Numéro 22 : Editorial

A Manhattan, ce 11 septembre 2001

 

Nous n’imaginions pas, endocrino-diabétologues, qu’en nous inscrivant au 14ème Congrès International du DALM (Drugs Affecting Lipid Metabolism), organisé à New-York du 9 au 12/09/2001, nous serions les témoins d’une des pages les plus dramatiques de l’histoire du Monde.

Dimanche. Le voyage s’annonce pourtant sous d’excellents augures. Les pilotes de la Sabena viennent de terminer une grève… . A l’aéroport de Zaventem, nous avons le plaisir de rencontrer un groupe d’étudiants en médecine de notre Université, qui partent effectuer un stage à l’hôpital de Cotonou au Bénin. L’occasion de leur souhaiter un excellent séjour, tout en leur recommandant la prudence… .  Quelques heures plus tard se profilent du haut du ciel, dans les brumes diaphanes, les contours encore imprécis des gratte-ciel de New-York. Ceux des tours jumelles, les Twin Towers du World Trade Center, émergent en fières sentinelles de la liberté.

Atterrissage. Après les contrôles musclés habituels de JFK, nous redécouvrons dans un cab jaune la circulation débridée de Big Apple où seule la virtuosité du chauffeur permet une avancée efficace. Un coup d’œil à droite vers Flushing Meadow  où se joue, ce soir, la finale « hommes » de l’US Open.
A l’hôtel, situé à Lexington, Midtown Manhattan, nous retrouvons (il est quinze heures) un groupe de collègues – et d’amis, dont le Prof. F. Heller, arrivés la veille. Nous y rencontrons aussi Mr P. Goemaere, qui, au nom de la société Pfizer, nous souhaite la bienvenue au Congrès. C’est ensemble que nous assistons au Hilton Towers au premier symposium déjà organisé ce soir. Quelques experts américains nous y résument avec brio la place des statines (médicaments hypolipémiants) dans le traitement de l’ischémie cardiaque aigue.   Le soir, après la session, stimulante, l ‘ambiance à New-York est à la fête. Times Square, dans la douceur du début de l’été indien, scintille.

Lundi. Après les exposés scientifiques du matin, nous descendons vers Downtown. La promenade est belle. Et puis New-York, au sud de Washington Square, garde à côté de ses avenues prestigieuses et de son Université, quelques quartiers élégants à l’allure provinciale, où les gratte-ciel n’ont pas remplacé de cossues demeures séculaires. Flâner, poètes, à Greenwich Village ou, artistes, à Tribeca sont des expériences délicieuses du « vivre heureux » américain.
Mais, inexorablement, nous nous rapprochons du « core ». Le coeur du monde des affaires. Les Twin Towers , du haut de leurs 411 mètres, en sont encore l’imposant symbole. Comme Wall Street et le NYSE.   Et si nous montions au sommet de la tour n°2 ? Oui, c’est décidé…Il n’y a pas trop de monde. En 60 secondes, un ascenseur nous mène au 107ème étage. Et parce que le climat le permet, nous prenons là l’escalator qui conduit au faîte du 110ème niveau . Qu’elles sont sublimes les vues tentaculaires de New-York et de ses environs. Quel espace de puissance.  Rien ne laisse présager ou imaginer que nous étions là haut à moins de 20 heures de la mort.

Mardi. Il fait bleu ce matin à Manhattan. La journée s’annonce très belle. Comme la veille. Nous partageons la table du petit-déjeuner avec le Président de notre CREMEC du Hainaut, le Dr A. Quoidbach. Echanges. Idées. Projets. Mais vers 8h45, un serveur, inquiet et soucieux, vient nous dire qu’un avion de tourisme a heurté une des Twin Towers. Invraisemblable. Encore plausible. Mais quelle grossière erreur de pilotage !  L’information est rapidement mieux structurée «  ce n’est pas un petit avion, c’est un Boeing… ». Tous nous imaginons déjà le pire. Nous sommes hélas encore loin de la réalité. Quelques instants plus tard, dans nos chambres, nous assistons, stupéfaits, en regardant CNN, aux prémices de l’apocalypse. Un deuxième avion dans une deuxième tour. En d’autres termes, un accident qui devient attentat et un drame tragédie. Et nous ne vivons pas un mauvais rêve. De Lexington, dans le ciel azur de Downtown s’élève en effet, grise, une colonne de fumée. Elle se transforme rapidement en nuage opaque gommant l’horizon du ciel.

« A tower collapsed down » s’écrie, d’abord incrédule, puis horrifiée l’Amérique descendue dans la rue. C’est à Madison Square vers 10h30 AM que nous assistons à l’indescriptible et que nous voyons s’embraser et s’effondrer la seconde des Tours. A la stupeur et aux larmes succède alors un énorme silence qui ne sera plus troublé que par le hurlement des sirènes. Dans les heures qui suivent, à New-York, le deuil l’emporte sur la colère. Les lumières de Manhattan ne s’allumeront d’ailleurs pas au crépuscule de ce 11 septembre 2001.  Qu’elle fut émouvante cette expérience, ce soir, de se retrouver tous - et de l’annoncer aux proches restés au pays.

Mercredi. New-York est désert. New-York est sinistre . New-York est en berne. Comme ses drapeaux. Comme son Congrès. P. Goemaere dépose au Consulat de Belgique la liste des membres de notre groupe. Il apprend que notre retour à Bruxelles prévu ce soir, n’aura pas lieu. L’espace aérien des Etats-Unis reste fermé. Pour une durée indéterminée.

Jeudi, Vendredi. La douleur hante les rues. La mort de plusieurs dizaines de héros du Fire Department la rend d’ailleurs de plus en plus insoutenable. Le noir habille les vitrines des boutiques. « Sadness »,  comme chez Saks, Fifth Avenue. Central Park est l’exutoire de la détresse. Harlem que nous traversons à pied avec le Prof. Y. Horsmans, survit. Mais au-delà, il y a maintenant la colère qui gronde. Le discours politique désigne des suspects de plus en plus suspects. Avec une détermination à la mesure du crime. On mobilise les réservistes. Les F15 survolent une mégapole en état de guerre. La ferveur dans les Eglises, de la St Patrick’s Cathedral aux plus modestes oratoires, invite chacun à la prière. Pour les disparus. Pour les vivants. Nous ne quitterons pas encore New-York ce soir.

Samedi. Petit à petit, la vie veut reprendre. Les collections d’art contemporain du Musée Guggenheim sont à nouveau accessibles. A l’entrée de sa rampe hélicoïdale, une maquette… celle du Musée de l’an 2003. Il sera érigé, futuriste, comme proue de Downtown sur une jetée construite dans les eaux de l’Hudson et de l’East River. Mais cet avenir en images vient d’être brisé. Parce que les Twin Towers dominent encore de leur superbe la silhouette virtuelle aux lignes surréalistes du néo-Guggenheim.  Plus tard, nous redécouvrons les immenses richesses du Metropolitan Museum. Parmi elles, Salle 25, il y a le temple de Dendur. Il fut offert par l’Egypte aux USA en reconnaissance à l’aide apportée pour sauver les sites de Nubie. Cet édifice majestueux, construit sous l’empereur Auguste, quand l’Egypte passa sous la domination de Rome, était parvenu à survivre aux vicissitudes de l’histoire ! La folie des hommes n’a pas réussir à le détruire, lui.

En cette fin d’après-midi, une certaine morosité voire une inquiétude devient perceptible chez chacun de nous. Jusque quand serons nous là ? Personne n’est à même de répondre à cette interrogation légitime. Nous n’avons aucun écho du Consulat. Aucun. Ni de la SABENA dont les lignes téléphoniques locales sont occupées. Toujours occupées. Il faut la persévérance et le travail acharné de P. Goemaere aidé par la logistique sans faille de sa société pour entretenir quelques peu nos espérances.   « Oh, on finira bien par rentrer un jour ». Quoi qu’il en soit, heureusement qu’il est d’ excellents collaborateurs aux Cliniques St Luc avec lesquels on garde un certain contact. Le suivi médical des malades est totalement assuré. Merci aux collègues du Service d’Endocrinologie et Nutrition..

Dimanche. A Union Square, on prie. Un saxophoniste noir, solitaire, accompagne les suppliques. Nous assistons, à la St Bartholomew’s Church, au Requiem de G. Fauré. Puis, aux témoignages poignants d’une assemblée recueillie qui entonne le « we shall overcome » et, le regard altier, l’hymne national américain. Main dans la main.Symbiose entre la Croix et la Bannière. « A mighty fortress is our God ».

 Début d’après midi. Nous apprenons en rentrant à l’hôtel que les efforts de P. Goemaere pourraient bientôt être couronnés de succès. Certes, il n’y a plus de « groupe » puisque nous sommes répartis en quarterons dans plusieurs vols vers l’Europe. Départ immédiat vers les aéroports de New-York.
Rentrer à JFK, Terminal 3, devient quasi un test de bonne santé, dont la sensibilité et la spécificité doivent être proches de celles d’une épreuve d’effort. Et puis, en aval, il y a d’autres contrôles tout aussi exigeants que ceux en amont. Quand tous ces barrages sont franchis, il reste à convaincre le ticketting qu’eu égard aux circonstances, un billet SABENA de mercredi doit être équivalent à un titre DELTA de dimanche. Ce qui paraît simple et rationnel ne l’est pas nécessairement. Il faut se montrer (très) convaincant. Certains réussiront et atterriront à Bruxelles lundi matin. D’autres retourneront à Manhattan pour quelques longues heures de plus.

Nous sommes aujourd’hui tous rentrés. Nous partageons encore des images que notre réflexion devra un jour sublimer.

Professeur Martin Buysschaert


AMA-UCL Association des Médecins Alumni de l'Université catholique de Louvain

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