Promotion des médecins du 30 juin 2001
Discours du Professeur R. Krémer, Président de l'AMA-UCL
Dans les années qui viennent, vous allez être de plus en plus aidés dans votre pratique par les techniques dites multimédia dont les possibilités apparaissent dès à présent quasi illimitées. Vos dossiers seront informatisés, vous communiquerez par Email. Votre secrétaire sera aidée ou peut-être remplacée par un système de reconnaissance vocale, même si cette technique balbutie encore un peu. Vos diagnostics seront facilités par les informations qui se bousculent sur la toile et vos traitements orientés par les guides basés sur l’évidence clinique, héritée de Claude Bernard.
Tous ces moyens nouveaux sont efficaces et utiles, mais doivent être manipulés avec une particulière circonspection, plus encore en médecine que dans les autres professions. Il faut éviter l’évolution vers une médecine décharnée, déshumanisée, robotisée, passe-partout, ce que Jules Romains appelait une médecine de contremaître, si sophistiquée soit-elle.
Le dossier, informatisé ou non, est la mémoire des antécédents de nos patients, des résultats d’examens et des traitements prescrits : le temps que l’on peut espérer gagner par l’informatique doit être consacré à enrichir la relation humaine. Rien ne doit être négligé dans l’examen des malades : les expressions du visage, les gestes, la démarche, le langage. Quel est leur niveau intellectuel, quelles sont ses obsessions, ses désirs, ses craintes ? A-t-il le sens de l’humour ? Comment se comporte son entourage ? Des éléments secondaires peuvent avoir leur importance : l’haleine, l’odeur corporelle, l’habillement, la poignée de main, les silences, les tics, la voix …
François Rabelais brosse dans le prologue du quart livre un portrait du bon médecin : « la pratique médicale » dit-il « est un combat et une comédie qui se joue à 3 personnages : le malade, le médecin et la maladie » et plus loin « Le médecin doit bien s’habiller non pour se pavaner mais pour le gré du malade qu’il visite et auquel il veut plaire sans l’offenser, ni le fâcher » et il termine par cette remarque étonnante « L’esprit joyeux ou mélancolique est transfusé (sic) de la personne du médecin à celle du malade ».
Dans la relation médecin – malade, il importe de concilier le modèle dit « paternaliste », c’est-à-dire le principe de bienfaisance et de compassion, et le modèle dit « autonomiste » qui, au-delà du simple consentement, informe le patient et obtient sa participation aux décisions qui le concernent.
Les croisières sur Internet peuvent permettre au médecin de glaner rapidement un renseignement dans un domaine précis et à l’enseignant d’illustrer ses cours. Je pense toutefois que les sites, même interactifs, ne remplaceront pas, dans la formation, les manuels, les traités, les syllabi, les séminaires et les débats, mais ils les complèteront. Par ailleurs, comme des études récentes l’ont prouvé, beaucoup de sites médicaux fournissent des données incomplètes ou erronées, car sur le Net il n’y a pas de contrôle de qualité : tout peut être dit à propos de tout par n’importe qui. Par ailleurs, il est à craindre que comme aux USA – et selon la loi d’imitation décalée du meilleur et du pire – nos malades aillent chercher sur la toile des renseignements, des conseils et des traitements pour les problèmes qu’ils ont ou croient avoir – et cela avant de nous consulter, après nous avoir consultés ou même sans nous consulter … Ils risquent de rencontrer des charlatans, des escrocs et des docteurs Knok.
Prenons un exemple dans un domaine sensible. Les obèses peuvent se procurer sur le Net sans prescription médicale des inhibiteurs de l’appétit, des amphétamines ou des hormones thyroïdiennes ou encore entrer en contact avec des spécialistes de la chirurgie bariatrique, c’est-à-dire la restriction gastrique entre autres. Ces sites sont parfois odieusement racoleurs, illustrés de photos spectaculaires et de témoignages enthousiastes ; l’adresse du chirurgien est vantée et ses brillants résultats étalés. A partir d’un questionnaire tendancieux, le patient peut obtenir un score qui en fait facilement un candidat potentiel à cette chirurgie.
Ce sera au médecin de dénoncer ces abus et de mettre ses patients en garde car cette médecine sur le Net risque de se répandre chez nous, nos compatriotes branchés étant de plus en plus nombreux.
Méfions-nous également des diagnostics automatisés et des traitements stéréotypés : les guidelines basés sur les évidences cliniques ne sont pas des dogmes. Ils ont été établis à partir de populations sélectionnées et ne s’appliquent pas toujours à vos malades souvent porteurs de pathologies multiples et qui ont notamment des réactions imprévisibles vis-à-vis des médicaments.
Il n’y a pas de recettes infaillibles et par conséquent pas de bonne médecine sans solides connaissances, sans bon sens et sans esprit critique.
Une formation continuée est également indispensable tout au long de votre future carrière et qui peut mieux vous assurer cette formation que votre université et vos professeurs ?
Vous êtes nos plus jeunes anciens : nous vous accueillons parmi nous et nous vous souhaitons une carrière fructueuse au service de vos malades. Nous espérons vous revoir fidèlement à l’AMA-UCL, c’est-à-dire à l’Association des Médecins Anciens Etudiants de l’UCL, et à l’ECU-UCL, c’est-à-dire l’Enseignement Continu post-universitaire.
Soyez fidèles à votre université : elle vous le rendra. Votre métier est l’un des rares où vous pourrez toujours faire aux autres ce que vous voudriez qu’on vous fasse.
René Krémer
Président de l'AMA-UCL