Promotion des médecins du 27 juin 2009
Discours du Professeur Martin Buysschaert, Vice-Président de l’AMA-UCL
Cette nuit, j’ai fait un rêve. Il était, comme beaucoup de rêves, un peu décousu, un rien agité même. En réalité, j’occupais il y a quelques heures une tribune, non pas en mon nom personnel, mais au nom d’une confrérie initiatique dont le maitre à penser était assis à mes côtés. L’assemblée tout autour était constituée de plusieurs dizaines de jeunes, de jeunes femmes, d’hommes jeunes… Il y en avait plus de 200… Ils étaient tous endimanchés, tout en joie et tout en rires.
Ma mission et celle de mon collègue ainé étaient d’aider ces jeunes à tourner une page très dense d’un beau livre aux enluminures dorées qu’ils me présentaient. Dans la salle de fête où se déroulait l’évènement, il y avait aussi, chose importante, quelques notables qui rehaussaient de leur présence la cérémonie, tout en veillant à son bon déroulement. Le décor était abstrait, cadré par un enchevêtrement de lignes géométriques, comme dans une toile de Léger. Il y avait dans cet espace beaucoup de lumière, comme dans un tableau passionnel de van Gogh.
Les neurosciences, a écrit Suzanne Wolf, professeur en psychiatrie clinique dans notre université, les neurosciences ont prouvé que pendant la nuit aussi, nous pensons de façon tout à fait sensée, même si cela reste très différent de la pensée à l’état d’éveil.
Eu égard à cette assertion forte, vous aurez compris qu’il était pour moi logique et rationnel, dès ce matin tôt, d’interpréter ou de tenter d’interpréter cette vision onirique étonnante, ce songe étrange d’une nuit de juin. En fait, restons très humble, il ne fallait pas être un éminent onirologue pour décoder ce rêve si vous utilisiez, comme vous le faites en médecine de terrain, une démarche clinique structurée ou si vous préférez une approche hypothético-déductive de qualité. Ces images, cette nuit, déguisaient en effet très mal la réalité de cette matinée.
C’est en effet au nom de l’association des médecins anciens étudiants de l’université de Louvain, l’AMA-UCL, que j’occupe ce pupitre. C’est à la demande de son Président, le professeur René Krémer, que j’ai pris la parole. Les jeunes endimanchés tout en bonheur, c’est, sans aucune ambigüité, sans aucune équivoque, vous. Les notables, ce sont les membres académiques de notre faculté, de notre Université, qui nous font le plaisir et l’honneur d’être présents et puis, la page qu’il faut tourner, vous l’avez compris, c’est une page de votre vie, c’est celle de l’étudiant en médecine que vous étiez jusqu’à il y a quelques minutes et que vous n’êtes plus.
Comme je suis chargé de tourner avec vous cette page – elle est très remplie et l’écriture est serrée – je ne puis résister à la tentation d’en lire quelques passages que vous avez rédigés.
Vous avez écrit : « Gravir la colline a été long ».
Vous avez écrit : « Dans cette ascension, il y eut des moments de joie mais aussi des instants de peine, il y eut en tous cas tout au long du parcours beaucoup d’effort ».
Vous avez écrit, à l’encre bleue : « que vous avez connu des cours passionnants et des stages parfois exaltants. Des CREMEC aussi brillants ».
Vous avez écrit : « qu’il y eut des examens réussis avec brio et des soirées inoubliables ».
Vous avez écrit : « qu’au cours de ces sept années vous avez rencontré, échangé, partagé et que le temps ne pourra jamais gommer cette expérience tellement féconde ».
Mais à l’encre noire, vous avez aussi écrit : « qu’il y eut parfois pendant cette période de formation des espaces plus ternes, des déceptions, qu’il y eut même des instants de tristesse, de doute et parfois d’échec ».
Et puis, vous avez écrit : « il y eut le numerus clausus ». Vous l’avez pourfendu en portant haut dans les rues de Bruxelles l’oriflamme de votre refus. Le numerus clausus a miné les journées et hanté les nuits. Il devait régler. Il a déréglé.
Aujourd’hui, même si plusieurs responsables rejoignent le quarteron de ceux qui en avaient dès le départ rejeté le concept et l’application parce que basé sur une planification incorrecte, il reste encore quelques inconditionnels qui défendent aveuglément le système. Un système, comme l’écrit Madame Deliège, professeur à l’UCL, dans la Libre Belgique du 18 mai : Alors que d’ici 2015 on risque de connaitre une situation de relative pénurie, les reçus/collés repêchés après le premier bac pourraient être à nouveau des reçus/collés après sept ans d’étude. Ce serait évidemment surréaliste et inacceptable. Formulons le vœu que tous les responsables le comprennent avant qu’il ne soit trop tard !
Mais nous sommes maintenant au bas de la page. Et là, vous avez écrit, à l’encre rouge, en lettres de feu : « par delà tous ces évènements joyeux ou moins joyeux, nous sommes devenus médecins. La proclamation aura lieu ce 27 juin. » Sans doute avez-vous écrit cette phrase hier soir avec beaucoup d’enthousiasme. Alors tournons maintenant la page de l’épopée.
Sous nos yeux se découvre une feuille toute blanche, toute vierge. Il convient aujourd’hui de la remplir. Sachant les circonstances exceptionnelles, je comprendrais parfaitement que là, maintenant, sur l’estrade, vous n’ayez pas vraiment l’inspiration pour rédiger de novo un premier paragraphe. Alors j’ai décidé de vous aider, au nom de l’AMA-UCL, non pas à remplir une feuille de route, mais à décliner quelques souhaits.
Mon premier vœu, c’est que sur cette page vous puissiez recenser beaucoup d’instants de bonheur personnels et professionnels, que vous puissiez colliger beaucoup de santé, le bien, in fine, le plus précieux.
Le second vœu, c’est que vous écriviez maintenant et que vous continuiez demain à écrire ; que votre satisfaction professionnelle passe par la pratique d’une médecine où la clinique garde une place privilégiée, où l’on interroge encore longuement le malade et où on l’examine avec rigueur. Beaucoup de diagnostics, vous le savez, peuvent être posés à ce stade. Et si l’on demande des examens complémentaires, si l’on s’aide d’un document d’imagerie, c’est pour corroborer, c’est pour confirmer dans une démarche intellectuelle, rationnelle et structurée, une hypothèse de diagnostic formulée au lit du malade « tout simplement », en l’interrogeant, en l’auscultant, en le palpant. L’artériopathie des membres inférieurs ce n’est pas uniquement un Doppler, ce n’est pas une artériographie, ce n’est pas une angio IRM. C’est peut-être tout cela mais il y a tellement d’informations à recueillir en amont, qui vous font déjà évoquer, voire poser le diagnostic que ces examens médico-techniques ne feront que confirmer. Cette médecine là, qu’elle soit le fil rouge de votre action, quelle que soit votre spécialité, que vous la pratiquiez en médecine générale ou à l’hôpital, en Belgique ou à l’étranger.
Le troisième souhait, c’est que vous écriviez avec force qu’il doit exister ou mieux, qu’il doit continuer à exister au sein de votre promotion, la 172e, un esprit de corps, et que cet esprit de corps, qui est un état d’esprit soit en phase avec votre faculté, avec votre Université. L’AMA-UCL, au sein des Alumni, a pour ambition de regrouper tous les anciens de notre Faculté de Médecine. Mais quand je dis les « anciens », j’ai le sentiment que je me trompe de cible : car enfin, en vous regardant, je n’ai pas vraiment l’impression d’un chœur antique ou d’un phénotype très ancien et, peut-être que d’ailleurs dans l’acronyme AMA, il y a une lettre de trop, c’est le second A de AMA.
En réalité, l’association des médecins issus de l’UCL se veut un tissu présent, un tissu vivant constitué de membres actifs. Vous en faites désormais partie. Faire partie de l’AMA-UCL, ce n’est pas être un janissaire ou un spadassin de la Faculté de Médecine et de l’Université, mais ce n’est pas non plus que cosmétique. C’est un engagement à rester attaché de manière proactive à cette Faculté – à votre Faculté - et à ses valeurs. Mais il y a plus.
La formation continue est à l’heure d’aujourd’hui indispensable au maintien et à la progression des compétences de chacun. Dans toutes les disciplines. En France, un manifeste pour la « Refondation de l’Université », publié il y a quelques semaines dans le Monde, indiquait : que l’Université est responsable de la qualité de la formation continue qu’elle délivre. C’est dans cet esprit que l’AMA-UCL travaille en collaboration étroite, voire en partenariat avec la Commission d’Enseignement Continu ECU de notre Faculté. Etre membre de l’AMA-UCL, c’est donc aussi participer, en première ligne, de manière tout aussi active, à cet enseignement continu. Vous y êtes acteurs à part entière. C’est en tout cas cette proximité que nous souhaitons. Et puis, quelle occasion de se rencontrer à ces réunions, sur les sites de Saint-Luc ou de Mont-Godinne ou ailleurs, de manière conviviale, dans un esprit que nous voulons développer encore davantage à l‘avenir.
L’AMA-UCL, c’est aussi, indirectement, la revue Louvain Médical. Louvain Médical a l’objectif depuis toujours de publier des informations scientifiques de qualité et de les véhiculer au sein de notre communauté médicale. Mais Louvain Médical a aussi l’ambition de devenir un porte-parole, un héraut de la vie hospitalo-facultaire. Que se passe-t-il à l’hôpital ? Que se passe-t-il à la Faculté ? Que se passe-t-il dans le réseau UCL, dans le réseau Louvain ? Que passe-t-il dans les cercles de médecine générale que vous animerez ? Ce sont là des informations qui nous concerne tous. Louvain Médical veut donc non seulement former mais aussi informer.
Vous avez compris que pour que l’ensemble de ces objectifs – ils impliquent directement ou indirectement l’AMA-UCL - soient atteints, il faut que chacun ici réponde présent. Et j’ai envie de dire que votre soutien en particulier et votre engagement sont indispensables. S’il n’y a pas cela, nous risquons de verser rapidement dans l’utopie.
Voilà déjà une première page bien remplie. Les plus belles, chers amis et collègues, sont encore à écrire, per cons. Alors permettez-moi, pour terminer de faire mien ce texte de Jacques Brel que je vous cite aussi au nom de l’AMA-UCL, de son Président et de ses membres :
Je vous souhaite d’aimer ce qu’il faut aimer et d’oublier ce qu’il faut oublier. Je vous souhaite des passions. Je vous souhaite des silences. Je vous souhaite de résister à l’enlisement, à l’indifférence, aux vertus négatives de notre époque. Je vous souhaite surtout d’être vous.
Et je rajouterai tout simplement : je vous souhaite aussi de pratiquer toujours la médecine dont vous avez rêvé.