Numéro 27 :
Promotion des médecins du 29 juin 2002
Discours des jeunes promus :
Gérald Deschietere, Nicolas Tajeddine, Sergio Negrin Drastis, Judith Dereau, Céline Ridremont, Carole Almpanis, Isabelle Schaub
Incipit
Nous sommes 7 à vous lire ce discours, sans pour autant, rassurez-vous, symboliser les 7 péchés capitaux... Au cœur de la fonction de soigner, se trouve le consentement ; c'est, nous espérons avec le vôtre, que nous voulons engager une réflexion sur ce qui nous a préoccupé pendant 7 ans, ce qui nous fera travailler durant l'assistanat tant en Médecine générale qu'en Médecine spécialisée, et bien évidemment ce qui fera de nous les praticiens de demain.. Faire un discours critique, dans toute son ambivalence, souligner les points forts et faibles de notre parcours d'étudiants et de soignants, c'est l'ambition que nous nous sommes donnée. Susciter chez chacun d'entre vous le dur désir de penser : avec un impératif, essentiel, préférer le débat d'idées aux conflits de personnes. Nous aimerions vraiment que vous puissiez déceler derrière les éventuels maladresses ou malentendus, tout le chemin que nous aimerions faire ensemble pour rendre la médecine de demain tout à la fois plus accessible, plus humaine et de meilleure qualité.
Monsieur le recteur,
Monsieur le pro-recteur,
Monsieur le doyen,
Mesdames et Messieurs les professeurs, Mesdames et Messieurs,
Chers parents, Chers amis,
N'est-il pas important de commencer ce discours en remerciant particulièrement ceux qui pendant toutes ces années nous ont soutenus, nous soutiennent, et nous soutiendront encore tout au long de notre vie, qui ont partagé nos joies comme nos peines, qui ont toujours cru en nous, qui nous ont permis d'aller de l'avant quelles que fussent les circonstances.
A nos familles, à nos conjoints, à nos amis, merci d'avoir été présents, d'avoir été compréhensifs et tolérants, merci d'avoir toujours été à l'écoute.
Nous tenions à vous faire part de notre gratitude. Pour eux, chers étudiants, nous vous demandons de vous lever et de les applaudir chaleureusement.
"Bene, bene, respondere : Dignus, dignus est intrare in nostro docto corpore".
Voilà ce que, Mesdames et Messieurs les Professeurs, vous nous auriez probablement dit en ce jour si nous avions vécu au XVIIième siècle.
La médecine de Molière et de Monsieur Diafoirus a pourtant bien évolué en trois siècles. L'opium ne fait plus dormir seulement parce qu'il a des vertus dormitives. La médecine, discipline dogmatique il y a encore quelques siècles, voire quelques décennies, est entrée dans l'ère de la science, du raisonnement et de la statistique. Chaque jour, ou presque, les certitudes d'autrefois sont remises en doute, sont revérifiées, réévaluées. Quelle tâche difficile dans ce monde médical en perpétuelle mouvance que d'enseigner à de futurs médecins l'art de guérir ! C'est pourtant à cette tâche ardue que vous, mesdames et messieurs les professeurs, vous êtes attelés pendant ces longues années. Nous voudrions ici vous remercier pour la grande qualité de l'enseignement que vous nous avez fourni. C'est grâce à vous que nous allons pouvoir demain exercer chacun une profession qui nous passionne. Vous nous avez transmis votre savoir et votre savoir-faire. Nous avons pu, ensemble, construire un édifice de connaissances, reposant sur des fondations solides.
Pourtant, Mesdames et Messieurs les Professeurs, nous en sommes sûrs, si nous ne prenons garde à sans cesse renouveler nos acquis, tout cet édifice s'écroulera sans aucun doute. Nous craignons cependant de ne pas avoir toutes les compétences nécessaires pour nous permettre de réaliser cette indispensable remise à jour. Nous regrettons que vous ne nous ayez pas plus encouragé dans la découverte de la vaste littérature médicale, même si nous n'avons pas toujours fait preuve de l'enthousiasme nécessaire.
Nous sommes persuadés qu'un cours de lecture critique de la littérature, qui existe actuellement sous forme optionnelle, devrait faire partie du cursus obligatoire en médecine.
Nous savons que la réforme récente des doctorats a, entre autres, pour but de pallier ce manquement. Cependant, cette recherche personnelle de données nécessite un accès large à la littérature, ce qui n'est pas le cas dans notre bibliothèque. Nous savons -sans l'accepter- que les budgets des universités francophones sont extrêmement serrés, et que les prix des abonnements aux périodiques de qualité sont souvent exorbitants. Nous n'avons pas de remède miracle à ce problème mais il nous a paru important de vous dire ici que ce manque d'accès à la littérature a parfois constitué un frein à notre formation.
Nous voudrions enfin souligner la remarquable qualité de l'organisation de l'enseignement dans notre faculté. Nous remercions toutes celles et ceux, enseignants, délégués et membres du personnel administratif, qui nous ont permis de disposer de notes de cours de qualité et de nous concentrer sur notre étude sans avoir à se soucier de problèmes d'horaires, de travaux pratiques ou d'examens.
En marge de l'enseignement académique pur, nous tenons absolument à souligner d'autres opportunités qui nous ont été offertes afin de nous former différemment. Que ce soit le statut d'étudiant-chercheur, les activités culturelles proposées par ARTE-FAC, les formations en philosophie et bioéthique, et d'autres que nous ne pouvons citer aujourd'hui. Ces activités complètent de manière efficace notre formation, tant au niveau du savoir-faire que du savoir-être.
Par ailleurs, nous ne pouvons ici nous empêcher de vous exprimer notre mécontentement vis-à-vis du Numerus Clausus mis en place il y a 5 ans. Celui-ci ne se contente pas de limiter l'accès aux études, mais accentue les avantages d'une classe sociale favorisée, les difficultés d'adaptation des étudiants étrangers et crée durant 3 ans un climat de compétition dont les étudiants ont du mal à se défaire.
De plus, l'impact du Numerus Clausus sur la vie sociale et les activités extra-académiques comme celles citées plus haut est catastrophique.
Comment imaginer former des médecins humains alors que rien ne les pousse à développer cet aspect, au contraire !
Sans avoir le temps d'entrer dans les détails, mais forts d'une vie sociale que nous avons pu enrichir au mieux, nous ne pouvions ne pas évoquer quelques-uns des effets néfastes de cette sélection qui s'avérera probablement inutile.
L'échéance des moments d'évaluation génère un stress important qu'il nous semble opportun de rapporter dans cette enceinte. Décompensation, compétition pathogène et médicalisation de la période d'examens sont les signes évidents d'un malaise devant les moments d'évaluation.
Bien sûr, une partie d'entre nous ne rencontrent pas ceux-ci mais faut-il pour autant accepter d'évacuer les questions que ces comportements posent à chacun d'entre nous ?
Vous allez nous dire " Et que faudrait-il faire ? ". Nous savons combien le stress est inhérent à l'existence, que nous le rencontrerons durant notre pratique, et qu'il peut même comporter une dimension révélatrice. Nous n'espérons pas son abrogation - ce serait vain et inepte - mais plutôt de repenser différents points qui nous permettraient de mieux y faire face.
Redonner à l'examen sa dimension pédagogique c'est, nous l'espérons, une volonté commune.
C'est sur base de ce constat là que nous pensons qu'une réunion après chaque session entre les responsables académiques et les représentants des étudiants permettrait de mettre en évidence les éventuels dysfonctionnements.
Dans le même ordre d'esprit, qu'il soit instauré par chaque professeur titulaire d'un cours, un moment fixé à l'avance où un étudiant pourra consulter sa copie d'examen et s'entretenir avec lui des raisons de son échec ou de sa réussite, nous semblerait être véritablement formateur.
Comme nous l'avons déjà dit, les études de médecine ne sont pas dispensées du climat de compétition, retrouvé au sein de la société.
C'est surtout durant la période des concours que nous l'avons ressenti, même si depuis l'instauration du Numerus Clausus, cet esprit de compétition se généralise à l'ensemble des années d'étude.
Comment éviter que l'émulation ne desserve les rapports humains?
Tout d'abord, nous proposons de généraliser la pratique de l'anonymat dans l'affichage des points comme cela s'est fait depuis le Numerus Clausus.
Ensuite, à propos des concours, certaines spécialités prônent un affichage alphabétique des candidats acceptés, remettant en cause l'utilité d'un classement public.
L'extension de cette démarche nous semblerait judicieux.
Nous ne remettons pas en question le concept des concours, nous sommes redevables à notre faculté de leur existence, ils représentent une recherche certaine d'objectivité.
Mais des aménagements seraient appréciables, comme le fait que les candidats à un concours identique aient droit aux strictes mêmes conditions, et que la transparence des cotes soit de mise.
Dans un souci d'objectivité toujours plus grand, irons-nous jusqu'à proposer que les concours aient une portée nationale, ou dans notre cas, linguistique ? Mais qu'à l'inverse d'autres concours nationaux, qu'ils le soient par spécialité.
On discutait, et on rêvait à un système où les grades importeraient moins, et où dans les rapports d'un individu à un groupe, les images de bisseur, de grande dis', ou d'abonnés aux secondes " sess " ne seraient pas tant plaquées... Puisque nous serons amenés à réduire encore les contacts entre nous, puissions-nous être vigilants à nous souvenir que nous sommes et resterons autre chose qu'une place ou une absence dans un classement...
Il nous incombe à tous de prendre acte de ce nouvel état d'esprit : refuser d'être les chantres de cette compétition, c'est accepter les trajectoires différentes qui émergent au sein d'un auditoire et de voir dans la pluralité des médecins une richesse pour l'avenir.
Attendus comme la période la plus formatrice de nos études, les stages ont suscité l'enthousiasme, mais aussi l'appréhension d'enfin mettre en pratique tout cet enseignement. Ils nous ont également permis de nous rendre compte du décalage important entre le "dire" et le "faire", et la difficulté à les corréler.
Mais force est de constater que chacun n'a pas vécu cette année de stage de la même façon.
Beaucoup d'étudiants ont eu la chance de côtoyer des maîtres de stages dignes de ce nom : riches en pédagogie et en humanisme, prodigues de leur temps. Ils nous ont accompagnés en nous responsabilisant de manière adéquate. En nous ayant transmis leurs savoir et gestes, ils resteront présents dans notre pratique de tous les jours.
Cependant, un certain nombre d'étudiants n'ont pas eu droit à ce compagnonnage intellectuel et social. Des maîtres de stages peu disponibles, indifférents, voire même désobligeants, ont parfois rendu le stage difficile à vivre et pauvre en apprentissage. Ces cas ne sont pas nombreux mais restent toujours d'actualité. Nous espérons qu'à l'avenir aucune injustice, ni sociale, ni raciale, ne sera jamais tolérée et que les endroits de stage seront sélectionnés pour leurs qualités formatives.
A l'instar d'initiatives existantes, nous pensons qu'il est intéressant et instructif d'inviter les étudiants à la fin de chaque stage avec un maître de stage et une tierce personne, à exprimer leurs sentiments tant positifs que négatifs sur leur expérience de stagiaire. Ils pourraient y partager leurs difficultés ou angoisses face à telle situation, à la souffrance physique et morale, leurs ressentiments vis-à-vis de tel acte ou leur douleur face à la perte d'un patient. L'expérience médicale naît aussi de celle des autres.
Nous tenons également à profiter de ces quelques mots pour mettre en évidence la difficulté qu'ont certains étudiants à subvenir à leurs besoins pendant cette longue période de stage. Ils n'ont que peu de possibilités de travail rémunéré, mais doivent néanmoins continuer à payer loyer, transports et repas... Certains endroits de stages rémunèrent leurs étudiants pour les gardes en guise de reconnaissance... Nous suggérons que tous les endroits de stages puissent offrir le logement et le couvert.
Au terme de ces 7 années, notre idéalisme premier s'est vu quelque peu altéré, surtout depuis notre contact avec la pratique médicale, qui nous a mis face à la réalité du métier.
Nous nous sommes engagés dans les études de médecine car nous savions que c'était un art, art de guérir les autres mais aussi de les écouter, de soulager leurs maux et leur âme.
Comprenez dès lors notre désarroi en discutant avec nos aînés lorsqu'ils nous font part de leur difficultés à gérer dans l'instant, les maux des autres.
Ce manque évident de temps génère des stress et un épuisement moral dont nous pâtissons nous-mêmes certes, mais que nous infligeons aussi à nos familles, à nos amis, nos collaborateurs, et incontestablement, à nos patients.
Peut-être qu'en essayant de créer du temps plutôt que d'attendre d'avoir le temps, pourrions-nous pallier ce stress pour un mieux-être, et une médecine qui ne pourra en être que plus humaine.
Dans la pratique, nos prédécesseurs ont pris conscience de l'importance du bien-être moral du médecin, et grâce à cela nous allons vers une médecine où l'épanouissement personnel prendra une place plus prépondérante, ce qui permettra de ne pas atteindre le seuil de la saturation physique et intellectuelle.
Par ailleurs, le changement s'impose comme une évidence. Un des exemples les plus représentatifs est sans nul doute la féminisation de la profession, par laquelle l'ordre des priorités se modifie, et ce tout naturellement.
Merci à tous de nous soutenir dans la voie du changement, car ainsi, ensemble, nous contribuons à l'amélioration des soins de santé.
Un petit mot sur la médecine générale, spécialité à part entière, où nous avons profité d'une des dernières années sans concours.
Alors que nous avons beaucoup parlé de changement et d'avenir, nous nous permettons de souligner un domaine où changement rime avec présent: au niveau de la formation, où les enseignants ont déjà abandonné l'idée du cours magistral pour travailler AVEC l'étudiant et être à son écoute. Cette formation permet déjà à plusieurs étudiants d'effectuer un stage en médecine générale, faisant dire à certains qu'il devrait être obligatoire pour tous.
Des changements au niveau de la profession également, où nous arrivons en pleine période d'évolution: la pratique de groupe se substitue à la pratique en solo, le travail administratif devient excessif, le nombre de médecins déjà insuffisant dans certaines régions de la Belgique, rend difficile la continuité des soins, tandis qu'une revalorisation de la médecine générale a du mal à se faire. Devant ces différents constats, il nous semble nécessaire de se réapproprier l'idée même de médecine générale et de dessiner, pour ce qui est devenu une spécialité, un projet riche de toutes ces évolutions.
Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons que reconnaître et apprécier l'enthousiasme des enseignants de médecine générale à nous mener vers ce métier plein de richesses.
Avant de clore, nous voulons saluer l'accueil et la disponibilité de certaines équipes soignantes, l'encouragement de certaines secrétaires... Un mot, un sourire, un regard sont souvent un immense réconfort dans les moments difficiles de nos études. Un sincère et respectueux merci également à tous ces malades
Souhaitons que durant les quelques 40 années à venir, lorsque nous pratiquerons avec conviction l'art de guérir, une phrase, un geste, un diagnostic, un traitement, nous remettent en mémoire les moments forts de ces années passées ensemble.
qui ont eu le courage de venir dans l'auditoire partager leur histoire avec 250 étudiants. Et enfin, chers étudiants, nous qui avons partagé de bons et de mauvais moments, certains cours, guindailles et sessions d'examens -et pourquoi pas ce discours- resteront des souvenirs marquants de notre vie.
Conclusion
Durant ces quelques minutes, nous avons partagé nos questions et nos angoisses de futur médecins. Comme le disait Georges Canguilhem : " Il revient au médecin de se représenter qu'il est un malade potentiel et qu'il n'est pas mieux assuré que ne le sont ses malades de réussir le cas échéant à substituer ses connaissances à son angoisse ".
Qu'est-ce que la fonction de soigner ? Vaste question dont nous ne détenons que quelques idées. Pour nous, loin de n'être qu'un assemblage de savoirs, elle est un fragile équilibre entre le penser et l'agir. Elle est la rencontre de deux logiques, celle de la science et celle du sujet. Nous croyons profondément qu'une médecine plus soucieuse de la dignité de chacun - que l'autre soit toujours considéré comme une fin et jamais simplement comme un moyen -, plus réflexive sur les conditions d'accès aux soins, prend ses sources dans un enseignement davantage ouvert sur ses questions. Nous partageons la reconnaissance internationale qu'a notre formation ; c'est parce que nous considérons qu'elle doit, pour le rester, sans cesse se remettre en question que nous avons soulevé ces quelques points.
Plus que jamais, il nous semble indispensable de nourrir notre pratique future d'une réflexion sur l'homme et la société. L'économie, pour ne pas dire l'ultra-libéralisme, prend chaque jour davantage d'importance dans notre pratique, reléguant parfois la question humaine, les enjeux éthiques à de simples détails. Puissions-nous contribuer à améliorer la médecine mais aussi à ce qu'elle insuffle davantage de respect de l'autre et de justice sociale.
Nous eûmes souhaité avoir du temps pour ne pas porter un regard exclusivement nombriliste sur la médecine d'ici, nous savons que la Belgique possède actuellement un des systèmes de soins les plus performant, tant en terme d'accès qu'en terme de qualité. Selon nous, seule une démarche critique et volontariste permettra de le pérenniser mais aussi de l'étendre à d'autres pays.
" L'art n'est ni le refus total, ni le consentement total " .
Cette phrase de Camus nous a inspiré le discours, comme un moyen d'ouvrir le débat dans le respect de nos différences et l'affirmation de nos convictions. Car nous souhaitons vivement que pensée et médecine ne soit pas l'avenir d'une illusion... !