Numéro 56 :
Promotion des médecins du 28 juin 2008
Discours des jeunes promus
Nous voici tous réunis aujourd’hui pour célébrer avec vous une étape importante de notre vie, l’aboutissement de sept années d’études qui vont conditionner le reste de nos existences.
Sept années… Sept années d’une densité incroyable, de souvenirs, de rencontres… Sept années d’amitié forgée par les sessions d’examens et les nuits blanches, passées à développer nos neurones en étudiant, ou parfois à les perdre en Mémé. Sept années passées à se serrer les coudes, à grandir. Oserions-nous dire à mûrir ? En tout cas pour la plupart. Aujourd’hui n’est pas le jour de la fin de nos études, mais plutôt le jour à partir duquel nous allons pouvoir mettre en pratique tout ce bagage accumulé.
Les sept ans qui viennent de se terminer aujourd’hui ont induit dans nos petites personnes des changements inévitables et incontestables. Dressons le bilan de la situation, l’état des lieux de nos vies d’étudiants en ce jour si unique. Les questions que nous nous posons aujourd’hui sont les suivantes. Qu’est-ce qui a changé en nous après ce parcours du combattant ? Qu’est-ce qui est différent aujourd'hui en dehors du fait que ma bibliothèque Ikea est sur le point de céder sous le poids des syllabus ? En bref, quoi de neuf, docteur ?
Pour y répondre, penchons-nous quelques minutes sur les points marquants de notre parcours et revenons-en à la genèse.
JOUR 1
Au commencement, Dieu créa Namur, Woluwe et deux Montoises. C’est le choc culturel entre les Carolos, les Standardmen et autres Bruxellaires : le métissage est assuré entre toutes les provinces. Aux travaux pratiques de physique, le Professeur Meulders nous dit « que la lumière soit », et la lumière fut. Enfin, pas pour tout le monde. Certains n’ayant jamais réussi à connecter le fil rouge sur le bouton rouge, le fil vert sur le bouton vert.
Rappelez-vous ces T.P. de chimie où l’on tentait péniblement de synthétiser de l’acide acétylsalicylique… (de l’aspirine quoi !) pour nous remettre de nos soirées à explorer les catacombes ou les abysses du bunker namurois.
Rappelez-vous tous ces moments passés à faire connaissance en histologie autour d’un microscope, la main tremblante essayant tant bien que mal de dessiner un épithélium de revêtement pluristratifié pavimenteux épidermique. Dire qu’à l’époque, c’était déjà pour nous le summum de la complexité scientifique ; c’était sans imaginer que l’hiatus de Winslow nous amènerait un jour à l’arrière-cavité des épiploons.
Il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le premier jour.
Il y eut un blocus, il y eurent des examens, ce fut la première candi.
JOUR 2
Ensuite vint le premier contact avec la physiologie et avec elle enfin la compréhension du corps humain. Première séance de dissection également : un moment fort pour nous, la première prise de conscience de notre réalité médicale.
Puis Dieu dit à l’étudiant : « J’augmenterai ta souffrance pendant les blocus, tu étudieras dans la douleur, et tes désirs ne se porteront plus que vers tes syllabi ». Dieu vit que cela était bon et lui donna en cadeau la biochimie. Par exemple, traité de biochimie page 1 paragraphe 1 : « Et non, le cycle de Krebs n’est pas une marque de vélo » !
Il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le deuxième jour.
Il y eut un très long blocus, il y eurent des examens, ce fut la deuxième candi.
JOUR 3
Le jour suivant, du haut de la citadelle, le Professeur Zech nous remettait les tables de la loi, les lois de la bactériologie et celles de son savoir. Son peuple se souviendra toujours des paraboles qu’il énonçait avec humour. Tous ses disciples l’écoutaient comme un grand prophète et buvaient ses paroles comme du bon vin. De son côté, dans un dernier pic d’adrénaline, le professeur Henquin libéra son peuple des candidatures et les mena vers les doctorats.
Il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le troisième jour.
Il y eut un très long blocus, il y eurent des examens, ce fut la troisième candi.
JOUR 4
Ensuite, il se produisit une rencontre : Namur, Woluwé, deux Montoises, un peu de sel, un peu de poivre, un enterrement, un mariage… rapidement consommé. Et oui, nous voici enfin en doctorat avec son lot de nouvelles connaissances. Laissez reposer à feu doux, déglacez à la bière : amitiés solides assurées ! Et plus si affinités.
Rencontre aussi du côté médical avec la réalité du terrain : hôpital, stages, et toutes ces heures perdues dans Saint-Luc à se morfondre près de la machine à café, désespérant d’avoir répondu gonocoque à la place de pneumocoque. Surtout à la recherche d’un contact humain avec les patients mais aussi avec le corps médical… pas toujours évident en premier doctorat.
Il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le quatrième jour.
Moult petits blocus, moult gros examens, ce fut le premier doc…
Suivi du deuxième doc.
JOUR 5
Au cinquième jour, après avoir terminé leur apprentissage théorique à la vitesse v v’, Dieu envoya ses étudiants en stage, parfois en esclavage, aux quatre coins du globe afin qu’ils profitent du savoir de leurs pairs. Que de patients examinés, de ventres palpés et d’examens neuro réalisés. Que celui qui a vraiment entendu ce fameux murmure d’Austin Flint dans la chambre 40 nous jette la première pierre !
Que d’écarteurs maintenus, que de dossiers complétés, que de lettres tapées, que de questions parfois sans réponse, mais néanmoins quelle école que celle de la réalité ! Merci aux maîtres de stages bienveillants, se souvenant d’avoir un jour eux-mêmes été stagiaires. Nous regrettons parfois de ne pas avoir pu appréhender plus tôt dans notre formation cette pratique de la médecine au quotidien.
Il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le cinquième jour.
Il y eurent des stages, il y eurent des examens quasi sans blocus.
Ce fut le troisième doctorat.
JOUR 6
Dieu dit : « Que la terre produise des généralistes, des spécialistes selon leur espèce, selon leurs affinités et surtout selon… les quotas ».
Et cela fut ainsi. Pour arriver au stade final, la route fut longue, parfois semée d’embûches ; la tension étant parfois insupportable et à l’encontre de nos principes de solidarité. Pris dans l’engrenage, le système nous pousse à être le meilleur, à se démarquer des autres alors que l’art de la médecine est avant tout une pratique confraternelle, tournée vers l’autre, vers ses patients, vers ses pairs. N’y avons-nous pas perdu un peu de naïveté ?
Il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le sixième jour.
Il y eut un pré-concours, il y eut un concours, il y eut un post-concours.
Ce fut la guerre dans le jardin d’Eden.
JOUR 7
Au septième jour Dieu acheva son œuvre : chaque nouveau médecin ayant été formé, il vit tout ce qu’il avait fait et commença à être fatigué. En guise de récompense, il créa le full time. Il leur offrit un week-end à la mer, des soirées mémorables (Enfin pour ceux qui s’en souviennent… Heureusement, il avait aussi créé l’appareil photo). Il leur donna en récompense des journées d’amitié arrosées tantôt par la Lesse, tantôt par la bière.
Dieu vit que cela était juste et bon. Il en fut ainsi pendant une semaine.
JOUR 8
Enfin l’Eternel planta chacun de ses assistants aux quatre coins du pays. Il veilla à ce qu’ils n’aient pas une seconde de répit entre le bip qui sonne à 3 heures du matin, la montagne de paperasse s’accumulant sur le bureau, deux réprimandes, un staff à préparer, des patients à faire sortir et enfin un café pour déjeuner… Il est 22 heures.
Engagez-vous qu’ils disaient. Alors, qu’est-ce qui a changé en nous ? Tout d'abord l'esprit de famille : ce sentiment amical et confraternel né sans doute de la proximité permanente sur les bancs des auditoires, aux soupers de cours, dans nos vies de kot, au sein des kots-à-projets, et à travers ces milliers de sessions...
Sept années ! Imaginez-vous ! Ce n'est pas rien. Et puis, non mais sans blague : quels étudiants autres qu'en médecine ont pu voir les cordes vocales de leurs amis en leur entrant une caméra dans le nez ? Quels autres étudiants ont pu s'entraîner à se faire des bleus aux travaux pratiques de prises de sang ? Qui parmi vous a déjà planté des électrodes dans la tête de son voisin avant de rentrer manger un bon spaghetti bolo ? L'air de rien, tout cela crée aussi des liens... Heureusement qu'il n'y avait pas de T.P. d'urologie !
Esprit d'équipe, esprit de famille toujours, pour le meilleur et pour le pire : certains d'entre nous ont dû faire face à des situations de vie personnelle pénibles ou douloureuses. Certains ont dû composer avec leurs prérogatives familiales, d'autres encore ont dû travailler pour financer leur formation. Tout n'a pas toujours été rose. Leur réussite nous rend particulièrement fiers et admiratifs aujourd'hui. Petit clin d'oeil également aux étudiants étrangers venus jusque dans notre si beau royaume pour se former.
Alors, qu'est-ce qui a changé finalement en nous ? Ce sont aussi les valeurs que l'université nous a transmises ou a développées en nous : l'humanité, la dignité, le respect de l'autre, la justice, la solidarité, mais aussi l'indépendance d'esprit.
La résistance aussi : résistance aux pressions, résistance... aux bières-pression, résistance à la fatigue, parfois aux brimades, aux syllabus soporifiques et aux coliques de matin d'exam's...
De vrais robots : des robots assoiffés de prises de sang et de café ! De vrais robots forgés à grands coups de numerus clausus, de périodes de concours, de quotas trop stricts, trop sévères, d'un système injuste dont les règles furent maintes fois changées en cours de jeu et dont beaucoup d'entre nous furent victimes. Un système déloyal où seule une maigre poignée de braves est venue nous aider. Car oui, nous nous sommes sentis bien seuls.
Des robots peut-être, et c'est bien là notre crainte ! Or la technique sans l'esprit, c'est une injure à la vie. N'avons-nous pas perdu un peu de notre insouciance, de notre fraîcheur dans ces combats ?
L'université a pour devoir de former l'esprit, de l'ouvrir au monde : l'étudiant n'est pas un vase qu'on remplit mais un feu qu'on allume... Il sera question de rester critique, d'abord par rapport à soi-même mais aussi par rapport aux injustices visibles dans la société, enfin par rapport aux directions que prend la médecine. Il faudra rester vigilant, bienveillant, et surtout engagé : il ne suffit pas d'avoir des idées, il s'agit de les défendre et d'agir.
Nous avons croisé deux types de personnes tout au long de notre cursus : certains ne nous considérant que comme des stagiaires « bêta », des secrétaires « porte-café » ; d'autres heureusement plus nobles, nous considérant comme de futurs collègues, fiers de nous enseigner et de nous transmettre avec enthousiasme leur passion pour la médecine. Nous espérons devenir comme eux : des médecins humains et généreux. Tout un programme !
A présent quelques mots de remerciements…
Nous voudrions particulièrement féliciter les professeurs du Centre académique de médecine générale (le CAMG) pour la qualité de leur enseignement. Nous nous sommes vraiment sentis épaulés à travers les six mois de formation spécifique, tout cela dans une ambiance conviviale. A la fin de notre parcours, nous nous trouvons enfin face à des interlocuteurs qui nous considèrent comme de futurs confrères et non comme des étudiants, nous amenant par là à nous construire et à nous rendre responsables de notre formation. Enfin des situations concrètes en parfaite adéquation avec la réalité du terrain.
Les cours magistraux sont certes la base de notre formation, nous sommes avant tout des scientifiques. Cependant, nous ne pouvons qu’applaudir la mise en place de cours calqués sur la pratique quotidienne dès le début des doctorats.
Nous voudrions encore saluer certaines personnes qui ont contribué plus que d’autres à notre réussite et à ce que nous soyons tous présents devant vous aujourd’hui. Nous ne pourrions mettre le point final à ce discours avant de leur avoir rendu un hommage franc et massif.
Merci à toi, Maman, Papa, Bonne-Maman, Bon-Papa, Papy, Mamy, ou tout autre, qui a veillé à ma bonne santé mentale et à mon hygiène durant ces années de dur labeur : tu as lavé, repassé et plié mon linge (même ce qui me servait de vêtement de guindaille), tu as prévu les Tupperwares pour ma semaine au kot, tu m’as prêté ta voiture, tu m’as supporté pendant les blocus, et tu m’as même laissé péter les plombs de temps en temps sans rechigner… Pour tout cela sincèrement merci.
Merci à vous, Mesdames et Messieurs les Professeurs, qui avez investi de votre temps et de vos forces pour que nous devenions des médecins dignes de confiance. Certains d’entre vous nous ont marqués par leur savoir ou leur savoir-faire, d’autres surtout par leur savoir-être et par la qualité de leur enseignement. Mais de tous, ceux d’entre vous qui nous ont considérés, de ceux-là nous garderons le meilleur souvenir.
Merci au centre d’impression bénévole du cercle de médecine d’avoir toujours veillé à ce qu’un syllabus propre et net soit présent sur nos tables de chevet… pour occuper nos heures perdues. Merci à Marco de Facopy et ses avaleuses, sans qui bon nombre de tuyaux auraient sombré sans avoir pu profiter à personne.
Merci aussi à tout le personnel technique, administratif et extra-académique trop souvent oublié qui nous a encadrés, tant à Namur qu’à Woluwe. Dans la même lignée, nous voudrions avoir une pensée spéciale pour notre appariteur, Denis Page, notre Denis national désormais membre d’honneur de la promotion 2008 !
Merci à l’AMA pour l’organisation de cette journée en collaboration avec les étudiants.
Enfin merci à vous mes amis, merci à nous, merci pour tous les merveilleux souvenirs que nous avons désormais en commun, et réjouissons-nous de tous ceux qu’il nous reste encore à construire ensemble. Nous nous souhaitons à tous une existence épanouie, que la vie nous mène là où nous l’aurons choisi.
Encore bravo, applaudissez-vous : continuez à faire germer en vous tous vos talents de médecins car nous avons tous énormément de qualités en nous. N’oubliez pas, comme le disait Hippocrate, que « la force qui est en chacun de nous est notre plus grand médecin ».
Julie Catala, Simon Lacroix, Véronique Mustin, Julien Niemants, Yves Pignez