Numéro 46 :

Promotion des médecins du 24 juin 2006

Discours du professeur Bernard Coulie, Recteur de l'UCL

 

Monsieur le Doyen,
Chers collègues,
Mesdames et Messieurs,
Chères étudiantes et chers étudiants,
ou plutôt cher(e)s diplômé(e)s,

C’est à vous que je souhaite m’adresser particulièrement aujourd’hui.

L’université propose des études de longueur variables : il y a des programmes en 4 ans (FLTR, SC), en 5 ans (DRT), en 7 ans (MD); pour certains, le parcours a parfois été plus long encore, et il en est d’autant plus méritoire.  Selon les études que vous avez poursuivies, et réussies puisque vous êtes ici, c’est une partie très importante de votre vie que vous aurez consacrée à vous former.

En venant à l’université, vous avez posé un choix important, exigeant, un choix qui était l’expression de vos envies, de vos passions, de vos ambitions: j’espère qu’aucune de celles-ci ne s’est émoussée au cours des années que vous avez passées avec nous.  En venant à l’université, vous avez aussi accepté un risque, celui de la réussite: la réussite n’est pas assurée, elle doit se gagner, et même si nous mettons tout en oeuvre pour vous y aider, cette réussite est d’abord la vôtre.
   
Je tiens, en mon nom personnel, et au nom de l’Université catholique de Louvain, à vous en féliciter très sincèrement.

Je souhaite que ce moment soit pour vous une occasion de joie, partagée avec vos proches.  Je souhaite que ce soit aussi une occasion de réfléchir à ce que vous avez accompli à l’université et de penser à ce qu’il vous reste à accomplir en dehors de l’université, mais en tant qu’universitaire.  Quelle a été et quelle sera la place de l’université dans votre vie ?  Un regard en arrière, un regard vers l’avenir.

Un regard en arrière, tout d’abord.

Votre présence ici aujourd’hui est le résultat de votre travail.  Elle est aussi le fruit de l’intervention d’autres personnes.

Je pense en particulier à vos parents, à vos familles et à vos proches.  Vous devez leur en être reconnaissants, et je tiens à les remercier d’avoir confié leurs enfants à notre université et à cette faculté.  C’est une preuve de confiance vis-à-vis de l’université, et nous espérons nous en être montrés dignes.  Mais c’est aussi une preuve de confiance vis-à-vis de vous, une manifestation de dévouement, une expression d’altruisme dont vous devrez toujours vous rappeler, à la fois en témoignant à vos parents la reconnaissance qu’ils méritent, et en vous engageant vous aussi, dans votre vie à venir, au service des autres.  L’attention aux autres est une des valeurs fondamentales de notre université : faites vivre cette valeur en demeurant attentifs à mettre vos compétences au service des autres.

La qualité de l’enseignement dont vous avez bénéficié, le dévouement de vos professeurs et des chercheurs, l’aide attentive du personnel administratif, technique et ouvrier ont également compté dans le succès de vos études.  Je tiens à remercier ici tous les membres de la faculté, et j’y associe les membres des Facultés universitaires Notre-Dame de la paix à Namur, car plusieurs d’entre vous y ont commencé leur parcours.  Par leur travail et leur engagement, tous les membres de ces institutions ont contribué à votre formation et ils ont contribué aux missions de l’université.

Enfin, vous êtes ici aujourd’hui, mais vous étiez bien plus nombreux il y a quelques années, lorsque vous avez commencé vos études.  Et vous avez sûrement tous encore en mémoire des visages, des voix, des noms d’étudiantes et d’étudiants qui avaient les mêmes envies, les mêmes passions et les mêmes ambitions que vous, mais qui n’ont pas pu les concrétiser.  Les raisons en sont nombreuses : les aléas de la vie, la santé, les circonstances sociales, économiques, psychologiques [parfois même, comme dans le cas de la faculté de médecine, les règles absurdes du numerus clausus].  Je ressens l’échec de chaque étudiant comme un échec de l’université, et je souhaite mettre tout en oeuvre pour y remédier.

Quant à vous, devez-vous vous considérer comme des élus, des choisis ?  Non.  Comme des privilégiés ?  Peut-être.  Mais surtout comme les dépositaires des espoirs de tous les autres, et de tous ceux qui n’ont jamais eu accès à l’université.  Il fait partie des valeurs de l’UCL que vous vous souveniez toujours de cette responsabilité.  En tant qu’universitaires, vous devenez, au sein de notre société, responsables de tous les autres.

J’en arrive ainsi au regard vers l’avenir.

La formation intellectuelle n’est pas une fin en soi, elle n’est qu’une partie de la formation de la personne, et cette formation, la seule vraiment importante, est un parcours beaucoup plus long et plus complexe que le seul passage par l’université.  Comme l’a dit Oscar Wilde, « Rien de ce qui mérite d’être su ne peut être enseigné. » (Nothing that is worth knowing can be taught).

Une partie de votre chemin a été accomplie, une partie importante, qui va marquer votre vie, mais une partie seulement, une étape, un tournant

En sortant de cette université, vous allez vous retrouver un peu plus loin sur votre chemin, où d’autres tournants vous attendent, et où bien souvent vous aurez à choisir entre plusieurs voies.

Votre choix profitera naturellement des compétences que vous avez acquises au cours de vos études: chaque étape sera pour vous une occasion de mettre à profit ce que vous aurez appris à l’université.

Mais il y a beaucoup plus encore, et c’est à cela que je veux vous rendre attentifs aujourd’hui : à chaque étape, à chaque choix, inspirez-vous de votre université, de ses missions et de ses valeurs.

Quelles sont les missions de l’université ?

D’abord, l’enseignement et la recherche.  Il y a d’autres lieux d’enseignement que l’université, et il y a d’autres endroits de recherche, mais seule l’université poursuit ces deux missions à parts égales et les enrichit mutuellement.  Au cours de vos études, vous avez reçu un enseignement nourri par la recherche des professeurs, c’est-à-dire que vous avez appris non seulement ce qui est bien connu, des notions bien établies, les bases de vos disciplines respectives, qui ne souffrent plus de discussion, mais aussi précisément tout ce qui est objet de discussion, ce qui n’est pas sûr, ce qui n’est pas encore démontré. L’université est un lieu de transmission de savoir et de création de savoir.  Peut-être cela n’a-t-il pas toujours été évident à vos yeux au cours de vos études, peut-être vos professeurs ne vous ont-ils pas dit à chaque moment ce qui relevait de l’une ou de l’autre mission, parce que la frontière entre les deux est difficile à définir, elle est ténue et mouvante.

Transgresser cette frontière est la raison même de l’université : ne jamais se contenter de ce qui est sûr, toujours prendre le risque de l’inconnu.

Il y a quelques jours, un chef d’entreprise me racontait qu’il effectuait, chaque semaine depuis des années, son jogging selon le même itinéraire.  Récemment, il a voulu faire le parcours habituel, mais dans l’autre sens : il s’est perdu !  Ne vous laissez jamais enfermer dans la routine ou dans l’illusion de l’habitude.

Le monde qui vous attend est rempli d’incertitudes, votre carrière professionnelle ne sera pas nécessairement rectiligne : rappelez-vous alors ce qui a caractérisé votre formation, et transgressez les frontières, prenez le risque de l’inconnu.  L’université vous a donné les meilleurs atouts pour cela.

La troisième mission de l’université est le service, c’est-à-dire le souci de toujours mettre ses connaissances, son expérience, ses moyens au service des autres, qu’il s’agisse d’un individu, d’un groupe ou de la société elle-même.

Vous avez poursuivi et réussi vos études, et vous l’avez fait pour en profiter vous-mêmes, pour accéder à un métier, pour gagner votre indépendance.  Soyez conscients que beaucoup d’autres personnes vont maintenant dépendre de vous, de vos connaissances et de vos capacités.  Soyez fiers de ce que vous avez appris et de ce que vous continuerez à apprendre, mais communiquez-le autour de vous, et mettez vos connaissances au service de ceux qui vous entourent.

En un mot : que votre formation d’universitaires rayonne au-delà de vous-mêmes.

Enseignement, recherche, service sont traversés à l’université par une exigence : celle du sens critique.

Au cours de vos études, vous avez acquis des compétences et appris à poser des actes critiques, c’est-à-dire des actes qui témoignent de votre capacité à discerner, à juger et à décider.  Le monde actuel vit souvent de raccourcis, de caricatures et de simplismes : soyez universitaires, ne dérogez jamais à l’exigence de rigueur et d’esprit critique qui a caractérisé votre formation.  Comme l’écrit le romancier américain Philippe Roth, " la pensée critique, voilà la subversion absolue ! "  (Philippe Roth, J’ai épousé un communiste).

Votre doyen vous a rappelé combien les études médicales sont à la croisée des sciences exactes et des sciences humaines, et comment l’activité médicale touche à la science et à la technique, mais aussi au social et au relationnel, au psychologique, à l’économique.  Le thème des doctorats honoris causa de la faculté de médecine, cette année, a mis en lumière ces nombreuses imbrications, qui font toute la complexité et toute la richesse de la vie des médecins que vous êtes devenus.

L’un des deux docteurs, Michel Kazatchkine, écrit, dans son livre “La consultation du soir” : " L’obsession d’être complice des atrocités qui se perpétuent dans le monde est pour moi une souffrance et une forte motivation d’engagement. " (p. 79).  Quelques pages plus loin, il a cette phrase, qui sonne comme une définition du médecin quand celui-ci est porté par des valeurs de service et de dévouement : “Auprès d’une personne que l’on aime, on souffre de sa souffrance que l’on voudrait prendre sur soi, afin de la lui épargner”.

Vous êtes aujourd’hui devenus diplômés de l’université, mais ce n’est pas le diplôme en tant que tel qui importe, c’est la responsabilité d’universitaire.

Vous devenez surtout des diplômés de l’UCL, des anciens de l’UCL.  Vos études ont pris place dans un ensemble plus vaste, un ensemble partageant des missions et des valeurs communes.  Vos études ne constituent pas un tout se suffisant à lui-même : elles ne prennent tout leur sens que parce qu’elles participent d’une aventure commune, d’un idéal commun qui les nourrit et les dépasse tout à la fois, l’idéal universitaire.  Une phrase des Mythologies de Roland Barthes le résume : " ... la Belle enchaîne la Bête, Daniel se fait lécher par les lions, la civilisation de l’âme soumet la barbarie de l’instinct. " (Roland Barthes, Mythologies).

Irriguez le monde qui vous entoure de cet idéal, dont vous êtes maintenant porteurs.  Par votre vie et par vos actions, soyez les témoins des missions et des valeurs de l’UCL; diffusez-les autour de vous, selon cette belle image de Curzio Malaparte : " La lumière rose du jour entrait dans la blanche nuit d’été à la manière d’un fleuve dans la mer." (Malaparte, Le Bal au Kremlin).

Soyez cette lumière, soyez ce fleuve, avec humilité et fierté en même temps.

Ce que l’UCL attend de vous, à partir de maintenant, c’est que les anciens de l’UCL que vous devenez rayonnent dans la société : contribuez à son amélioration, soyez des porteurs de changements, fidèles aux missions et aux valeurs de votre Alma Mater.  Ne vous laissez jamais fondre dans la masse : que votre appartenance à l’UCL vous distingue, non pas parce qu’elle serait un privilège, mais parce qu’elle est une exigence.

Votre vie est devant vous : elle sera à la mesure de la place que vous y accorderez aux autres.  Vivez en universitaires, et soyez fiers de l’être.  Vivez en anciens de l’U.C.L., et faites en sorte d’en être fiers.

Bernard Coulie, Recteur


AMA-UCL Association des Médecins Alumni de l'Université catholique de Louvain

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