Numéro 56 :
Promotion des médecins du 28 juin 2008
Discours du professeur André Geubel, Président de l'Ecole de Médecine
Mes premiers mots s’adressent à vous, chers promus. Au nom de l’Ecole de Médecine de l’UCL, je vous adresse mes plus cordiales félicitations et tous mes vœux d’épanouissement dans la voie que vous avez choisie. Même si elle est exigeante, elle sera riche : riche de curiosité scientifique, riche de relations aux autres et de contacts humains, riche aussi d’émotions et de la satisfaction du service rendu.
La tradition veut que l’on aborde à l’occasion de cet évènement l’actualité des préoccupations qui nous tiennent à cœur… Je voudrais commencer par vous dire que vous avez été formidables. Vos parents d’abord l’ont été, ceux qui ont soutenu votre projet, ont veillé à des degrés divers à sa réalisation tant dans les moments de joie que dans ceux, moins évidents, de déception ou de découragement.
Vous-mêmes, avez été formidables aussi au travers de la première réforme de l’accès à la profession médicale, à la chasse au visa et surtout pour vos aînés, au travers de l’anxiété à voir se réaliser le rêve le plus cher de l’accès au numéro INAMI. Pour ceux-ci et comme vous l’avez appris, les campagnes menées par les associations étudiantes, des parents dévoués, des enseignants et académiques motivés ont abouti, et l’incertitude est levée par l’arrêté royal paru au Moniteur ce 16 juin 2008.
Il prévoit essentiellement:
- Une augmentation progressive des quotas qui passeront finalement pour le pays de 757 à 1230 en 2015-2018.
- Une augmentation du nombre absolu de généralistes qui devrait passer en Communauté française de 120 à 144 pour les années 2015-2018.
- Le lissage, c'est-à-dire l’octroi du numéro INAMI aux 1100 étudiants en excès depuis la suppression du numerus clausus de 2003 à 2005.
La ministre propose aussi de poursuivre la concertation avec les deux Communautés et les Universités afin d’harmoniser les systèmes de sélection. Même si le Collège des Doyens de la Communauté française s’est montré en faveur, à l’instar de la Communauté flamande, d’une sélection précoce sous la forme d’un examen d’entrée, une unanimité à ce sujet est malheureusement loin d’être acquise.
La question reste donc en chantier, ce d’autant :
- Que le problème de fond lié à la double sélection, précoce et en fin d ‘études, n’est pas résolu ;
- Que le décret actuel ne résout en rien le problème de la discrimination entre les médecins formés et diplômés dans nos universités belges et les autres diplômés autorisés à pratiquer la médecine dans notre pays.
Ajoutons qu’un cadastre des professions médicales sera sans doute opérationnel en fin d’année, permettant de poursuivre la réflexion concernant le risque de pénurie, la planification et le numerus clausus.
Je voudrais également remercier vos enseignants et leur dire qu’eux aussi ont été formidables. Ils ont résisté à plusieurs réformes des études, celle de Bologne n’étant pas la moindre. Ils ont affronté avec courage les restrictions, les modifications de programme et de règlements et se sont montrés enthousiastes vis-à-vis de la réforme universitaire. Certains restent confrontés au difficile écartèlement entre la vocation pédagogique et la nécessaire rentabilité clinique…
Heureusement, l’enrichissant contact avec des étudiants ainsi que l’aide d’une équipe pédagogique et administrative de très grande qualité restent de puissants stimulants à la motivation et à l’enthousiasme.
Je résiste mal à ne pas vous parler du métier qui me passionne toujours et que vous allez pratiquer dans les tout prochains jours. J’ai l’habitude de dire que les trois grandes qualités médicales commencent par C, comme compétences, concerné et compassion.
C comme compétences
Des compétences que l’on pourrait qualifier de « techniques » et déterminées selon « des lignes de pratique » qu’il conviendra de mettre à jour tout au long de votre vie professionnelle. Parmi ces compétences, il y en a une qui va se bâtir progressivement, celle de la relation patient-médecin, médecin-malade. Cette relation est en fait très complexe, basée sur des perspectives sociales, juridiques et psychologiques. Vous avez déjà certainement noté, et vos professeurs vous l’ont dit, que la compétence professionnelle, ce n’est pas seulement poser un diagnostic, établir un pronostic et un plan de traitement. C’est aussi prendre une décision qui le concerne avec un patient par définition vulnérable, en considérant l’autonomie propre du médecin et les caractéristiques propres de la relation qui unit le médecin à son patient.
Il faut donc être en mesure de communiquer, de s’ouvrir à l’autre, d’échanger des informations et des points de vue. Pour communiquer, il faut savoir écouter… et j’espère que vous saurez surpasser les résultats de certaines études d’observation qui montrent qu’en moyenne, les médecins interrompent le récit de leur patient après les avoir écoutés durant 18 secondes ! L’égarement diagnostic vient bien plus souvent d’un défaut de communication que d’un manque de connaissance. Soyez inquisiteurs dans la recherche mais évitez l’obstination, prenez avis et ayez toujours l’une ou l’autre alternative à une première hypothèse. Souvenez-vous d’une grande maxime du monde médical qui dit que même si ce que vous voyez ressemble à un canard, marche comme un canard, s’exprime comme un canard… ce pourrait bien ne pas être un canard ! Dialoguer demeure à mon sens le pivot central de LA compétence professionnelle du médecin.
Le deuxième C est le C de concerné, concerné par son patient, sa maladie, ses préoccupations, les résultats des examens complémentaires que vous avez demandés et qu’il vous réclamera sans doute trop vite à votre goût guidé par son anxiété à savoir… et à ne pas rester dans l’incertitude. Etre concerné c’est manifester une anxiété productive, se mettre à la place du patient tout en restant dans la vôtre, prendre en compte une inquiétude qui concerne l’intégrité même de la personne, une préoccupation qui concerne directement le suivi médical, ce que l’on appelle en déontologie, la continuité des soins.
Le troisième C c’est celui de compassion. Quand un patient parle d’un médecin, vous entendez parfois dire « il ne sourit jamais », « il regarde ailleurs », « il regarde en permanence son écran », « il ne m’écoute pas », des remarques qui concernent notre comportement ou notre manque d’empathie (dans le petit Larousse illustré, « faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent »). N’oublions pas non plus ce qu’il est convenu d’appeler « les bonnes manières » faites de respect et d’attention.
Dans ce domaine, je vous conseille vivement la lecture d’un article du N. Engl. J. of Med. du mois de mai 2008, intitulé « Etiquette-based Médecine ». Il vous sera conseillé de vous constituer une petite check-list des mots d’accueil, des attitudes et des questions que vous poserez systématiquement en rencontrant chacun de vos patients. Même si cela peut paraître réducteur, c’est là un complément important à une vision plus humaine de la médecine. On parle de l’apprentissage de petites choses, de gestes simples, apprentissage qui s’acquiert plus en regardant des collègues agissant avec compassion qu’en en parlant.
J’espère que cette importante compétence-là, notre Université catholique de Louvain vous a permis d’en acquérir les bases et qu’elles font déjà partie, comme disent les pédagogues, de votre curriculum caché.
Je vous remercie de votre attention et vous félicite encore chaleureusement.
Références
- Groopman J. « How Doctors Think » Houghton Mifflin Company. Boston. New York, 2007
- Whitcomb ME. What does it mean to be a physician ? Academic Medicine, 82 : 917-918, 2007.
- Massaux E. La formation morale des médecins. Louvain Médical 111 : 29-36, 1992.
- Hafferty FW, Franckx R. The hidden curriculum, Ethics teaching, and the structure of medical education. Academic Medicine 69 : 861-871, 1994.
- Kahn MW. Etiquette-based medicine. N Engl Med 19 : 358 :1988-89, 2008
- Rombouts JJ. Promotion 2007 : discours du Doyen. Louvain Médical 123 : 268-270, 2004.