Numéro 37 : Editorial

Mont-sur-Meuse en 1901

 

Dans l’ouvrage consacré à « 30 années des cliniques universitaires de Mont-Godinne », je n’avais pu décrire ce qu’était cette institution dans les premières années de son fonctionnement car les archives avaient disparu dans l’incendie de 1940.  René Krémer m’a fourni quelques documents de l’époque qui illustrent bien le traitement de la tuberculose à l’aube du XXème siècle.

Le mouvement sanatorial en était en Belgique à ses tout débuts.  Pour les plus démunis, la province de Liège construisait le sanatorium de Borgoumont et grâce à la générosité de G. Brugman, une institution similaire était prévue à Alsemberg.  Pour les malades « payants », un sana existait à Bokrijk dans le Limbourg, mais faute de places, nombre de patients tuberculeux se rendaient en Allemagne et en Suisse pour y être soignés.

En 1901, dans un numéro de la revue « Mouvement hygiénique », son secrétaire de rédaction, le docteur L. Laruelle, décrit de façon dithyrambique les bâtiments en granit de Meuse du sanatorium de Mont-sur-Meuse, leur isolement complet, la plus proche habitation étant située à 20 minutes de distance, les galeries de cure couvertes, situées aux divers niveaux « permettant aux malades de respirer à cette hauteur l’air le plus pur tout en jouissant du panorama et de la vue de la vallée » .

Les salles du rez-de-chaussée avaient 6 mètres de hauteur.  Les vastes chambres à deux lits (de 80 à 150 m3) comportaient de hautes fenêtres qui devaient rester ouvertes été comme hiver.  A côté de la grande salle à manger, se trouvait un somptueux salon servant de salle de spectacle et de jeux.  Un générateur fonctionnant sur place fournissait l’électricité pour l’éclairage et l’ascenseur.  Le chauffage central était installé.  L’alimentation en eau provenait d’une source située à 2,5 km de l’établissement.  C’était une véritable autarcie au milieu des bois et de la campagne, évitant ainsi la dissémination de la maladie vers les villages voisins.  Un vaste parc muni de bancs et les bois communaux proches étaient accessibles aux patients pour la promenade.  Un petit cimetière proche du sana évitait que les nombreux enterrements ne gênent la quiétude des touristes d’Yvoir.  Des mesures assez strictes d’hygiène étaient d’ailleurs prises sur place : les crachats provenant des malades, mélangés à de la tourbe, étaient brûlés et le système d’égouts, avec désinfection au lait de chaux, servait à l’irrigation des terrains du sanatorium.  Le linge, les matelas, les couvertures étaient désinfectés sur place par passage à l’étuve, les chambres étant formolées à la sortie des malades.

« Le médecin-directeur possède une petite pharmacie qui détient les médicaments nécessaires mais dont il est fait un usage très restreint ».
A. Hottlet, médecin-directeur de cette institution privée qui ressemblait par certains aspects à un hôtel, signalait dans une lettre adressée à ses confrères, que « les principaux facteurs de la cure de la tuberculose sont le repos, le séjour au grand air et dans la mesure du possible, la suralimentation ».  Le régime comprenait d’ailleurs 6 repas à heure fixe (7 h 30, 10 h , 12 h, 16 h, 19 h et 21 h) dont l’abondance aurait découragé les mieux portants.

Les patients étaient astreints à une discipline relativement sévère et instruits des mesures prophylactiques permettant d’éviter la diffusion de la maladie.  Les moyens mécaniques, comme des frictions sèches et humides, des bains, des douches appliquées par le médecin lui-même, complétaient l’emploi de « médications spéciales lorsque leur utilité est démontrée ».

Le bâtiment pouvait abriter 50 patients des deux sexes.  Le coût journalier de la pension était de 8 francs, plus 2 à 7 francs pour les chambres.  Une sœur-infirmière pouvait même être mise à la disposition exclusive d’un malade le souhaitant, moyennant un supplément à convenir.  La calèche de l’établissement venait à la demande chercher les clients à la gare de Lustin.

Aujourd’hui, où les techniques de diagnostic sont si raffinées et où la chimiothérapie guérit aisément en cure ambulatoire la quasi totalité des tuberculeux, pourvu qu’ils s’y soumettent correctement, la lecture de ces quelques documents fait ressortir l’ampleur des progrès accomplis en un siècle et le dénuement dans lequel se trouvaient malades et médecins devant cette affection redoutée dont à l’époque un patient sur deux seulement réchappait, même après des séjours prolongés dans des institutions « de haut niveau » comme celle de Mont-sur-Meuse.

Les mérites tant vantés du sanatorium concernaient d’ailleurs davantage la prévention (par isolement) de la dissémination de la maladie dans la collectivité, que les bienfaits douteux pour les malades d’un séjour au grand air, bien souvent au prix d’une désinsertion familiale et sociale majeure.

Jacques Prignot


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