Promotion des médecins de juin 1999

Discours du Professeur R. Krémer, Président de l'AMA-UCL

 

Chers amis,
Chers confrères et consœurs,
Chers anciens,

La médecine que vous allez vivre au cours du siècle prochain promet d'être exaltante, grâce aux progrès prévisibles, à l'accès quasi illimité à l'information et à une recherche qui vous permettra de plus en plus de baser votre action sur des évidences. Les applications de la biologie moléculaire et de la génétique vont se multiplier. Les techniques de pointe qui font la fierté de la médecine actuelle, telles la chirurgie coronaire, la chimiothérapie du cancer, les transplantations d'organes, vous paraîtront peut-être dans quelques dizaines d'années, aussi désuètes que la physiologie de Pavlov, la chirurgie d'Ambroise Paré ou la médecine de Laennec.

Toutefois, la médecine devra rester plus qu'une science et le praticien devra toujours concilier au quotidien la science et l'art, ses connaissances et son jugement.

En 1871, George Eliot a bien précisé cet aspect particulier de la médecine : la profession médicale, dit-elle, peut être la plus belle du monde si elle est un échange parfait entre science et art, une alliance directe entre le concept intellectuel et le bien social. La science médicale actuelle risque de dériver vers un scientisme pur et dur. Cette crainte a été exprimée par Jules Romains qui nous rappelle que l'homme est d'une complexité inépuisable et d'une diversité imprévisible et nous met en garde contre une médecine de contremaître.

Le siècle prochain doit être celui d'une complémentarité harmonieuse entre une science médicale prodigieuse et des équipes de médecins soucieux du malade, être unique et complexe, dont la qualité de vie doit être préservée au cours des étapes du diagnostic et du traitement.

Selon l'Organisation Mondiale de la Santé, d'ailleurs, la santé n'est pas seulement l'absence de maladie ou d'infirmité, mais aussi un état de bien-être physique, mental et social. Le diagnostic ne doit pas s'afficher sur l'écran d’un ordinateur dans lequel on a introduit pêle-mêle les résultats d'une kyrielle d'analyses et d'examens techniques prescrits selon un procédé proche du bombardement en tapis.

Le diagnostic doit être l'aboutissement d'une démarche raisonnée dont les étapes se succèdent dans un ordre logique : interrogatoire minutieux, examen clinique soigneux, ordonné et complet, hypothèses diagnostiques suivies si nécessaire d'investigations paracliniques ciblées. Ce cheminement s'effectuera d'autant mieux que le médecin connaît son patient, son passé, son caractère, anxieux, fanfaron ou négligent, qu'il l'a déjà soigné antérieurement et qu'il peut par exemple lui dire : vous avez la mémoire courte, vous m'avez déjà décrit ce symptôme il y a quelques années. Il n'est pas bon médecin celui qui interroge à peine, ne permet guère au malade de s'exprimer, l'examine à la hâte, suit une première impression et s'empresse de prescrire un traitement symptomatique et des investigations parfois sophistiquées, toujours coûteuses, parfois non dépourvues de désagréments et même de risques. On peut penser que si la sécurité sociale valorisait mieux l'acte intellectuel, le médecin serait encouragé à passer plus de temps aux premières étapes du diagnostic, pour le plus grand bien du malade et de la sécurité sociale.

La prescription des médicaments est un exercice difficile, qui exige pas mal de connaissances, d'expérience et de bon sens. Il faut tenir compte du passé du malade, des intolérances, des interactions, des autres pathologies éventuelles et également du coût tant pour le patient que pour la société. Les grandes études cliniques sont parfois contradictoires, toujours difficiles à comparer. Les données concernent le plus souvent une population sélectionnée avec une limite d'âge et l'exclusion des pathologies associées. Elles ne prennent généralement pas en considération le coût, les abandons de traitement, les interactions médicamenteuses, l'accoutumance et la qualité de vie.

Montaigne avait pressenti les difficultés et les écueils de la prescription : "les médecins nous persuadent" dit-il "que de leurs ingrédients celui-ci échauffera l'estomac, cet autre rafraîchira le foie, l'un se charge d'aller droit aux reins, l'autre asséchera le cerveau, celui-là humectera le poumon… je crains infiniment que ces drogues mixées en breuvage perdissent ou échangeassent leurs étiquettes et troublassent leurs quartiers."  Ce texte de Montaigne pourrait s'appliquer de nos jours, par exemple aux médicaments conseillés après un infarctus du myocarde, et l'on pourrait dire : "ce médicament diminue l'agrégation plaquettaire, cet autre prévient les arythmies, l'un est chargé de mettre le cœur au repos et de ralentir son rythme, l'autre prévient la déformation du ventricule, celui-là fait baisser le taux du cholestérol, ce dernier dilate les artères. Je crains que ces drogues mêlées cumulent leurs effets tant bénéfiques que non désirés, ou agissent en des sens opposés."

La qualité de vie est une notion relative, individuelle, qui échappe à la quantification et à la systématisation mais qui doit être la préoccupation constante du médecin. La meilleure façon de tenir compte et d'évaluer la qualité de vie est le colloque singulier avec le patient et son entourage, sans que certains domaines soient considérés comme tabous ou que des détails soient estimés négligeables ou futiles. Il ne faut pas craindre d'aborder le problème de l'acné des jeunes filles, des rides de la dame mûrissante, des fiascos du Don
Juan amateur, les pertes de mémoire et la constipation du grand-père, les affres du malade imaginaire. Le médecin doit rester l'ami, le confident, s'intéresser aux goûts, aux activités et aux désirs et s'efforcer d'améliorer la qualité de vie, c'est-à-dire de réduire le fossé entre attente et résultat, entre rêve et réalité.

En bref, dans les années qui viennent, vous devrez être vigilant pour que, malgré les progrès de la science et l'accès aux connaissances, la pratique médicale fasse toujours appel au bon sens et aux qualités d'observation et de discernement et que le malade, dans son caractère unique et complexe, reste au centre des préoccupations et des débats.

René Krémer
Président de l'AMA-UCL 

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