Numéro 30 : Editorial

Souvenirs de mes études de médecine (1944-1951)
2ème partie : les doctorats

 

Enfin, j’allais entrer dans le vif du sujet et apprendre la médecine.  J’eus dès lors plus de motivation et d’ardeur à l’étude.
Joseph Maisin donnait le cours d’anatomie pathologique à l’auditoire du cancer, de l’autre côté de la Dyle.  Ses exposés étaient vivants, bien illustrés, et trahissaient une haute estime de soi-même.  Je me souviens des horribles descriptions de la syphilis, qui pouvait, nous disait-il, se contracter par des baisers profonds : cette expression me laissait rêveur.  Il prenait les présences à chaque cours et trouvait souvent l’occasion de nous parler de la bataille de Tabora à laquelle il avait assisté comme élève officier médecin 1, de ses recherches sur les rats et de sa grosse bombe au cobalt.  Il avait parfois des colères subites, lorsqu’on avait le malheur de  parler ou de rire au cours : je me souviens d’un de nous qu’il a traité d’ « idiot concentré fini » !
Paul Lambin était un homme cultivé, intègre, érudit, doué d’un remarquable sens clinique et d’un humour discret, mais aiguisé.  Ces qualités, je n’ai pu les apprécier que plus tard, comme interne, puis assistant.  Ses cours nous paraissaient un peu ternes.  A l’examen, il était juste et bon.
Joseph Hoet était tout différent, extraverti, enthousiaste ;  son cours et ses cliniques étaient un peu désordonnés, émaillés d’anecdotes et de digressions diverses.  En pathologie générale, l’année s’achevait alors qu’il n’avait exposé qu’une petite partie du cours !
En chirurgie, Paul Debaisieux, brillant orateur, nous donnait la clinique d’urologie du samedi matin : un peu nonchalant, il était souvent en retard, parfois absent, mais lorsqu’il nous décrivait les étapes d’un diagnostic difficile, nous étions conquis.
Paul Vangehuchten était également un enseignant brillant qui nous donnait de la neurologie l’impression qu’il s’agissait d’une science exacte, tant ses exposés étaient clairs et sa démarche diagnostique précise.
Oscar De Mees avait la charge du cours théorique de chirurgie.  On nous disait qu’il était remarquable chirurgien, mais son cours était ennuyeux, lu d’une voix monocorde.  Le syllabus était assez vieillot.  A l’examen, on se demandait s’il nous écoutait.  Nous avions l’impression peut-être fausse qu’il manquait d’enthousiasme et que l’enseignement l’ennuyait.
André Simonart, récemment revenu des camps de concentration, donnait un cours de pharmacodynamie, précis, clair, illustré par un livre remarquable que les étudiants des autres universités nous enviaient.  Il avait une façon inimitable de nous donner des conseils, martelant les mots avec un accent flamand qui nous semblait augmenter sa force de conviction.
Je dois également citer Maurice Appelmans, dont nous redoutions les interrogations surprises : « Vous là, jeune homme, venez examiner cet œil. »
Fernand Malengreau qui lisait sans état d’âme un cours d’ailleurs bien fait, Paul Guns dont les plaisanteries étaient parfois difficiles à saisir et Jean Lederer dont l’érudition se manifestait parfois par des réflexions caustiques et polémiques.

Nos distractions étaient assez rares à cette époque et nous avions hâte de rentrer chez nos parents pour le week-end.  Il y avait les réunions de la Régionale Namuroise à laquelle j’appartenais, le cinéma du vendredi soir au Forum, prétexte à chahut où nous raffolions des films américains dont nous avions été privés pendant la guerre et sifflions quand Rita Hayworth dansait ou Dorothy Lamour roucoulait.  Je me souviens d’une conférence de Paul Claudel lisant son texte, sans talent, d’un récital de Tino Rossi sifflé, de Jacques Hélian acclamé et d’une manifestation à Bruxelles pour la libération du cardinal Mindszenty emprisonné à Budapest.  Devant le local du parti communiste, nous qui étions habitués à la bonhommie des « pandoeren » louvanistes, avons tâté des matraques de la gendarmerie.  Ajoutez un ou deux carnaval à Binche, les cortèges de Saint Nicolas, une ou deux visites de brasserie…

Il est certain qu’en tant qu’étudiant à l’époque, nous n’avions qu’une vue incomplète sans doute biaisée, peut-être trop critique de l’enseignement que nous recevions.  Toutefois, il est clair qu’au sortir de la guerre, nous avions un important retard technique à combler et que la mobilité des malades, des étudiants et des enseignants était réduite.  En outre, la plupart des professeurs n’étaient pas plein temps et avaient une pratique privée importante, notamment dans des cliniques proches du vieil hôpital universitaire géré par l’Assistance publique.  Tout cela allait changer rapidement.  Ce demi-siècle d’évolution prodigieuse est décrit dans le livre récent publié par Jean-Jacques Haxhe. 2

René Krémer

 

  1. En 1916, après une campagne de cinq mois, un corps expéditionnaire belge commandé par le général Tombeur (dit le tombeur de Tabora) s’empare de Tabora, capitale de l’Est Africain Allemand (aujourd’hui Tanzanie).
  2. Jean-Jacques Haxhe.  50 ans de médecine à l’UCL.  Editions Racines 2002.


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