Numéro 51 :

Promotion des médecins du 30 juin 2007

Discours du professeur Jean-Jacques Rombouts, Doyen de la Faculté de Médecine UCL

 

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Chers promus,
Chers Confrères,

Au nom de la faculté de Médecine de l’U.C.L., je vous adresse mes plus cordiales félicitations et mes vœux d’épanouissement personnel.

En ce moment solennel mais joyeux, je veux ensuite exprimer la reconnaissance de la faculté à vos parents qui, avec vous, ont choisi l’UCL et à tous les membres de la faculté, qu’il s’agisse de vos professeurs, de leurs collaborateurs, assistants et aides techniques et administratives.


Monsieur le Recteur,
Monsieur le Prorecteur,
Chers Collègues,
Mesdames, Messieurs,

La tradition veut que le doyen développe, à l’occasion de cet événement, un message en rapport avec l’actualité de ses préoccupations.  C’est ainsi que j’ai traité du curriculum caché, de l’enseignement par l’exemple en 2003, de la responsabilité sociale des facultés de médecine en 2004 1, de l’optimalisation possible des performances économiques en matière de santé dans une Wallonie tournée vers les pays du sud face à une Flandre qui regarde vers la Scandinavie et 2005 2.  L’an dernier, en 2006, la cérémonie des docteurs honoris causa avait été l’occasion de rappeler l’importance de l’humanisme dans la formation des médecins et mettre l'accent sur l'engagement du médecin dans la société et le monde…

Le numerus clausus

Chaque année, néanmoins, l’incohérence du numerus clausus en médecine, de son application et de ses conséquences nous avait poursuivis 3 4 5.  Je salue ici mes compagnons de combats qui nous font l’honneur d’être présents à cette cérémonie : le doyen honoraire A. Piront et le doyen M. Hérin des Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur, le doyen E. Cogan de l’ULB et Monsieur P. Guerriat qui préside l’association des parents contre le numerus clausus.
 
Cette année 2007 fut à ce point de vue particulièrement « décoiffante ».  Le 14 février dernier, les doyens passèrent, sur convocation de dernière minute, leur soirée de Saint-Valentin au cabinet du Ministre Demotte…ils se virent présenter un texte législatif qui résolvait tout : les quotas étaient adaptés à nos besoins et à notre démographie étudiante, les diplômés européens rentraient dans la procédure, les chercheurs et quelques spécialités menacées se voyaient protégés.  Le politique, l’administration et les doyens se quittèrent dans une ambiance conviviale et victorieuse… Quelle ne fut pas notre déception de recevoir dans les semaines suivantes des correctifs qui l’un après l’autre aboutirent à neutraliser le projet et à fixer un statu quo « politiquement correct ».  Entre-temps, nous apprenions que les Pays-Bas montaient leur numerus clausus à 2600 pour 16 millions d’habitants et que les Facultés flamandes restaient solidaires puisque le nombre de diplômés, lissés sur 10 ans respectait les proportions de répartitions communautaires avec un excédent cumulé d’étudiants symétrique dans les deux communautés à l’échéance de 2014.  Rien ne s’est passé.  Rien ne se passera avant septembre mais nous avons la promesse d’une solidarité nord-sud qui nous permet de risquer cette année encore le dépassement des quotas, opération qui devrait réussir dans le cadre d’un lissage à très longue échéance puisque la restriction de diplômés francophones, consécutive au décret Simonet, ne manifestera ses effets qu’à partir de 2013, alors que la Flandre actuellement restreinte a doublé ses admissions en Médecine depuis 2005.

Le professionnalisme

Dans la littérature académique médicale, cette année 2006-2007, est marquée par le renforcement de l’intérêt pour le concept de « professionnalisme » 6 annoncé dès 2004 dans notre revue facultaire 7.  Ce mot est en fait un anglicisme qui définit non pas la compétence professionnelle comme en langue française (Petit Robert) mais bien la « conscience professionnelle »  qui fait référence à une attitude morale plutôt qu’à une capacité technique. (Petit Robert).  Cette conscience professionnelle fait appel au « sens moral ».  Les pédagogues soulignent le paradoxe de la formation morale : "On ne devient pas moral en apprenant la morale…  Pas plus que l'on ne devient pas français en apprenant le français".  Le sens moral 8 relève de l’éducation de base et de l’environnement familial mais aussi de l’éducation par l’exemple, de ce « curriculum caché » 9 particulièrement important pendant la formation clinique.

Cette formation au professionnalisme devient obsédante dans la littérature académique nord américaine.  On y lit que l'étudiant en médecine était plus charismatique, plus idéaliste et plus dévoué, voire plus moral en début d'études qu'en fin d'études et qu’il faut changer cela.  Cela pose question pour le formateur. Le contexte hospitalier écrasé par les contraintes économiques évolue vers une pratique normative qui néglige des facteurs humains (exemple des séjours justifiés par les pathologies et non par le contexte social et émotionnel du patient, choix des priorités par les soins onéreux et contingentés, etc.). Une formation hospitalocentrique pourrait contribuer à la détérioration morale de certains étudiants…. devenus des professionnels préoccupés de rentabilité.  Cela se passe dans le pays de l’oncle Sam, bien entendu.

Il en résulte de la part des formateurs une prise de conscience qui amène à recommander de recentrer la formation des médecins autour du patient et de mettre l’accent sur la relativité de la décision médicale dans un contexte de médecine basée sur les preuves.  Nous entrons dans le paradoxe entre l’empirisme logique de la médecine scientifique et le relativisme postmoderne qui fait pencher certains vers les médecines parallèles.  L’empirisme allait de pair avec une prise en charge paternaliste du patient.  La médecine scientifique actuelle se pratique dans un environnement culturel qui par ailleurs fait du patient un consommateur de soins et du médecin un dispensateur de soins.  Le patient attend à la fois de guérir et d’être soigné…

Le serment d’Hippocrate

Dans ce contexte complexe on peut s’attendre à ce que les normes deviennent relatives.  Le « Serment d’Hippocrate » qui vient d’être prononcé par nos nouveaux confrères diffère de certaines formulations antérieures.  Kao et Parsi 10 ont analysé les textes des serments d’Hippocrate prononcés dans une soixantaine de Facultés Nords-Américaines.  Une seule école prononce le Serment d’Hippocrate dans sa version originale ; quand il le fut chez nous, c’était en langue grecque ancienne et bien peu comprenaient le texte dont la lecture devenait purement symbolique.  Trente écoles ont rédigé leur propre Serment et 18 autres donnent au diplômé le choix entre plusieurs textes en fonction de ses convictions.  En cette époque où les balises sont plurielles la formation à la conscience professionnelle et l’éducation morale de chaque jeune médecin en situation clinique est particulièrement importante.  Le jeune médecin doit poser lui-même ses propres balises.

Des racines et des ailes…

Chers jeunes Collègues, nous avons voulu vous apprendre une médecine qui reste personnaliste 11 dans le respect des contraintes de la vie sociale.  Nous avons tenté de réussir à placer votre formation au centre d’un subtil équilibre entre la médecine scientifique, les sciences de base et cette médecine informelle qui écoute, accompagne, soulage et soutient.

Bref, nous avons voulu vous ancrer dans les racines de la tradition de la médecine qui soigne et accompagne en vous donnant les ailes nécessaires à votre envol scientifique et technologique.

Réussir à concilier ce paradoxe, telle est l’ambition de la Faculté de Médecine de l’UCL que je suis fier d’avoir servi pendant 40 ans dont les 5 dernières à proximité de vous comme Doyen.

Ce jour est un jour de joie, une apothéose. Vivez-le intensément.

Au nom de la Faculté, je vous souhaite bon vent et vous confirme que nous comptons sur vous pour maintenir « l’esprit » et la « tradition » de l’Université catholique de Louvain à laquelle vous avez fait confiance.

  1. Quelle alternative au numerus clausus ?  Faisons passer la démographie médicale après la responsabilité  sociale des formateurs.  La Libre Belgique du 25 juin 2004
  2. Soins de Santé : la solidarité dans la transparence.  La Libre Belgique du 18 juillet 2005
  3. Médecine : les étudiants victimes de l’incohérence législative. Carte blanche des doyens des 5 facultés de Médecine de la Communauté française de Belgique. Le Soir du jeudi 4 mars 2004
  4. Numerus clausus : Paulo majora canamus. Jean-Jacques Rombouts, Henri Alexandre, Elie Cogan, Bruno Flamion, Raymond Limet. La Libre Belgique du 26 mars 2004
  5. Le numerus clausus en médecine est-il éthiquement acceptable ? Le Soir du vendredi 7 juillet 2006
  6. Kinghorn WA, McEvroyMD, Michel A, Balboni M : Professionalism in Modern Medicine. Acad Med 82 :40-45, 2007
  7. Vanpee D., Moulin D, Godin V.,Barrier J. : Professionnalisme médical et faculté de médecine. Louvain Médical 123 : 268-270, 2004.
  8. Massaux E. : La formation morale des médecins. Louvain Médical. 111 : 29-36, 1992.
  9. Hafferty F.W., Franckx R : The hidden Curriculum, Ethics teaching, and the structure of medical education. Academic Medicine. 69 : 861-871, 1994.
  10. Kao AC,Parsi KP : Content analysis of oaths administred at US medical school in 2000. Acad Med 79:882-887, 2004
  11. Massaux E. : La vision personnaliste de la formation médicale. Louvain Médical.110 : 406 – 412, 1991.


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