Numéro 35 : Editorial

Cyrille Putman : un récit édifiant 1

 

Jacques, le père de Cyrille, est un célèbre éditeur d’art, ancien docteur en droit de l’UCL et sa mère, Andrée, une architecte d’intérieur de renommée mondiale.  Renvoyé du lycée Montaigne à 14 ans, pour indiscipline et absences injustifiées, Cyrille est élevé dans une liberté totale.  Après avoir « flashé » pour les Rolling Stones, il adopte la « philosophie » punk décadente et négative.  Les cheveux bleus et rouges, taillés en brosse, sont lavés à la bière.  Il participe à des bagarres de rue avec les rockeurs.

Au cours d’une réception « branchée » chez sa mère, deux invités lui font essayer de la « blanche » 2.  Après trois jours, il ressent le manque (mal au dos, mal aux reins, moral à zéro).  Son parcours d’héroïnomane a commencé dans le milieu « culturo-intello-créateur » qui est celui de ses parents.

Il aura toujours l’horreur des piqûres et des seringues et se « contentera » de « sniffer » , ce qui revient plus cher, parce qu’il en faut plus pour un même résultat, mais ce qui vous met relativement à l’abri de l’hépatite, du Sida et de l’overdose.

Cyrille va séjourner six mois à Londres, parmi les « punks » authentiques.  Il s’improvise batteur, au cours de concerts déchaînés, sur fond de drogue.  Il porte une épingle de nourrice à la commissure des lèvres et braille les slogans « No future.  I hate the world ».

Son père tente de le faire émanciper pour ne plus être financièrement responsable, mais finalement le fait mettre en liberté surveillée.  Pendant son service militaire, il est porté déserteur à deux reprises.  La drogue, dit-il, est un travail plein temps, tout un sport, pas de cumul possible.  Chaque jour, il faut trouver de l’argent, « dénicher le supposé bon plan », être défoncé pendant quelques heures, puis recommencer… Il joue le dealer pour ses amis et triche.  « Ma vie ne m’appartient plus, confisquée par cette foutue poudre blanche. »   Les dealers « détenteurs des clés du paradis » le manipulent, le compromettent dans des combines tordues et le relancent s’il veut s’arrêter.
Un jour, il entre chez sa mère par le parapet de la façade pour voler un bijou, qu’il dépose au Mont-de-Piété.

Sa mère semblait vouloir ignorer le problème de son fils.  Quand il était défoncé, elle lui disait « tu es en pleine forme » et quand il était en manque « tu as une petite mine ».  Elle veut pour lui une formation universitaire et l’inscrit à Boston, où il suit des cours de langue, de littérature et d’histoire.  Il est viré comme fauteur de trouble, pour avoir participé à une manifestation contre la haute distinction conférée par l’université à Sylvester Stalone !
Sa mère le fait entrer à la Fondation Hazelder à Mineapolis 3 pour ce qu’il appelle un « nettoyage à sec ».  A la fin du séjour, on reçoit un prix…

Il reste abstinent un certain temps, commence à gagner sa vie dans une galerie d’art, grâce à une copine généreuse.  Mais il rechute chez une amie qui se fait livrer la drogue à domicile et lui fait « un rail » 4.  Il est à nouveau flippé.  Il part aux Indes où il vit « hors du temps et du cycle des jours et des nuits. »  Un jour, il s’endort  dans un hôtel de Delhi, une cigarette à la main ; il s’éveille heureusement lorsque le matelas s’enflamme : il est brûlé aux mains.  La « dope » a « cramé » sa mémoire, « bousillé » ses neurones.  Son périple se poursuit : Bombay, Bali, Bangkok. 

De retour à Paris, il décide d’arrêter.  A court de Méthadone, il la remplace par la codéine, en vente libre : il en absorbe des doses énormes, jusqu’à 132 pilules par jour…
Il fait la tournée des pharmaciens de Paris en simulant des quintes de toux et demande à des amis de lui en procurer.  Il diminue très progressivement les doses et met ainsi une année pour arriver à l’abstinence totale.  Il a réussi ce que n’ont pas obtenu les nombreux psychologues et les psychiatres, lacaniens ou autres, que ses parents lui avaient conseillés.  Il leur livrait d’ailleurs peu d’informations et n’avait aucune confiance en eux.  Sevré, il se marie, se réconcilie avec ses parents. 

Il écrit ce livre 15 ans après le sevrage.  « L’art est actuellement sa drogue. »
De 1989 à 1997, il a été directeur de la Galerie Florent-Putman à Paris ;  aujourd’hui il ouvre un nouvel espace d’exposition dans un hôtel particulier 5 ;  il est aussi éditeur et producteur de film et un découvreur de talents.

Ce parcours est écrit d’un jet, nerveusement, avec des expressions bien à lui.  S’il utilise le jargon des drogués, l’évocation reste pudique.  En lisant ce livre d’une traite, on est impatient de savoir comment et quand il va sortir de l’enfer.
Mais, on ne peut s’empêcher de penser que Cyrille fut un drogué « privilégié », un « accro-caviar » jamais vraiment abandonné par ses parents qui le soutenaient financièrement : aux Indes, par exemple, il logeait dans des hôtels climatisés !  Le problème des jeunes drogués déshérités et abandonnés est certainement plus alarmant, conduisant à la déchéance totale, à la maladie, au risque mortel et à la délinquance.

René Krémer

 

  1. Cyrille Putman : Premières pressions à froid. (Robert Laffont, 2004)
  2. La « blanche » est l’héroïne en poudre que l’on aspire avec un papier roulé, après l’avoir étalée en ligne.
  3. Hazelder est une fondation sans but lucratif, fondée en 1949, qui entend appliquer aux alcooliques et aux drogués les soins les plus efficaces : le principe du traitement est le sevrage total, une franchise absolue et « one day at a time ».  Cette institution comporte plusieurs départements : prévention, traitement, éducation, recherche et formation.   (Adresse Web : http://www.hazelder.org)
  4. Une traînée d’héroïne à aspirer.
  5. http://www.artcomnews.com/evenement/index.htm


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