Promotion des médecins du 25 juin 2011
Discours du docteur Dominique Lamy, secrétaire-trésorier de l’AMA-UCL
L’AMA a fêté ses 100 ans d’existence, il y a deux ans. Elle n’en est pas moins dynamique pour autant.
Elle multiplie les actions au sein de la faculté et en dehors, soutenant notamment les activités de nos
anciens. Elle participe à la formation continue. Elle édite 5 fois par an, la revue AMA-contacts. Elle remet
tous les deux ans le prestigieux prix Jean Sonnet, à la mémoire de ce grand professeur de notre université. Ce prix est destiné à soutenir un projet d’aide à une population en difficulté, en Belgique ou à l’étranger.
Il est remis lors du congrès de médecine générale en novembre. Enfin l’AMA co-organise cette cérémonie
de promotion avec la Faculté et les étudiants.
C’est un honneur pour moi de partager avec vous ces quelques moments. C’est aussi un exercice difficile.
C’est qu’il n’est pas simple de maintenir l’attention à l’heure où l’on voudrait plutôt festoyer et se projeter
dans l’avenir. Je vous prendrai juste ces quelques instants entre la fin d’un temps, celui de vos études,
et l’avènement d’un autre, celui de votre réalisation professionnelle, pour symboliser en peu de mots ce
passage. Parler de vos études, je vous en laisserai le soin juste après. Porter une réflexion plus générale,
universitaire ou sociétale, le doyen et le recteur sont certainement plus indiqués à cette tâche.
En tant que médecin généraliste et secrétaire d’une association d’anciens, que pouvais-je faire mieux
que de parler de pratique ? Peut-être un peu de la mienne, mais surtout de la vôtre, en construction. Car cela commence aujourd’hui.
N’étant pas coutumier de l’exercice, j’ai décidé de commencer par une définition, en m’inspirant librement du défunt jeu des dictionnaires, dont une session avait siégé dans cet auditoire. Discours : cet ancien mot a trouvé sa forme définitive après le discours du Professeur Masouin en 1909 annonçant la création de l’association des médecins anciens de l’UCL. Ce mot serait lié au jargon de facétieux carabins qui cotaient les exposés de leurs maitres, en deux parties. La première rendait compte de la durée, en minutes ou en pages ( là on n’est pas certain ), la seconde partie était une appréciation globale. Ainsi l’allocution du professeur Masouin fut qualifiée de « vingt-trop long ». Le « dix-court », en réalité, n’a jamais existé, sauf dans les paris des dits carabins. Sa cotation en était, en générale très élevée, ce qui en dit long sur les habitudes de l’époque. Le « discours » est donc un texte à ne pas trainer en longueur, voire même si on le prend à l’infinitif, à se hâter. Personnellement je ne vous imposerai pas dix pages, mais je vous proposerai une division en dix paragraphes courts, pour la clarté du sujet.
Revenons–en donc au fond et à la pratique, la vôtre. Dix points, dix préceptes, dix recommandations qui
vous permettront de garder le plaisir de travailler, en respectant l’autre et en vous sentant respecté. Selon différentes enquêtes réalisées en Belgique et en France, une des principales raisons de changer de boulot, n’est pas, comme on pourrait le croire, l’espoir d’un meilleur gain, mais bien la recherche de reconnaissance, de respect.
Qu’est-ce qui fait donc un bon médecin ? Je me suis inspiré d’un exposé de Philippe Jean Parquet, professeur à l’Université de Lille, alors tout juste nommé président de l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies, et qui nous entretenait en 2003 des qualités que devait avoir un thérapeute dans le domaine
des assuétudes. L’accompagnement des personnes présentant une dépendance à un produit est un véritable paradigme d’une prise en charge globale. Il nous convie à prendre en compte toutes les dimensions des personnes en présence, nous y compris.
Premier point : posséder les savoirs scientifiques validés.
Je n’aurai pas grand-chose à ajouter à ceci. Si vous êtes aujourd’hui sur cette scène, aux côtés de vos professeurs, face à vos familles et amis, c’est que vous maitrisez ces savoirs. Vos maitres viennent de le
déclarer. Pourtant, cela ne s’arrête pas là. Le métier de médecin nécessite de poursuivre une formation,
tout au long de votre carrière. Cela se décline sous de multiples formes : exposés magistraux, ateliers,
GLEM, formation complémentaire. L’AMA-UCL s’emploie, notamment, à vous proposer, en collaboration
avec l’enseignement continu de l’université, des formations dans le domaine de l’éthique et de l’économie
de la santé. Soyez éclectique, soyez critique, mais ne restez pas dans votre bulle.
Connaitre la structure des soins de santé, les réseaux de soins.
Cela nécessitera sans doute un peu d’apprentissage. Avec sept ministres de la santé, la chose n’est pas aisée et je ne m’étendrai pas sur le sujet. Ce qui est plus important à mes yeux, c’est la façon de voir le partenariat entre tous les acteurs de santé. Au-delà d’un découpage hiérarchique en niveaux de soins, l’accompagnement d’un patient se décline plutôt en association de compétences. Les échanges d’informations entre prestataires de soins visent le mieux-être du patient, considéré lui aussi comme un partenaire de santé, de sa santé. Les acteurs paramédicaux, sociaux, le monde associatif, sont aussi des partenaires à prendre en compte. En ce sens, nous adoptons une vision transversale plutôt que verticale ou hiérarchique. Les informations émanant de chacun de ces prestataires ne sont pas les mêmes, mais ce croisement de savoirs améliore gravement la qualité des soins.
Les prévalences de pathologies ne sont bien sûr pas les mêmes chez le cardiologue, chez le généraliste ou le chirurgien. Connaitre les co-morbidités est un élément important. En tant que généraliste, j’ai parfois l’impression d’assister à un match de tennis où les différents spécialistes se renvoient la balle (enfin,
le patient) lorsqu’il présente une situation complexe, c’est-à-dire plus d’une pathologie. Vous allez devoir
sans cesse composer avec des histoires cliniques et des histoires de vie, rarement simples.
Malgré ses 88 ans, une prothèse valvulaire et un cancer du sein toujours en chimiothérapie, Henriette tient à son autonomie. Tous les vendredis, elle prend le bus pour aller à la banque faire ses paiements, à la pharmacie pour ses médicaments, au supermarché pour les courses hebdomadaires. Un jeudi sur deux, elle va à l’hôpital pour sa chimio et bénéficie alors d’un transport adapté. Quand la semaine dernière l’oncologue a déplacé le rendez-vous au vendredi, il n’a pas compris son refus. « Vous n’avez qu’à… » lui a-t-il proposé. La consultation ne s’arrête pas à la porte de notre cabinet de consultation.
« Qui demande quoi ? » comme disent les thérapeutes. Il est bon de s’attarder un tant soit peu avec le
patient sur ce qui l’amène en consultation. Analyser sa demande, comprendre sa démarche et l’intégrer
dans le tissu social et culturel qui est le sien. Tous éléments qui permettent de partir du bon pied. Somme
toute, être à l’écoute. Tous nos patients ne sont pas armés du même bagage et tous ne s’expriment pas
comme dans nos livres de médecine. D’autres, par contre, arrivent, et de plus en plus souvent, avec des
informations glanées ici et ailleurs. Près de 40 % des patients arrivent en consultation après avoir consulté
internet. Dans les deux situations, il faut pouvoir décoder, calmement.
Dans la foulée, l’analyse des compétences du patient à intégrer les données reçues, à appliquer les traitements et consignes, à évaluer l’importance d’un nouveau symptôme est à mettre en parallèle avec nos
propres compétences. Compétences fondamentales et compétences en communication. La médecine
n’est pas que technique, elle est d’abord parole.
Construire un projet thérapeutique. Toutes ces données sont à intégrer dans une stratégie thérapeutique adaptée. Même si les études « Evidence Based Medecine » nous invitent à une standardisation des réponses à apporter, il ne faut pas oublier le patient comme partenaire incontournable de son traitement.
Il est un des trois piliers de l’EBM, le médecin et les études scientifiques validées constituant les deux
autres. Le projet thérapeutique doit pouvoir s’intégrer réellement dans la vie de la personne, sur base
de ce triangle d’expériences et d’expertises.
Travailler avec les familles, bien sûr, celles des patients. Mais avant toute chose, j’aimerais mettre en avant vos familles, présentes ici, qui vous ont accompagnés durant toutes ces années et je voudrais souligner le parcours de ceux qui vous ont lancés sur orbite médicale et les remercier de tout cela, de leur patience dans l’attente d’un coup de téléphone, d’un résultat de test ou d’examen, de leur énergie à vous soutenir encore et toujours. Je ne voudrais pas oublier non plus ces familles que certains d’entre vous ont déjà fondées. Et enfin, pour revenir à l’objet de mon propos, ces familles de patients, qui nous interpellent parce qu’elles vivent aussi la maladie de leur parent, avec une influence non négligeable sur leur qualité de vie. La maladie interfère toujours avec les projets familiaux. Elle oblige à revoir le projet de groupe.
Parler de réseau. Cette structure virtuelle, informelle qui se crée et s’active autour d’une situation de
soins. Toutes les analyses de qualité de ces réseaux vont dans le même sens. Un réseau où les acteurs
se connaissent est un réseau plus performant. Il ne s’agit donc pas simplement de définir les rôles et
missions de chacun dans le réseau, mais bien de se rencontrer pour mieux se connaitre. Un réseau où le
patient n’aura pas de mal à se re-connaitre, au minimum à se re-trouver.
Comment s’évaluer ? Comment évaluer sa pratique ? Quels indicateurs de qualité ? Bien sûr, il y a la formation continue, volontaire ou accréditée. Il y a aussi les intervisions, peu utilisées dans le monde médical,
sauf à considérer les groupes locaux d’évaluation médicale (j’ai nommé les GLEM). Travailler sur son travail, accepter la critique. Somme toute, ne pas rester seul. Là aussi il y a du réseau à créer, dans et autour
des lieux de soins dans lesquels vous travaillerez. Là aussi l’AMA peut être un relai entre vous. C’est même
un de ses principaux objectifs, maintenir le lien avec l’Alma Mater, maintenir les liens entre vous, quelle
que soit votre pratique, et créer du lien avec d’autres anciens, actuels ou à venir.
Si vous m’avez bien suivi, si vous avez bien compté, voici le dernier point, le meilleur pour la fin. Prendre
soin de soi. Comme nous le disons à nos patients en fin de consultation : « Soignez-vous bien ! ». Et vous
docteur ? Les récentes promotions y sont beaucoup plus attentives qu’auparavant. Viser un équilibre
qualitatif entre vie privée et professionnelle. Se donner du temps, se donner du bon temps. Pourrions-nous,
comme me le disait un confrère, organiser notre semaine de travail autour des temps de détente programmés
plutôt que nous détendre dans le temps qui reste ? Je vous le disais en introduction, il s’agit de respect de soi, pour respecter l’autre. Une fois ce cadre posé, pratiquez votre métier, pratiquez-le bien et – n’oubliez pas – faites-le avec humour et amour.
Bonne route.