Promotion des médecins du 28 juin 1997
Discours du Professeur R. Krémer, Président de l'AMA-UCL
En ce jour sont couronnées les années d'études et de combats au cours desquelles vous êtes devenus non seulement docteurs en médecine, mais aussi adultes et citoyens et, pour nombre d'entre vous, époux et même chargés de famille; c'est aussi l'occasion d'associer à la fête vos parents et vos conjoints dont le mérite fut grand et aussi vos maîtres qui, s'ils vous ont parfois parus lointains et exigeants, se sont néanmoins efforcés de vous apprendre au mieux le métier que vous avez choisi.
Vous pouvez logiquement vous demander si le plus dur ne reste pas à faire, et si aujourd'hui vous ne faites pas que franchir les éliminatoires d'une compétition à l'échelle européenne. Il est vrai que le diplôme n'est plus une fin en soi et qu'en ces temps difficiles, l'avenir d'un médecin n'est pas tracé d'avance.
Permettez quelques réflexions à un ancien qui a connu les temps faciles de l'après-guerre, les progrès parfois chaotiques de la médecine, l'explosion technologique et l'avènement de la médecine sociale, actuellement en situation périlleuse.
Les problèmes actuels sont multiples et susceptibles de conduire à des dérives dangereuses, mais il y a des remèdes et il faut y croire !
La pléthore médicale pourrait entraîner les jeunes médecins à accepter des compromissions, à se soumettre trop docilement aux ukases étatiques et à se tourner vers des médecines dites parallèles et vers des pratiques empiriques.
Par ailleurs, la croissance exponentielle des coûts met en péril les finances de l'assurance-maladie. Le déficit est aggravé par des habitudes de surconsommation prises au cours des années d'or, insouciantes, et amène l'état, conseillé par ses technocrates, à réduire le remboursement des prestations, à accroître la participation financière des malades et à contrôler de plus en plus étroitement les dépenses et notamment l'activité médicale.
Il faut éviter à tout prix l'évolution vers une médecine à deux vitesses, fracturée, l'une gratuite, réglementée, parcimonieuse, avec des choix restreints et des listes d'attente, l'autre payante, libre, ouverte à toutes les innovations.
Enfin, la médecine progresse, se complique sans cesse et fait appel à des connaissances nouvelles et à d'autres sciences, telles que la génétique, la biologie moléculaire, l'immunologie, l'informatique... Il sera de plus en plus difficile aux médecins de rester informés et compétents.
La solution de ces problèmes ne dépend certes pas que de vous, mais vous pouvez et devez y jouer un rôle important. Les dépenses de l'assurance-maladie sont en partie sous le contrôle des médecins : l'argent est celui de la collectivité, l'enjeu est la santé des belges. Les choix coût-bénéfice des méthodes de diagnostic et de traitement nous appartiennent : il faut entendre coût pour la société et bénéfice pour le malade.
Ne nous bornons pas à critiquer, à réclamer, à défendre pied à pied des privilèges dépassés et à permettre ainsi à l'état de nous diviser, de dresser les malades contre les médecins et les médecins les uns contre les autres.
Nous devons veiller à ne pas répéter inutilement les examens, à ne pas multiplier ou prolonger les séjours hospitaliers, à ne prescrire que les médicaments nécessaires et parmi ceux-ci à choisir, à efficacité égale, les moins coûteux. Enfin des conseils diététiques et d'hygiène de vie, une information patiente et claire peuvent parfois remplacer des traitements onéreux.
Il ne faut pas négliger la médecine préventive, dont la répercussion socio-économique peut être considérable, et s'inquiéter des problèmes familiaux, sociaux, financiers et de la qualité de vie des malades qui se confient à nous.
S'unir est une nécessité, mais il ne s'agit pas d'une union corporatiste ou syndicaliste, mais d'une complémentarité de tous les acteurs de la santé, de ceux que l'INAMI, dans son jargon désincarné, nomme les prestataires de soins : infirmières, kinésithérapeutes, psychologues, logopèdes, diététiciens... Omnipraticiens et spécialistes sont des partenaires et non des rivaux. Le médecin généraliste devrait avoir sa place à l'hôpital, comme cela fut dit lors d'un des débats que nous avons organisés avec les étudiants de doctorat; le généraliste à l'hôpital doit défendre le concept d'approche globale du patient, assurer le relais avec le médecin traitant et la famille et en fait, contribuer à humaniser l'hôpital.
L'organisation de l'équipe médicale peut prendre des formes diverses, maisons médicales, polycliniques spécialisées, coordination des soins, mais l'important est que le médecin ne travaille pas seul.
La dernière réflexion que j'aimerais faire concerne l'obligation d'une mise à jour des connaissances et des techniques médicales, d'une information et d'une formation continue post-graduée. Cet enseignement doit être confié aux écoles de médecine qui se doivent de garder le contact avec les médecins qu'elles ont formés. La formation continue doit être la tâche des universités et non celle de l'état, des organisations professionnelles, de réseaux internationaux informatisés ou de firmes pharmaceutiques, bien que ces organismes puissent chacun apporter une aide à la formation continue.
Chers confrères et consœurs, chers amis, vous voilà devenus les principaux acteurs de la santé, c'est là une lourde responsabilité, mais une tâche exaltante; vous voilà aussi anciens de notre Alma Mater et futurs élèves de son enseignement continu. Soyez les bienvenus dans le monde de la médecine. Malgré les échecs, les imperfections, les incertitudes et les dérives, vous avez
choisi le plus beau métier du monde.
Un dernier conseil : faites pour vos malades ce que vous voudriez que l'on fasse pour vous quand vous serez malades. Votre devise : " Mon patient d'abord ! "
René Krémer
Président de l'AMA-UCL