Numéro 46 :

Promotion des médecins du 24 juin 2006

Discours des jeunes promus

 

Monsieur le Recteur, Monsieur le Doyen,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Chères familles, chers amis,
Chers futurs consœurs et confrères, bonjour à tous.

Merci d’être là avec nous pour célébrer l’aboutissement de notre parcours, en ce jour qui marque un grand tournant dans nos vies. Bien sur, nous n’y sommes pas parvenus seuls. Vous nous avez soutenu ces 7 années durant et votre présence aujourd’hui souligne encore une fois l’importance de cet accompagnement. A présent, c’est à notre tour de vous remercier du fond du cœur. Ce soutien, il nous fut indispensable. Permettez-nous donc de retracer en quelques lignes l’épopée de nos longues études.

La médecine commence pour nous avec un mot terrible sur toutes les bouches et dans tous les esprits : « Numerus Clausus ». Tel un brouillard pesant et lourd il nous enveloppe et c’est à tâtons et avec courage que nous commençons notre périple.

Heureusement, des éclaircies parsèment notre parcours… A Woluwe comme à Namur les occasions sont nombreuses pour se retrouver, faire la fête, et aussi pour travailler.
Aux Facultés de Namur, entre le piétonnier et la Sambre, se mêlent auditoires, cercles divers, régionales et Bunker. L’architecture est au service des rencontres, les points de ralliements sont abondants et nous sommes nombreux à venir s’y retrouver. Dès l’accueil des bleus, après la messe d’ouverture, nous nous sentons chez nous et nous gardons de cette époque des souvenirs extraordinaires. Jamais nous n’oublierons le rendez-vous annuel du mauvais goût à la soirée kitch du cercle médecine, les tenues de soirée sorties en grande pompe pour le souper de cours ; ou encore les travaux pratiques de biochimie où nous manipulions maladroitement les éprouvettes de cathepsine C et ceux de physiologie où des grenouilles étaient sacrifiées pour la science sans la moindre pitié.

Pendant ce temps, à l’ombre de Saint Luc, les nombreux étudiants circulent dans le dédale du site de Woluwe. Se mêlant aux blouses blanches, ils profitent de leur vie d’insouciance tandis que déjà le spectacle de leur future profession prend corps quotidiennement devant leurs yeux. Les milliers de recoins du site sont propices aux rencontres et aux échanges qui permettent de s’échapper le temps d’une soirée des contraintes de la vie d’étudiant. Le travail est quotidien pour certains, à la dernière minute pour d’autres. De nombreux efforts sont à fournir et sous les traits de craies noires d’un passionné d’anatomie (!) se dessine le long chemin qui reste encore à parcourir. Nous nous rappelons tous nos ruées vers l’auditoire F après le cours de philosophie avant de sortir nos dizaines de crayons de couleur ou encore la manipulation minutieuse des colonnes de chromatographie… Des pauses nous sont heureusement permises et les soupers de cours déjantés se terminent souvent dans les auditoires… pour les plus courageux !

Nous nous souvenons également de tous ces professeurs, dévoués pour nous instruire, nous inculquer, bon gré, mal gré, les fondements de nos connaissances. Merci à vous pour vos conseils, votre attention. Un merci tout particulier à certains d’entre vous, ils se reconnaîtront, qui ont été bien plus pour nous que de simples professeurs.

Pourtant, la même brume plane toujours. Le Numerus Clausus s’insinue constamment dans les esprits, les conversations, les sorties, les rêves et les peurs de tous ; les changements continuels de réglementation et de modalités pratiques ne font qu’épaissir ce brouillard ! Nous sommes informés certes, mais quelle complexité.
La règle de départ est la suivante : un concours classant durant les trois premières années d’études au terme duquel les étudiants classés reçoivent un VISA A – promesse d’un futur numéro INAMI. Les étudiants non classés n’ont même pas accès au second cycle, les doctorats. Malgré leur réussite, ils seraient écartés ! ou comme on l’entend dire, réorientés…

Dès l’annonce du classement provisoire (qui ne deviendra d’ailleurs jamais ni définitif, ni publié), certains parents décident de mener une action en justice contre ce système qui bafoue le droit à l’éducation. Cette action aboutit à une autorisation pour tous de continuer leurs études.

L’aventure se poursuit et nous fêtons cela par le mariage de nos deux facultés, Namur et Woluwe. Ce nouveau mélange d’étudiants est une éclaircie pour tous. L’enthousiasme des rencontres crée une nouvelle dynamique qui nous mène rapidement au Half Time. Cette semaine d’activités continues célèbre la moitié de nos études et constitue pour beaucoup d’entre nous un des moments fort de notre parcours.

Les nuages se déchirent car maintenant un secret espoir anime tous les esprits : nous serions tous pris.  Pourtant les changements défilent encore : suppression de la mesure du Numerus Clausus en fin de 3ème année d’études, mais maintien du quota fédéral de limitation d’accès à la profession (c’est à dire le numéro INAMI), repoussant le problème de la réorientation à la fin de la 7ème année. De complexe la situation devient tragique.

Des étudiants - excusez-moi, des médecins !! -, se verraient écartés car non-détenteurs d’un numéro INAMI au terme de leurs 7 années d’études avec un diplôme de médecin en mains. Heureusement nous gardons notre sang froid devant l’habitude de changements de règles des derniers moments, mais à l’heure où nous parlons, nous sommes toujours bercés par cette terrible incertitude qui nous poursuit depuis si longtemps. Car dans ce système, jamais le brouillard ne s’est dissipé.

Pourtant notre Doyen le professeur Rombouts souffle fort sur les règles, il décortique les textes au service d’un aménagement à notre bénéfice et l’information de la classe politique décidante devient une de ses préoccupations. Merci professeur, grâce à votre action la faculté a repris ce combat pour les étudiants, il n’en a pas toujours été ainsi.

Mais trêve de notes amères, la vie extra-académique est bien réelle à Woluwe, qui offre, outre un enseignement de qualité, de nombreuses activités culturelles et festives, rendues possibles par les subsides universitaires, mais surtout par la motivation et le dynamisme de nombreux étudiants. Citons ici les kot à projets, les cercles, ArteFac… qui organisent de nombreuses activités telles les Midis en musique, le Musikalma, la foire des KàP’s, les projections cinématographiques en auditoire, le courant d’air, la messe du centre œcuménique, etc. Je vois des sourires dans la salle… Qui a dit que le site était mort ?!!

Et le lendemain – car il y a toujours un lendemain – les étudiants se retrouvent, en nombre variable il faut l’avouer, dans les auditoires pour poursuivre leur formation. Les professeurs se retrouvent sur scène, et certains réussissent avec brio à nous captiver par leur enthousiasme, partageant leur passion, leur goût de l’enseignement, de la pédagogie… et de la craie !! Les moyens informatiques sont bien sûr régulièrement de mise (nous sommes tout de même au 21è siècle), mais les power point défilent encore trop souvent comme autant de gouttes de pluies et les étudiants de décrocher, rapidement. Il est vrai que la récente réforme « gérer sa formation » prévoit la participation active de l’étudiant à son apprentissage, privilégiant un enseignement à long terme plutôt qu’une mémorisation encyclopédique et peu pratique. Pour le professeur est prévue une adaptation de la quantité de matière en dégageant de son cours les messages-clés (les take-home messages). Cependant, rares sont les professeurs qui ont réadapté leur matière en tenant compte de cette diminution du temps d’enseignement. Nous remercions très sincèrement ceux qui l’ont fait, et espérons que cette reconnaissance pourra être un incitant à poursuivre la démarche.

Bien vite, notre formation théorique se trouve relayée par les stages, augmentés à un an et demi par la réforme GSF (gérer sa formation). Le moment est venu pour nous d’approcher le malade, d’humaniser nos connaissances, d’apprendre la médecine au lit des patients, mais aussi d’apprendre à nous connaître en tant que médecins, et de découvrir les arcanes de l’hôpital, son ambiance et ses règles, le mode de vie de cet univers si particulier.

L’organisation des stages est, comme chaque année, d’une réelle complexité, sous-tendue par les desiderata incompatibles des nombreux étudiants. Les personnes qui s’en chargent font de leur mieux pour contenter chacun personnellement, nous les en remercions. Nous remercions aussi le comité des stages pour les améliorations qu’ils tentent d’apporter, s’efforçant par des nouvelles grilles d’évaluation de sensibiliser le maître de stage au rôle éducatif auquel il s’est engagé.

Malheureusement, les changements sont lents. Par manque de temps du chef de service, l’apprentissage se fait essentiellement au contact de l’assistant de l’étage, souvent dévoué, mais également fort surchargé. Il nous incombe de l’aider au mieux dans son travail et d’essayer de lui faire gagner du temps. Dès lors, pour certains de nos stages, la formation se résume à exécuter des tâches administratives ou postales au lieu de passer du temps à soigner des malades. Notre formation devient secondaire face aux contraintes de rentabilité des hôpitaux qui nous forment. Et cette situation risque de ne pas s’améliorer si on diminue encore le nombre de médecins diplômés. Nous remercions donc tous ces assistants qui ont tant participé à notre formation durant ces 18 mois. Nous remercions aussi vivement les organisateurs des stages en pays en voie de développement et autres stages hors frontières pour les expériences inoubliables que ces immersions dans d’autres horizons et cultures nous ont apportées.

En janvier 2006, nos chemins de généralistes et de spécialistes se séparent. Les inscriptions aux différents concours suscitent beaucoup d’effervescence, les spéculations vont bon train et nombreux sont les étudiants qui restent perplexes devant le choix à faire. Le contexte incertain et notre situation de « sur quota » ne rendent pas les choses plus faciles. Il est vrai que sur les 160 étudiants qui termineront, une trentaine resterait sur le carreau… L’échec à un concours signe pour l’étudiant une sortie du système, la non-attribution de son numéro INAMI et par là l’impossibilité d’exercer. Le choix est donc devenu avant tout stratégique et les rêves se brisent sur les nécessités du contingentement.

Les futurs généralistes débutent leur stage en médecine générale et nombreux sont ceux qui désirent remplir les places prévues pour cette spécialité. Pour 56 places disponibles cette année nous avons eu plus de 69 candidats.

Leur formation inclut des stages chez un maître de stage de leur choix ainsi que des cours organisés chaque vendredi par le CAMG (Centre académique de médecine générale) qui coordonne leur formation et qui déjà au cours de nos études, nous initiait à l’importance d’une médecine de première ligne de grande qualité. L’inscription de tant d’étudiants en premier choix en médecine générale est le couronnement de leurs efforts. Les cours du vendredi sont également très appréciés. Nous les remercions pour cet apprentissage adapté et concret, axé vers notre pratique qui s’annonce maintenant toute proche.

Pour les candidats spécialistes débutent 4 mois de stages pré-concours, période stressante en soi, mais qui le devient encore plus dans ce contexte de Numerus Clausus, et ce malgré l’équilibre qui pourrait être atteint cette année. C’est vrai, un effort indéniable a été fait pour faire apparaître des places supplémentaires. Par ailleurs, le nombre d’inscrits dans les différents concours a été relativement peu important  – sans doute dû à la pression de la situation, mais aussi de personnes outrepassant parfois leurs rôles.

Pourtant, la situation pour les généralistes comme pour les spécialistes n’est toujours pas claire à l’heure actuelle. Nous restons totalement à la merci de la décision du 11 juillet où facultés et politiques tenteront de se mettre d’accord sur notre sort.

Dans le contexte actuel de forte demande médicale, à l’heure où la médecine se féminise et où les soins de plus en plus avancés requièrent des énergies humaines en augmentation, il nous semble absurde que certains d’entre nous ne puissent pratiquer. D’autant que les services hospitaliers sont régulièrement en manque de personnel qualifié et pallient souvent cet état de fait en engageant des médecins étrangers. Durant l’année 2005, les pays industrialisés ont accueilli des milliers d’intellectuels venant des pays en voie de développement et cela pour faire tourner leurs propres hôpitaux.

Les assistants déjà en formation peuvent témoigner du nombre d’heures prestées, les mettant bien souvent en infraction avec la loi Colla, qui régit les heures de travail et le nombre de gardes. Nombre d’heures prestées qui réduisent sans conteste leur vie extra-professionnelle. La poursuite de ce système de Numerus Clausus conduira bel et bien à un burn-out rapide des soignants ainsi qu’à une diminution de la qualité des soins, une médecine à deux vitesses. Nous espérons qu’un système plus intelligent et entraînant moins de souffrances pourra être mis en place dans le futur. A ce sujet, nous faisons appel à vous, futures consœurs et confrères. Accueillez-nous dans votre corporation et surtout battons-nous ensemble pour que personne cette année, ni dans les années à venir ne soit laissé sur le carreau.

En attendant ces jours meilleurs, et pour clôturer ce discours, nous aimerions remercier toutes les personnes qui ont rendu possible notre présence ici aujourd’hui.

Merci à toute l’équipe de l’AMA-UCL menée par le professeur Krémer pour l’organisation de cette journée qui clôture, mais surtout qui ouvre une nouvelle ère devant nous. Merci au Recteur, à notre Doyen représentant de la Faculté de Médecine.

Et surtout merci à nos proches, parents, conjoints, amis et amies de nous avoir supportés dans les bons comme dans les mauvais moments. Merci d’avoir toujours été là pour nous.

Que la fête continue et bon vent à tous !

Céline, Dora, Arnaud, Xavier


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