Promotion des médecins du 26 juin 2004
Discours du Professeur R. Krémer, Président de l'AMA-UCL
L'association des médecins anciens étudiants de l'UCL vous souhaite la bienvenue et vous accueille chaleureusement. Nous saluons vos parents, conjoints et amis qui ont vécu avec vous les années parfois difficiles des études.
Au cours du siècle dernier, la médecine a connu une avancée prodigieuse, mais il est certain qu'au cours des prochaines décennies, le progrès va se poursuivre et que vous allez vivre, vous aussi, une période exaltante.
A l'occasion du 40ème anniversaire de notre association, Marc Verstraeten, professeur à la KUL, notre invité, nous a livré ses réflexions sur l'avenir de la médecine et s'est notamment risqué à établir un calendrier prophétique des progrès technologiques :
- 2005 : le sang artificiel
- 2010 : le cœur artificiel
- 2012 : les senseurs pour aveugles
- 2013 : le robot à l'hôpital
- 2015 : le lien génétique avec la plupart des maladies
- le poumon et le foie artificiel entre 2017 et 2020
- les cellules nerveuses seraient obtenues par culture en 2018
Cette évolution rapide des sciences médicales impose une mise à jour continue des connaissances. Qui peut, mieux que votre université et sa faculté de médecine, assurer votre formation continue ? Rappelons qu'elle s'y consacre en partenariat avec votre association d'anciens et la revue Louvain Médical.
Quels enseignements peuvent vous apporter les anciens ? En toute modestie et franchise, vous devez savoir que le progrès médical n'est pas un parcours triomphal sur un boulevard bien balisé, mais une progression difficile sur des chemins sinueux, avec des erreurs, des échecs et des fausses routes. Nous avons appris, à nos dépens parfois, qu'il faut être persévérant mais pas entêté, audacieux mais pas téméraire, imaginatif mais pas mythomane, pédagogue mais pas pontifiant, observateur mais pas inquisiteur, confiant mais pas naïf, prudent mais pas timoré.
Pour le médecin, l'expérience personnelle de la maladie est une forme très particulière d'enseignement postgradué. Cette formation n'est heureusement pas obligatoire. Marcel Proust reprochait aux médecins de son temps de ne pouvoir le soulager de l'asthme qui a empoisonné sa vie, mais je ne pense pas, comme lui, qu' " il faudrait faire subir aux médecins ce qu'ils font endurer aux malades ". Par contre, ceux d'entre nous qui ont connu la maladie peuvent utilement faire part de leur expérience et de leurs réflexions.
Lorsqu'en montant la rue du Pont Neuf à Charleroi, j'ai éprouvé pour la première fois une douleur thoracique constrictive, je me suis dit : " C'est donc cela l'angine de poitrine d'effort que je décris aux étudiants depuis de nombreuses années ". Je me suis retrouvé allongé sur la table d'examen, à la place du patient que j'avais coronarographié la veille et j'ai éprouvé une douleur thoracique insupportable pendant que le ballonnet de dilatation était gonflé dans mon artère circonflexe et écrasait le rétrécissement.
Quelques années plus tard, en vacances en Irlande, au cours d'un voyage intitulé " A taste of Ireland ", j'ai fait un épisode dit d'angor instable et je me suis retrouvé à nouveau dans une ambulance, avec devant les yeux, mon électrocardiogramme dont les segments ST étaient sous-décalés de manière impressionnante. Le détour que cette ambulance dite " d'aide médicale urgente " fit pour charger un autre malade, les soins rudimentaires à l'hôpital et le délai inacceptable pour être coronarographié, m'ont fait regretter et apprécier l'excellence de nos services médicaux en Belgique.
Rapatrié enfin, je me suis retrouvé dans mon hôpital, accueilli par mes amis et opéré sur le champ, avec succès. Au réveil, le chirurgien était là et me dit : " Vous avez de belles mammaires ! " Encore obnubilé, j'avoue ne pas avoir compris tout de suite ce compliment qui me parut équivoque.
J'ai connu le décalage spatio-temporel des soins intensifs. Je ne savais pas si l'horloge marquait midi ou minuit, s'il faisait soleil ou s'il pleuvait. En plus, j'étais hanté par la pensée des complications post-opératoires possibles, que je connaissais parfaitement ; je surveillais les chiffres vitaux qui s'affichaient sur les écrans, les courbes diverses qui se déroulaient et le niveau liquidien dans les bocaux qui m'entouraient. Craignant les complications pulmonaires, je m'efforçais de respirer profondément, de tousser, d'expectorer, je refusais les calmants et encourageais la jeune kiné, un peu timide, à pousser les exercices respiratoires.
Véhiculé dans mon lit, je reconnaissais mal les couloirs pourtant familiers de l'hôpital : sous un angle de vision inhabituel, les médecins et les soignants me semblaient étrangers.
Par ailleurs, j'ai appris à connaître les petits problèmes du séjour hospitalier : les courants d'air, les bruits de couloir, la voix trop faible pour appeler, la sonnette hors de portée, le personnel surmené et pressé... On aspire à quitter la clinique, mais de retour chez soi, loin du cocon hospitalier, on devient anxieux, à l'affût du moindre symptôme...
Le stage aléatoire qu'est la maladie tend à nous faire changer d'attitude envers nos malades. On prend en considération les plaintes même futiles ; on comprend combien sont pénibles les consultations trop brèves, les examens retardés, les opérations reportées et le drame de la perte d'autonomie et de la capacité de décision. Le médecin ne devrait consulter sa montre que pour prendre le pouls et consacrer du temps à mieux connaître son patient, son travail, ses problèmes personnels, son entourage.
Ceci dit, je vous souhaite de tout cœur de ne pas connaître de tels exercices pratiques de formation post-graduée, mais de lire parfois les récits des malades et surtout des médecins qui ont vécu l'expérience de la maladie.
Grâce aux progrès de la médecine et de la prévention, vous avez beaucoup moins de risque de connaître une expérience semblable à la mienne. Mais toutefois, prenez garde au tabac, à l'alimentation anarchique, à la pollution, au soleil, au stress... et j'en passe.
Profitez pleinement de ce beau jour, de cet avenir qui s'offre à vous, de ce métier qui est l'un des plus beaux, quelle que soit l'option de carrière que vous choisirez.
René Krémer
Président de l'AMA-UCL