Numéro 46 :
Promotion des médecins du 24 juin 2006
Discours du professeur Jean-Jacques Rombouts, Doyen de la Faculté de Médecine UCL
Chers promus,
Chers Confrères,
Au nom de la faculté de Médecine de l’U.C.L., je vous adresse mes plus cordiales félicitations et mes vœux d’épanouissement personnel. Comme les autres professeurs ici présents, j’ai cheminé avec vous pendant les années de votre formation universitaire qui, pour la plupart d’entre vous, a débuté en 1999. Le parcours médical est parmi les plus longs du paysage universitaire : sept années dont nous célébrons aujourd’hui l’aboutissement .
Au cours des années ’90, après un audit international, la faculté de médecine de l’UCL a précisé ses objectifs de formation pour le « médecin de base ». Ces objectifs recouvrent trois registres :
- la maîtrise du raisonnement clinique qui implique l’aptitude à la démarche clinique, la connaissance approfondie des maladies, de leur mécanisme et des moyens thérapeutiques ainsi que la capacité à communiquer avec le patient
- une formation scientifique rigoureuse, garde-fou contre le charlatanisme mais aussi condition pour dépasser les limites du savoir et générer des progrès
- l’appréhension du contexte dans lequel s’inscrit la médecine et en particulier les règles légales, déontologiques et éthiques, la connaissance du coût et du financement des soins de santé ainsi que les déterminants sociaux et environnementaux de la santé.
La formation médicale est par essence poly disciplinaire. Elle se situe aux confins des sciences exactes et des sciences humaines. Elle est basée sur un exercice quotidien du raisonnement clinique qui comprend l’induction d’hypothèses au départ de plaintes et des signes cliniques avec ensuite confirmation de l’hypothèse retenue grâce à des examens complémentaires choisis avec circonspection. Pendant longtemps, la formation médicale a été stratifiée sur un socle de sciences dures1 . L’explosion des connaissances a imposé des choix. On ne peut tout enseigner et il faut que l’enseignement soit organisé en fonction du but poursuivi. C’est l’objectif de la réforme entamée en 1995 à l’UCL. Vous constituez la 3ème promotion d’étudiants ayant bénéficié de cette réforme dont j’ai rappelé les grandes lignes ci-dessus. Cette réforme sera poursuivie grâce à Bologne et malgré Bologne qui introduit pernicieusement une pression vers la séparation des cycles2,3. L’intégration des sciences de base et des sciences cliniques bref la contextualisation de l’enseignement dès le début des études médicales restera un principe directeur de l’organisation de notre programme.
Vous êtes nés il y a 25 ans, j’ai été diplômé il y a 40 ans. Au moment où j’étais à votre place, la médecine, riche de ses récentes victoires était triomphante. C’était les « golden sixties ». Tout était possible et tout était permis, ce qui a abouti aux débordements de 1968. Dix ans plus tard, c’était la désillusion : on a vu apparaître des maladies nouvelles et les résistances bactériennes.
Depuis votre naissance, on a vu émerger trente-huit agents pathogènes nouveaux4 au premier rang desquels le VIH, virus du Sida ,virus d’Ebola et les coronavirus responsable du Sras. A l’échelle mondiale, les maladies infectieuses sont aujourd’hui responsables de 20% des décès contre 30% pour les maladies cardiovasculaires et 12,5% pour les cancers5. L’évolution des nouvelles épidémies démontre bien les déterminants sociaux de la santé : ce sont les pays les plus pauvres qui payent le plus lourd tribut.
La Faculté de Médecine a cette année voulu souligner l’importance de l’humanisme dans la formation des médecins et mettre l'accent sur l'engagement du médecin dans la société et le monde. Elle a honoré d’un doctorat honoris causa le Docteur Jean-Christophe Ruffin et le Professeur Michel Kazatchkine. Je voudrais rappeler le message de nos deux personnalités.
Le médecin a un rôle et une responsabilité importante dans la société. La prolifération de règles, de régulations et des textes normatifs de toutes sortes vous a entraîné dans une course d'obstacles entamée dès le début de vos études : cela a commencé par un numerus clausus dont les règles ont changé presque chaque année et cela se poursuivra par des contrôles administratifs de toutes sortes dont celui des prescriptions médicales les plus élémentaires. Ce contexte pourrait ébranler notre idéal humaniste et occulter notre tradition personnaliste. Nous souhaitons et espérons que votre formation et l'exemple de vos enseignants vous ont donné les armes pour garder un idéal citoyen et une volonté de servir la société.
Hôte privilégié de l’Europe, le médecin ne peut négliger les enjeux planétaires. Cela concerne bien entendu l’accès au soin dans les pays les plus pauvres. Nous ne pouvons oublier le message de Michel Kazatchkine qui nous a rappelé que moins de 10% des femmes séro-positives dans le monde ont accès à la prophylaxie antirétrovirale afin d’éviter la transmission materno-fœtale du virus6. Ce défaut d’accès au soin a des déterminants qui dépassent l’économique. On ne sait pas assez qu’à l’échelle mondiale, il manque 2 millions et demi de médecins et d’infirmières. La pénurie est majeure dans 57 pays principalement d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud-Est.
La migration des médecins à partir des pays pauvres vers les pays riches est un problème préoccupant qui accentue cette pénurie7. Le BMJ du 8 avril8 dernier rapporte qu’un cinquième des médecins formés dans les pays africains émigrent vers les pays riches dont principalement l’Australie, le Canada, l’Angleterre et la France qui ont créé un vide en limitant pour leurs nationaux l’accès à la formation médicale : 37% des médecins formés en Afrique du Sud et 29% des médecins formés au Ghana pratiquent dans ces pays riches. Le Numerus Clausus crée un vide que certains politiques acceptent de combler par une immigration « sélective » .
A l’échelon européen, pareil phénomène s’est observé dès l’élargissement (1er mai 2004) en particulier au départ de la Lithuanie9 dont 29% des médecins ont annoncé leur intention d’émigrer.
Cet effet pervers du « numerus clausus » est peu connu10,11. Les doyens des 9 facultés de médecine belge s’efforcent de faire prendre conscience à nos dirigeants de l’absurdité d’une réglementation qui empêche nos étudiants d’avoir accès à la médecine mais attire des médecins d’ailleurs moins bien formés que ne l’auraient été nos diplômés. Le message semble faire son chemin et nous avons eu vent d’une volonté de modifier l’Arrêté royal relatif à la planification médicale qui date du 30 mai 2002.
Chers Confrères, il me reste à vous souhaiter « bon vent » et à vous remercier ainsi que vos parents de faire confiance à l’Ecole de Médecine de l’Université Catholique de Louvain.
-
Micheletti P. Le point faible des études médicales. Le Monde du 6 juillet 2005
-
Christensen L. The Bologna Process and Medical Education. Medical Teacher,26:625-629,2004
-
The Bologna Declaration and Medical Education : a policy statement from Medical Students of Europe. Medical Teacher,27:83-85,2005
-
Nau J.Y : Face aux menaces épidémiques, l’OMS élabore un nouveau règlement sanitaire international. Le Monde 6 mai 2006
-
Belot L, Benkimoun P. Prévenir et combattre l’éternel retour des épidémies. Le Monde des 2 et 3 avril 2006.
-
Benkimoun P. L’accès au traitement antisida dans les pays pauvres reste insuffisant. Le Monde 6 avril 2006 p7
-
Hasson M. Developed nations receiving more physicians from poorer countries. Orthopaedics today Sept2005
-
Kmietowicz Z. Another 2.4 million health professionals needed, says WHO. British Medical Journal 332,8 april 2006 p 809
-
K.Krosnar. Could joining EU club spell disaster for the new members ? British Medical Journal,2004:328-310,7 februari 2004
-
J.Johnson. Stopping Africa’s medical brain drain : the rich countries of the North must stop looting doctors and nurses from developping countries. British Medical Journal, 2005: 2-3, 2 july 2005
-
O.B.Ahmad. Managing medical migration from poor countries. British Medical Journal, 2005: 43-45, 2 july 2005