Numéro 31 :

Promotion des médecins du 28 juin 2003

Discours du professeur Jean-Jacques Rombouts, Doyen de la Faculté de Médecine UCL

 

Chers promus,
Chers Confrères,

Au nom de la faculté de Médecine de l’U.C.L., je vous adresse mes plus cordiales félicitations et mes voeux d’épanouissement personnel.

Cette proclamation marque une étape importante non seulement dans votre formation professionnelle mais également et surtout peut-être dans votre vie d’hommes et de femmes.  Le temps n’est plus où le jeune docteur en médecine, chirurgie et accouchements accrochait sa plaque de cuivre et commençait à recevoir ses patients dans l’aura de sa formation universitaire alors pourtant bien théorique.

Le diplôme de docteur en médecine est une étape dans un processus de formation professionnelle qui fera de vous dans 3 – 5 ou 6 ans des "médecins généralistes" ou des "médecins spécialistes". Cette étape est importante puisqu’elle vous donne accès dès demain à une pratique, certes encadrée, mais responsable. Cette pratique vous ouvrira des droits et en particulier ceux d’une juste rémunération, mais elle engagera votre responsabilité personnelle.

Pour arriver à ce passage, à cette autonomie personnelle, vous avez suivi un long chemin sur lequel vous avez été guidés et soutenus par vos parents auxquels vous venez fort à propos de rendre hommage et auxquels je tiens à adresser la reconnaissance de la Faculté de Médecine. Votre formation, vous la devez avant tout à vous-même, à ces efforts de tous les jours. Les professeurs, les adjoints, les assistants et vos amis étudiants ont été là pour vous diriger, vous orienter et stimuler votre apprentissage. En tant que responsable du programmes des études, j’avais rêvé d’un parcours sans les embûches des examens, à tout le moins pendant le second cycle des études médicales. Malheureusement, il a été démontré et reste certain que l’examen est le stimulus nécessaire de l’apprentissage et un parcours sans obstacle serait une promenade sans acquis.

"Une faculté de médecine" je cite Mgr E.Massaux 1 "n’est pas seulement un ensemble de départements et d’unités qui s’organisent en vue de l’accroissement, de la transmission et de la diffusion de connaissances. C’est également une collectivité d’hommes et de femmes qui accueillent au sein de leur pratique ou au sein de l’hôpital des individus souffrants afin de les soulager et de les aider à retrouver l’intégrité de la vie".

Dans votre formation, au fur et à mesure de sa progression, la part des leçons théoriques est devenue plus ténue pour laisser la place à un apprentissage au contact du patient. A coté du curriculum officiel, de ces 5500 heures de cours définies par la directive européenne, il y a cet apprentissage par l’exemple quotidien dont l’importance a été rappelée et soulignée par un terme imagé comme savent en inventer les québécois, "le curriculum caché" 2.

Ce curriculum caché dépasse l’apprentissage professionnel et détermine par l’exemple le savoir-être et l’attitude éthique. Le souci des responsables de la faculté de médecine de l’Université catholique de Louvain est de vous faire approcher la dimension spirituelle de notre mission de soin.

Ce curriculum caché, c’est l’éducation par l’exemple. Nous voulons une médecine qui reste personnaliste 3 dans le respect des contraintes de la vie sociale.

Si j’ose espérer que l’exemple qui vous a été montré au sein de la faculté mérite d’être suivi, je suis inquiet par la démonstration du monde politique. Cette 166ème promotion des docteurs en médecine signe la fin d’une époque. Depuis 1997, époque de la mise en place de la limitation de l’accès à la pratique médicale, les étudiants sont soumis à la pression inacceptable d’une sélection tardive sur base de critères qui ne sont plus la valeur et les aspirations de l’individu mais les besoins de la société dans une enveloppe économique déterminée par le politique qui a le pouvoir de décider la partie du budget qui sera consacrée à la formation (compétence communautaire) et à la santé (compétence fédérale). L’éducation citoyenne du médecin qui ne peut bien entendu dilapider le bien commun a été gravement perturbée par des décisions qui font passer une planification des prestataires de soins avant d’autres mesures  d’économie. Le fait de ne pas comprendre des choix politiques est source de frustration. La permanente incertitude des étudiants en médecine, en dentisterie et en kinésithérapie auxquels on annonce que les "derniers" d’entre eux seront exclus de la pratique médicale soignante sur base de critères qui ont été modifiés en fin de parcours est certes peu formative. Au contraire, ce curriculum caché , cette ambiance de compétition et d’injustice latente , ne peut qu’être un facteur négatif dans le processus éducatif de nos jeunes médecins qu’il aurait mieux valu former à l’esprit d’équipe, à la rigueur et à la valeur de la parole donnée. Le médecin écoute, accompagne, réconforte, soigne et parfois contribue à guérir des personnes malades ou blessées. Le malade, le souffrant, le mourant ont besoin d’un médecin disponible et humain.

Nous avons eu le grand plaisir de proclamer 235 nouveaux médecins. C’est sans doute beaucoup, ce n’est probablement pas trop si on situe ce groupe à l’échelle de l’espace européen qui leur est ouvert. Des pays proches, la France et l’Angleterre, vivent actuellement une pénurie médicale à tout le moins dans les spécialités les plus demandantes. La Communauté française de Belgique peut être fière des médecins qui y ont été formés et ont migré vers des régions à plus faible densité médicale. Vous êtes 235, ils ne seront plus que 155, 147 et 162 au cours des trois prochaines années. Le législateur a défini que seuls 132 d’entre eux pourront poursuivre un troisième cycle en médecine soignante (médecine générale ou médecine spécialisée). Que dirons-nous aux autres ? Il y a toujours eu 15 à 20 % de jeunes médecins qui s’orientent vers la recherche, la médecine préventive, la gestion des données médicale , la médecine du travail … Jusqu’à présent, ces choix étaient libres et ils ne devaient pas être coulés dans le bronze le jour de la proclamation. En tant que responsable de la Faculté de médecine, compte tenu du caractère modéré de l’excédent de diplômés et surtout de l’incertitude réglementaire vécue par les étudiants pendant toutes ces années, je plaide, les doyens des 5 facultés de médecine de la Communauté française de Belgique plaident pour un moratoire de quatre ans, c’est-à-dire une application "souple" de l’arrêté de 2002 pendant les quatre prochaines années pour les étudiants régulièrement inscrits dans  le deuxième cycle des études médicales de nos trois universités à la date du 30 septembre 2003 4.  Ce moratoire devrait permettre à ces étudiants de s’orienter vers les pratiques et spécialités médicales sans exclure aucun étudiant, mais dans le respect de la répartition proportionnelle prévue par le législateur.  Le système de sélection prévu par le décret communautaire de février dernier est inapplicable et par certains points "inique" 5.  En contrepartie et parallèlement, nous collaborerons avec le pouvoir politique pour mettre en place dès l’année prochaine un processus de sélection précoce, équitable et stable juridiquement et dans le temps.

Le "curriculum caché" de nos amis québécois nous a mené du personnalisme à l’action politique, je dirais même à l’indignation face au politique…

Ce jour est un jour de joie, une apothéose, un "achievement" comme on dit également en Amérique du Nord. Vivez le intensément. Au nom de la Faculté, je vous souhaite bon vent et vous confirme que nous comptons sur vous pour maintenir "l’esprit" et la "tradition" de l’Université Catholique de Louvain à laquelle vous avez et à laquelle vos parents, que je remercie encore, ont fait confiance.

 

  1. Massaux E. : La vision personnaliste de la formation médicale.  Louvain Médical. 110 : 406-412, 1991.
  2. Hafferty F.W., Franckx R. : The hidden Curriculum, Ethics teaching, and the structure of medical education.  Academic Medicine. 69 : 861-871, 1994.
  3. Massaux E. : La formation morale des médecins.  Louvain Médical. 111 : 29-36, 1992.
  4. N.Bu.  Limitation du nombre des médecins : les universités demandent une pose.  La Libre Belgique. 27.06.03, p. 5 ;
  5. La priorité accordée aux étudiants porteurs de l’attestation A est prolongée jusqu’en 2007, année normale de la promotion qui termine Med 13 en 2003.  Cette cohorte ne s’est pas vue attribuer d’attestation et pourrait théoriquement être dépassée dans la sélection par des étudiants des années antérieures porteurs de l’attestation et ayant différé d’un an leur demande d’accès au troisième cycle des études médicales.

 

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