Promotion des médecins du 28 juin 2008
Discours du Professeur R. Krémer, Président de l'AMA-UCL
Souci pour l’avenir
Vous quittez aujourd’hui une période de votre vie dans laquelle le principal souci était d’apprendre ce beau métier que vous avez choisi et, plus prosaïquement de réussir vos examens.
Dès aujourd’hui, c’est la vie active avec des choix difficiles, des problèmes, sans doute une vie familiale à organiser pour la plupart d’entre vous. Mais aussi une inquiétude pour l’avenir : le réchauffement climatique, le capitalisme sauvage, le problème de l’énergie, la fracture Nord-Sud, le chômage, la criminalité, le terrorisme, l’intolérance… Les médias, jouant les Cassandre, nous rebattent les oreilles de ces problèmes, et semblent se repaître des désastres, des conflits et des scandales.
Le passé nous éclaire : du patriotisme au nationalisme
Je voudrais vous montrer que l’avenir n’est sans doute pas aussi sombre qu’on pourrait le craindre. Si l’on considère le passé sur une longue période, l’évolution de l’espèce humaine est positive. Le balancier va parfois très loin dans le mauvais sens avant de faire demi-tour et d’aller plus loin encore dans le bons sens.
Ne considérons que l’Europe.
Jusqu’au siècle dit des lumières, ce ne furent que des guerres incessantes, la violence et la cruauté au service de l’intolérance et de l’ambition. Malgré tout, il y avait toujours en filigrane, le message évangélique, proclamé certes, mais peu suivi, souvent mal interprété. Il y avait aussi la culture, les arts et la science en progrès et des hommes intègres et clairvoyants, européens et humanistes, comme Erasme, Cervantès, Léonard de Vinci, Vésale, Gutenberg, Galilée, … La liste pourrait être longue.
La révolution française promeut les droits de l’homme, mais ne les applique pas vraiment. Les grands pays d’Europe se constituent en état et le patriotisme fait place rapidement au nationalisme, c’est-à-dire à la volonté d’imposer dans tous les domaines la prédominance de la nation à laquelle on appartient, avec bientôt une dérive vers la xénophobie, le racisme, la revanche, la conquête. Pour Romain Gary, « Le patriotisme c’est l’amour des siens, le nationalisme, c’est la haine des autres.» et pour François Mitterand « Le nationalisme, c’est la guerre ».
Première moitié du 20e siècle
Au début du siècle dernier, à une période qu’on ose encore appeler « la belle époque », le nationalisme est à son apogée.
Charles Péguy, le poète chrétien qui appelait à la revanche de 1870 a écrit :
"Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle
Mais pourvu que ce soit dans une juste guerre
Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles
Couchés dessus le sol à la face de Dieu,
Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés."
Péguy sera parmi ces heureux. Les vers sont beaux, mais les idées peu chrétiennes.
En 1921, pendant ce qu’on a appelé les « années folles », peu après le carnage de la Grande Guerre, Mgr Van Roye, futur cardinal, prône ce qu'il appelle une morale sexuelle à l’usage des étudiants et termine un long sermon par ce souhait stupéfiant :
" Que le jeune garde dans la paix les réserves de force qui ont permis à nos jeunes gens de vivre avec la mort et de joyeusement l'embrasser ! Il n'y a pas que sur les champs de bataille que l'homme doit être maître de son corps et de ses sens. "
On ne peut s'empêcher de penser que cinquante ans plus tard, les étudiants américains manifesteront contre la guerre du Vietnam au cri de " Faites l'amour, pas la guerre ! "
Les deux guerres mondiales sont l’application horrible du nationalisme, avec en outre dans la seconde, le fascisme, et un génocide, summum de l’horreur.
Jusqu’alors, la fin d’une guerre réunissait les conditions pour la suivante : la revanche de 1870 pour 14-18 ; l’écrasement de l’Allemagne par le traité de Versailles.
La vie était une angoisse perpétuelle. Imaginez que mon père a passé quatre ans de sa vie dans les tranchées de l’Yser, puis 5 ans en tant que prisonnier de guerre en Allemagne.
Seconde moitié du 20ème siècle. Le miracle.
La Belgique peut être fière d’avoir fait les premiers pas de l’union européenne. Le Benelux est fondé dès septembre 1944 avant même la fin de la seconde guerre mondiale.
Ce fut ensuite le marché commun en 1957, puis la Communauté européenne en 1993, avec un conseil des ministres, une assemblée parlementaire, une cour de justice et une banque centrale. Parmi les grands hommes du miracle européen, citons : Maurice Schuman, Conrad Adenauer, Pol-Henri Spaak, Jean Monnet et plus récemment, Jacques Delors et indirectement Mikhail Gorbatchev.
Depuis lors, l’union européenne n’a cessé de s’élargir et de progresser, malgré des aléas et des hésitations, quelques eurosceptiques, mais plus de guerre, l’abolition de la peine de mort, l’aide aux régions économiquement faibles, la démocratie dans chaque pays, l’Allemagne de l’ouest au sortir du national-socialisme, l’Italie après Mussolini, la Grèce, l’Espagne et le Portugal après la dictature, l’Allemagne réunifiée, les pays de l’est sortis du bloc communiste. Mais aussi, une position en pointe dans la sauvegarde de notre planète et l’aide au tiers monde, l’équivalence des diplômes, la libre circulation des personnes et des biens
Confiance dans l’avenir
Voilà pourquoi nous devons avoir foi dans l’avenir du genre humain et surtout dans une Europe démocratique, tolérante, humaniste, paisible, riche de ses cultures diverses et de son passé chrétien et avoir une reconnaissance infinie pour les hommes d’état qui l’ont bâtie et pour ceux qui continuent à la faire progresser
Prudence
Mais, le danger du nationalisme et de ses dérives est toujours présent et doit nous inciter à la vigilance. Albert Camus, pessimiste je pense, nous met en garde :
"Le bacille de la peste ne meurt et ne disparaît jamais pour le malheur et l’enseignement des hommes. Un jour il réveillera ses rats et les enverra mourir dans une cité heureuse."
La Belgique peut être fière d’avoir joué un rôle important et précurseur dans la création de la Communauté européenne et d’en rester parmi les partenaires les plus actifs et les plus convaincus. Au moins sur ce sujet capital, il n’y a pas de divergences communautaires.
René Krémer
Président de l'AMA-UCL