toujours là, confiant : « Je sais où je vais » dit-il.

Alain Decaux est surpris de se réveiller : il apprécie les progrès des soins post-opératoires.  Le parcours d’un hôpital parisien à l’autre est toujours aussi illogique que 50 ans plus tôt.  Il est transféré à Broussais pour la réadaptation : on lui promet un avenir convenable moyennant des ménagements.  La jambe cicatrise mal : il a donc eu cette fois des ponts veineux.  Il n’y avait sans doute plus suffisamment d’artères utilisables.
Quelques semaines plus tard, en marchant dans les bois près de Valbonne, il se sent mal et tombe : le SAMU le transporte à « l’Institut Tsang » 10.

Après quelques jours en soins intensifs et des conseils donnés par Gandjbakhck par téléphone, il quitte la clinique et reprend lentement ses activités.
Sa verve littéraire ne tarit pas : « C’était le XXe siècle » (1996-1999),  « Mort pour Vichy » (2000), « L’avorton de Dieu » (2004) et aujourd’hui, ses mémoires.
En 2001, aux côtés de Chirac, il conduira Alexandre Dumas au Panthéon et s’exclamera : « Enfin, Alexandre, te voilà ! »
On peut penser que son état cardiaque reste précaire.  « Je reste en vie » écrit-il « mais ce n’est pas ma faute. »

 

  1. Alain Decaux.  Tous les personnages sont vrais.  Mémoires. (2005)
  2. Robert  Brasillach (1909-1945), écrivain français, exécuté pour collaboration.
  3. Julien et Ethel Rosenberg, condamnés à mort en 1951 et électrocutés en 1953, pour avoir livré des secrets atomiques à l’URSS.
  4. Extravagante folie d’Alexandre Dumas, digne toutefois d’être visitée à Marly le Roi.
  5. Thomas Mann.  La montagne magique (1924)  (voir AMA Contacts n° 5, juin-juillet 1998)
  6. Stanislas de Seze, professeur de rhumatologie à Lariboisière.
  7. L’Hôpital Boucicaut, où j’ai travaillé 2 ans dans le service de Jean Lenègre, est aujourd’hui désaffecté.
  8. Le voyage fantastique.  Film de Richard Fleicher (1966).
  9. Le parcours des opérés cardiaques est aussi aberrant que du temps où je me spécialisais à Paris : diagnostic à Boucicaut, chirurgie à Broussais ou à la Pitié, retour à Boucicaut pour la période post-opératoire et réadaptation à Dreux ou à Maison Lafitte.
  10. Etonnante confusion : il s’agit non pas d’un hôpital pratiquant la médecine chinoise dite Tsang, mais de la clinique plein ciel à Saint Laurent du Var, l’Institut Arnault Tzanck, du nom d’un médecin né en Océtie du Nord, qui fonda la société internationale de transfusion sanguine, en 1937,  écrit-il.  N’y aurait-il pas une certaine exagération ?  


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