Numéro 26 :

Promotion des médecins du 29 juin 2002

Discours du professeur D. Moulin, Doyen de la Faculté de Médecine UCL

 

Chers Promus,

Vous venez d’être promus au titre de docteur en médecine et d’obtenir le droit d’exercer l’art de guérir.  Vous venez de prêter le serment d’Hippocrate et de vous engager à mettre votre art au service de vos patients.  L’ensemble des membres de la faculté s’associe à moi pour vous adresser les plus chaleureuses félicitations et les vœux d’une vie professionnelle réussie et épanouissante.  Ces moments sont uniques dans votre vie et resteront inoubliables.  Je souhaite que la mémoire de cet événement soit régulièrement fêtée entre vous ; on ne partage pas sept années d’études et de vie estudiantine sans tisser des liens forts et précieux tant pour la vie professionnelle que pour la vie personnelle et je sais que vous voulez concilier l’une et l’autre.

Transportés par une énorme joie et une immense fierté toutes méritées, vous confirmez solennellement votre engagement dans la vocation médicale, celle de répondre à la demande d’aide et d’écoute des malades.  Les études de médecine sont un accomplissement personnel remarquable dont vous mesurez aujourd’hui tout le poids avec soulagement.  La pratique médicale a une dimension altruiste incontournable, elle est faite pour servir le patient et elle y trouve son sens véritable.  Dès le début de votre formation médicale vous avez franchi le seuil de la chambre du malade et de celle du mourant ; aujourd’hui vous vous engagez à pratiquer la médecine conformément à la science et à l’éthique que vos professeurs se sont efforcés de vous apprendre.  Vous avez décidé de vivre cette forme particulière de la solidarité humaine que constitue la médecine.

Cette séance solennelle de promotion est symbolique.  Vous êtes entourés de vos parents et de vos enseignants.  Les premiers vous ont appris le langage, les seconds la médecine.  Les mots désignant les choses vous ont été dits par ceux qui vous ont donné la vie, la pratique médicale vous a été enseignée par ceux qui l’exercent et l’ont exercé avec vous.  Vous avez bénéficié du pouvoir de la parole de vos aînés ; elle vous a éduqués, instruits, appris l’art de guérir.  A présent la parole vous est donnée.  Prendre la parole c’est naître à l’indépendance et à la responsabilité.  Vous en prenez et en voulez le risque non pas impunément mais parce que le langage puis la médecine vous permettent d’être vous-même dans une relation avec l’autre qui le fait vivre.  Elle vous permet plus particulièrement d’aider l’autre à vivre dans l’adversité de la maladie.

Donner naissance, c’est croire en l’aventure humaine.  Eduquer c’est confier l’avenir de cette aventure à ses enfants.  Apprendre et enseigner l’art de guérir c’est concrétiser la solidarité humaine.  La médecine en est une forme extrême puisqu’elle se pratique à l’égard des plus fragiles : les malades, les handicapés, les mourants.  Aujourd’hui vos aînés veulent vous manifester leur confiance.  Ils ne peuvent le faire sans considérer certains défis auxquels vous devrez faire face.  Comment changerez vous la pratique médicale dans ce monde qui change à un rythme accéléré ?

Vous allez connaître d’ici quelques années une réduction des ressources humaines pour la pratique médicale.  Le nombre des médecins sera réduit par le numerus clausus mis en place.  Conjointement vous avez l’intention de mieux équilibrer le temps dévolu à la vie professionnelle et à la vie personnelle et familiale.  La proportion croissante de femmes dans le corps médical sera à la fois l’obligation et l’occasion de ce changement.  Nos consœurs démontrent cette aptitude féminine à concilier avec doigté les vies familiales et professionnelles ; elles ne font fi ni de l’une ni de l’autre.  Les femmes ont mené au cours du siècle dernier un long combat pour l’obtention d’un rôle et d’une place dans les diverses professions et mandats de la société.  Elles nous ont montré que cela ne se fait pas par simple imitation ou reproduction à l’identique des inventions masculines ; elles y apportent leurs trouvailles et inventions.  Il appartiendra à votre génération de donner son plein essor à ces innovations.  Parmi celles-ci sera probablement nécessaire une accélération de l’évolution d’une pratique médicale individuelle encore prédominante en Communauté française de Belgique vers une pratique médicale de groupe.

L’accumulation extraordinaire des connaissances et des techniques depuis 50 ans a entraîné une grande diversité des pratiques médicales.  Celles-ci se sont créées dans une logique de spécialisation pour un service plus efficace du patient.  Une telle stratégie permet de potentialiser la diversité et la richesse des ressources humaines dans le corps médical.  La  spécialisation vers des pratiques plus générales ou plus spéciales a ses richesses, elle a aussi ses limites qu’il faut aborder non pas en les supprimant ou en les négligeant mais en les reconnaissant d’abord.  Elles obligent à repenser le rôle de chaque médecin à l’intérieur d’entités plus grandes qu’elles soient hospitalières ou extra hospitalières.  La complémentarité des diverses disciplines doit s’intensifier.  Cela ne passe pas principalement par la délimitation et la défense des territoires mais par la valorisation des rôles respectifs et indispensables de chacun.  Cela nécessite connaissance et reconnaissance, estime et confiance.  La confraternité médicale doit être revivifiée et repensée à la lumière de l’évolution des pratiques.  Les médecins doivent créer un mode de relation entre eux basé sur la potentialisation réciproque des dons et des moyens à mettre au service du patient.  Cette invention de nouvelles relations entre médecins nécessite des rencontres.  Si vous voulez vous ménager le temps pour la vie privée, il me semble indispensable d’en consacrer quelque peu à un débat sur la pratique médicale et le sens de celle-ci.  Je vous invite à prendre le risque de la parole et à mettre vos mots sur ces projets futurs.

Si le débat sur la pratique médicale et sur le sens de celle-ci est indispensable entre médecins, il est tout aussi nécessaire avec le grand public et les représentants de la société dont l’opinion et les projets doivent être tenus en compte.  Occupés par la pratique de leur art et par le développement de celui-ci les médecins ont trop négligé le débat public sur la pratique médicale et le vécu de celle-ci.  Ils ont considéré la pratique médicale comme un territoire qu’ils pouvaient seuls connaître et gérer.  Aujourd’hui le débat se réalise largement hors du corps médical.  Il a pour thème les droits des patients parmi lesquels le droit de mourir dans la dignité, la gestion des données personnelles et médicales parmi lesquelles l’utilisation des données génétiques, la responsabilité médicale, l’utilisation des cellules souches d’origine embryonnaire ou fétale, etc.  Ce débat se réalise dans les institutions politiques, dans les associations de consommateurs, de plus en plus souvent dans les cours de justice et aussi par le canal des mass media. Je ne parle pas ici de la curiosité et de la fascination exercée par la pratique médicale telle qu’elle s’étale faussement dans certains feuilletons télévisés mais du débat continu qui existe dans le grand public et parmi les mandataires politiques.  Ces débats les médecins doivent y participer de façon ouverte en prêtant une oreille attentive au citoyen qui est à la fois un consommateur de soins à respecter mais aussi ce patient potentiel animé de ses peurs et de ses craintes que génère chez chacun de nous la maladie.  Les médecins doivent participer à ces débats, moins dans l’attitude traditionnelle de défense des points de vue, que dans une stratégie de recherche d’une conception partagée de la pratique médicale.  Ce partage est nécessaire et sera la source de plus d’harmonie et de sérénité dans la pratique.  Ainsi en va t’il d’ailleurs du cheminement que réalisent le patient et son médecin dans l’élaboration des choix difficiles mais toujours concrets dans le face à face avec la maladie et le spectre de la mort.  Ce dialogue s’impose d’abord entre vous, il sera nécessaire tout au long de votre carrière.

Enfin, je voudrais évoquer comme autre défi à relever la problématique de l’exclusion sociale.  La médecine combat la mise à l’écart de la société des malades, des handicapés, des mourants.  Cela consiste non seulement à combattre les maladies elles-mêmes, mais aussi à  faire face, dans la rencontre thérapeutique, à chaque personne atteinte par la maladie.  Par leurs soins curatifs et palliatifs et par la qualité de leur relation avec leurs patients les médecins maintiennent ceux-ci dans la société, soutiennent leur dignité de personnes jusqu’à leur dernier souffle.
La mondialisation et notre richesse européenne occidentale attirent de nombreux pauvres dans nos pays.  La pauvreté est source de maladies parce que ceux qui en souffrent négligent leur santé faute de moyens.  Votre promotion devra faire face à cette population dans la ligne de la solidarité exprimée plus haut.  Au cours de cette année académique les anciens médecins de l’UCL rassemblé au sein de leur association  l’AMA UCL ont attribué le Prix Jean Sonnet 2002 au Docteur Pierre Hendrick.  Ils ont ainsi reconnu le travail de toute une équipe médicale qui consacre son art à la population des quartiers pauvres de Bruxelles.  Avec la complicité de l’AMA UCL vous avez invité le Dr Hendrick pour débattre de ces enjeux lors d’une soirée organisée par la Mémé.  Je vous en félicite et exprime tout mon encouragement à faire face à ces défis d’importance.  Je souhaite qu’il y ait parmi vous des médecins capables de faire face à toutes les misères humaines qu’elles soient liées à la pauvreté ou à la richesse.  La pratique médicale ne peut exclure personne, c’est un des engagements pris avec le serment d’Hippocrate.

Le moment présent est à la fois rempli d’un passé de jeunesse et d’études extrêmement riche et aussi porteur de votre avenir ouvert à toutes les possibilités et pour lequel les membres de la faculté vous déclarent leur confiance et tout l’espoir qu’ils mettent en vous.

Professeur D. MOULIN,
Doyen

 

AMA-UCL Association des Médecins Alumni de l'Université catholique de Louvain

Avenue Emmanuel Mounier 52, Bte B1.52.15, 1200 Bruxelles

Tél : 02/764 52 71 - Fax : 02/764 52 78