Numéro 62 :

On ne pleure pas lorsqu'on est vraiment triste

David J. Holcombe (traduction : R. Krémer)

 

Le docteur David Holcombe, né à San Francisco en 1949, est diplômé de l’UCL avec grande distinction, en 1981, et a travaillé en médecine générale à Bruxelles, de 1981 à 1983 1.  Outre la médecine, David Holcombe a de nombreuses activités, notamment la peinture et la littérature ;  nous publions une nouvelle qui ne manque pas d’intérêt.

 

« Nous n’avons pas le budget » dit Monsieur Cook.
Miss Hamilton était assise en face du bureau massif.  La jupe à mi-cuisse, qu’elle avait achetée lors de son dernier voyage à Paris, ne cachait qu’une partie de sa jambe gauche atrophiée.  « Il est clair que vous avez des problèmes budgétaires, Mr Cook » dit-elle « mais ceci concerne l’éducation. »  Elle scruta la figure allongée de Mr Cook, y cherchant en vain le moindre signe d’émotion ou d’empathie.  « Nous avons cette année un groupe d’étudiants exceptionnel, qui méritent le meilleur niveau d’enseignement possible, le meilleur équipement  et les meilleures méthodes. »
« Un labo de langues ?  Vous parlez de centaines de milliers de dollars, d’un local séparé et d’une technique qui change tous les ans. »  Une pause.  « Claire, puis-je vous appeler Claire ? »
« Non. »   Elle le vit se renfrogner.
« Miss Hamilton, personne ne conteste que vous soyez un professeur de français d’une qualité exceptionnelle, une véritable valeur pour le staff de Pear Valley High, mais je dois être catégorique.  Il n’y aura pas de labo de langue au moins au budget de cette année. »
Claire consulta sa montre : « Excusez-moi, Mr Cook, je dois retourner dans ma classe.  Merci beaucoup d’avoir pris de votre temps. »  Elle se leva et Mr Cook fit de même.
« Au revoir mademoiselle. » 2
« Au revoir monsieur. »

Claire descendit le couloir d’un pas aussi assuré que possible.  Elle maudissait le virus de la polio qui avait rendu sa jambe gauche plus courte que la droite.  Elle essayait de corriger sa position, mais il lui était impossible de cacher son infirmité , même pour l’observateur le moins attentif.  Elle pénétra dans la classe et jeta un regard circulaire sur les visages interrogateurs des adolescents.  Ces enfants étaient sa fierté et sa joie, une classe de 5ème entière de français, avec une passion partagée pour cette langue ; elle l’espérait tout au moins.

Elle se dirigea vers le bureau couvert de papiers impeccablement rangés ; devoirs, questionnaires et exercices écrits, plus une statuette de l’arc de triomphe en métal.
« Bonjour tout le monde. »
« Bonjour mademoiselle. »
« Aujourd’hui, nous commençons par une discussion de « L’étranger ».  Je présume que vous avez tous lu le livre. »

Elle scruta les 14 visages, pour voir si l’un ou l’autre avouait ne pas avoir lu le roman de Camus, qui leur avait été assigné.
Elle adorait le livre, typiquement français, le thème d’un personnage si spécial et beaucoup plus accessible que Jean-Paul Sartre.  « D’abord, pensez-vous que l’accusé a été condamné à mort pour le meurtre d’un Arabe ?  Après tout, à l’époque, la situation des Algériens arabes était à peu près celle des noirs dans le sud des Etats-Unis : c’était des citoyens de seconde classe. »
Un silence suivit.  Claire était certaine qu’ils avaient compris la question.  Depuis deux ans, elle avait parlé uniquement français avec ce groupe d’étudiants.  Elle fixa les regards anxieux des élèves.
« Vous comprenez la question ? »  Tous acquiescèrent.
« Et vous, Monsieur ? »   Elle regardait Daniel en face.  C’était le seul jeune garçon de la classe, elle l’appelait monsieur sans craindre l’ambiguïté.
« Parce qu’il n’a pas pleuré quand sa mère est morte. » 
Claire sourit.  Avait-il réellement compris ?
« Ca semble si peu de chose.  Sa mère était déjà très vieille et prête à mourir de toute façon.  Comment une chose si anodine a-t-elle pu convaincre les membres du jury qu’il méritait la peine de mort ? »
Elle se tourna vers les 13 élèves féminines : « Quelqu’un d’autre que Daniel cette fois. »
Françoise – Patty Clarke en dehors de la classe de français – ouvrit grand ses yeux très sombres et leva le doigt : « Parce que les membres du jury prenaient son absence de larmes comme la preuve d’un manque d’émotion et qu’il était dès lors capable de tuer l’Arabe de sang-froid. »
« Excellent. »  Sang-froid.   Il n’a pas pleuré, il n’avait pas de sentiment et était donc capable de tuer de sang-froid.  Elle avait compris…
« Et comment a-t-il justifié son manque d’émotion aux funérailles de sa mère ? »
Claire songea à la mort de sa propre mère et au mélange secret de chagrin et de délivrance, lorsque la vieille dame était enfin morte après des années de souffrance.  Elle n’avait pas pleuré non plus, mais aucun de ces adolescents ne le savait.  Comment auraient-ils pu l’imaginer ?
Daniel leva la main d’un geste rapide et discret.
« Oui, monsieur ? »
« Il a dit lui-même qu’on ne pleure pas quand on est vraiment triste. »

Elle porta son regard sur le jeune visage, pratiquement imberbe, qui gardait les courbes de la jeunesse, mais remplacées petit à petit par l’aspect plus angulaire de l’âge adulte.  Quel âge à la fois excitant et terrible !
« Que pensez-vous, vous autres ?  Daniel a-t-il raison ou pas ?  Est-ce possible qu’on ne pleure pas quand on est vraiment triste ? »  Elle observait les visages de la gent féminine. Mais son regard, comme poussé par un magnétisme mystérieux, se reporta sur Daniel.
« Pensez-vous, Monsieur, que c’est possible ? »
« Oui, c’est possible »
répondit-il.
« Prenez une feuille de papier et écrivez une dissertation sur le thème de la culpabilité du personnage principal de « L’étranger » et dites-nous pourquoi Albert Camus a choisi ce titre.»   Elle perçut des murmures. « Vous serez également coté pour la grammaire et l’orthographe. »
Les élèves prirent leurs feuilles et commencèrent à écrire.  Claire se plongea dans un prospectus d’informations sur son prochain voyage à Paris : les horaires des vols, la réservation du charmant hôtel dans le 5ème arrondissement.  Elle voyait déjà, la classe d’élèves français et leur regard ennuyé et décontracté.
La cloche sonna : un par un les élèves vinrent déposer leur essai sur le bureau de Claire. Daniel était le dernier.
« J’espère que je ne perdrai pas trop de points à cause de l’orthographe. »
« Nous verrons ». 
Daniel ne s’éloignait pas.  Claire était à la fois, gênée et intriguée.
« Vous avez encore quelque chose à dire ? »
Daniel prit un siège à l’avant de la classe, le plus proche du bureau de Claire.
« Mademoiselle, parfois je sens la même chose que le monsieur dans « l’étranger » je me sens un peu à l’écart des autres. »
« Comment ?  Pourquoi ? »
« Pour tout.  Mes parents veulent que je devienne ingénieur, comme mon père.  Et je suis très bon en mathématiques.  Mais j’adore le français et la magie de parler une langue étrangère. Vous comprenez, mademoiselle ? »

Son air était sérieux.  Il était jeune, intelligent et avenant.  Elle était âgée, avec un visage banal et un corps déformé.  Sa jeunesse studieuse et bien organisée s’étalait devant elle, maintenant qu’elle avait atteint le vieillissement inéluctable.  Elle perçut l’angoisse dans le regard de Daniel et son problème sous la belle surface.  Elle aurait voulu aller vers lui, lui prendre la main et lui dire qu’il triompherait, même si sa vie devait le mener dans des chemins douloureux et inattendus.  Elle sourit : «  Nous sommes tous des étrangers, Monsieur.  Il n’y a que les chanceux qui s’en rendent compte. »
« Chanceux ? »

«  Oui » répéta-t-elle «  chanceux. »

Cette nuit là, Claire prépara la dernière tranche de la pièce de viande de la semaine.  Elle lut quelques chapitres de « cent ans de solitude » avant de prendre une douche.  En essuyant son  sein droit, elle sentit une zone indurée inhabituelle.  Elle acheva de se sécher.  La vue de son corps malingre, qui se reflétait dans la glace, la remplit d’une tristesse infinie.  La polio n’était-elle pas une croix à porter suffisante.
Elle palpa son sein droit d’un mouvement circulaire.  La masse indurée roulait sous ses doigts.
Aucun doute.  C’était quelque chose d’anormal.

Assise dans la salle d’attente du médecin, elle parcourait  des photos encadrées de Paris, alignées sur les murs.  Elle reconnut le Louvre, le Sacré-Cœur, Notre Dame et la Tour Eiffel.  Elle se demandait pourquoi le docteur Pritchard possédait ces reproductions, mais ces images d’un pays et d’un peuple qu’elle admirait la rassuraient.  Sans raison apparente, sa pensée la ramena à Daniel et Camus.  Elle aussi se sentait étrangère, une étrangère dans son propre pays.  Tout comme elle désirait partager son amour de la langue, ne désirait-elle pas que Daniel partage son propre sentiment d’éloignement.

«  Miss Hamilton ? »   Le docteur Pritchard se tenait devant la porte.  C’était une dame, de quelques années plus âgée que Claire ; ses cheveux blancs et le chignon serré la vieillissaient. Claire se leva et suivit le docteur dans la salle d’examen.
« Comment vous sentez-vous aujourd’hui, Miss Hamilton ? »
«  Bien, docteur Pritchard, je me sens bien, mais j’ai une grosseur dans le sein gauche. »
« Depuis longtemps ? »
«  Je ne sais pas. »
Le Docteur Pritchard, lui tendit une fine chemise en papier bleu.
« Passez ceci, s’il vous plait.  De quand date votre dernière mammographie ? »
« Il y a trois ans. » répondit Claire en se déshabillant derrière un rideau.  La chemise légère lui donnait l’impression d’être nue.  « L’ouverture devant ou dans le dos ? »
« Dans le dos. »
Elle écarta le rideau et vint s’asseoir sur la table d’examen.  Le docteur la palpa partout, y compris le sein gauche.  Elle pressait les doigts sur la lésion et la faisait tourner, d’une façon qui semblait à Claire, presque sexuelle.
«  Vous n’avez aucune idée depuis quand c’est là ? »
« Non.  Je l’ai découvert la semaine dernière, mais c’était peut-être là depuis des mois. »
Le docteur prit quelques notes dans le dossier, puis lui tendit une feuille de papier.
« C’est une prescription pour une mammographie.  Vous avez une lésion suspecte, Miss Hamilton.  Avant la mammographie et probablement la biopsie, je ne puis rien affirmer.  Je serais surprise si ce n’était pas un cancer. »
« Un cancer ? »
« Oui » dit le docteur en hochant la tête « un cancer. »
Claire savait ce que signifiait ce mot, si pas ce qu’il impliquait.  Elle chercha en vain une question pertinente à poser, concernant sa lésion.
«  Je me suis souvent demandé pourquoi ces photographies de Paris dans votre salle d’attente, mais je n’avais jamais eu l’occasion de vous poser la question. »
Le docteur posa le dossier sur le bureau : « J’ai rencontré mon ex mari à Paris : c’est lui qui a pris ces photos.  Je n’ai pas encore eu le temps de les enlever.  Je suppose que je suis toujours sentimentalement attachée à ces photos. »   

Rentrée à la maison, Claire regarda ses propres photos de Paris, différentes de celles du cabinet du docteur Pritchard.  Au fond d’elle-même, elle connaissait déjà le diagnostic. Comme le docteur l’avait dit, c’était un cancer.  Sa seule incertitude, c’était les douleurs et les mutilations qu’elle aurait à endurer.  Elle voyait déjà son corps amaigri, étendu dans la même maison funéraire que sa mère.

De la pile de copies, qu’elle devait coter, elle sortit celle de Daniel :
« Chaque personne, surtout les gens avec tendances artistiques sont condamnés à rester un peu à l’écart du monde.  Ils ont la chance d’avoir une vision d’eux-mêmes et une vision des autres.  Ils restent suspendus entre les mondes, à la fois des observateurs et des participants. »
Claire fut envahie d’une sensation mal définie de manque, de chagrin, d’un vide sans limite, que le temps ne pourrait jamais remplir, même si elle vivait une centaine d’années.  Bien sûr elle ne vivrait pas cent ans. Elle en était certaine.

La semaine suivante, Claire retourna au bureau de Mr Cook.  Elle s’assit sur la chaise réservée aux hôtes sans y avoir été invitée.  « Je voudrais que vous m’assuriez que, si l’argent est disponible, vous le consacriez à un laboratoire de langue »
« Quel argent ? »
«  Je ne peux répondre à cette question en ce moment.  Je souhaiterais toutefois un engagement écrit. »  Elle lui tendit une feuille préparée pour la signature.
Il l’a dévisagea avec surprise.  Il lut le papier : « Si Pearl Valley High disposait des fonds nécessaires, un laboratoire de langue sera installé en accord avec le présent document. »
« Je dois faire légaliser ce papier, Miss Hamilton. »
«  Comme vous voulez, Mr Cook, mais je voudrais votre signature avant la prochaine session d’été. »
Dans la salle de classe, les 14 élèves étaient installés.
« Bonjour. »
« Bonjour mademoiselle. »

Elle leur rendit leurs commentaires sur Camus.  Chacun avait exprimé son sentiment.
« Il y a deux notes sur chaque papier, une pour les idées et une autre pour la grammaire et l’orthographe. »
Elle rendit sa feuille à Daniel.  « Dix-neuf sur vingt pour les idées, mais seulement seize sur vingt pour la grammaire et l’orthographe. »
Après avoir distribué les feuilles, elle regagna son bureau.  « Je suis fière de vous tous.  Je n’ai pas eu le privilège d’avoir mes propres enfants, mais je vous considère comme les miens.  Ce que vous ferez avec le français dans votre vie dépendra de chacun de vous.  Mais je prends cette opportunité pour vous féliciter pour votre incroyable progrès durant nos années ensemble.  Je suis tellement fière de vous tous sans exception. »
Elle parcourut les élèves du regard, s’efforçant d’imaginer, mais en vain, la façon dont ces jeunes bénéficieraient de leur connaissance linguistique.  Leurs visages reflétaient l’émotion de ces louanges inattendues.
« Maintenant, commençons une révision du passé simple. »


Mont Diablo, peint par david Holcombe

Claire  regardait par la fenêtre de l’hôpital le grand Mont Diablo 3 dans le lointain. Il semblait trembler dans la lumière vive qui faisait pâlir les pentes dorées.  Elle laissa tomber sur le lit le livre qu’elle lisait : c’était «  La peste ».  Elle n’avait plus la force de le tenir en main.  Une solution d’un liquide jaune coulait goutte à goutte dans son bras.  Sa couleur évoquait celle des collines voisines, mais était moins naturelle.
Son regard se portait des gouttes jaunes aux pentes jaunes.  Mystérieusement, la vie ne semblait pas couler en elle de cette solution toxique, mais de la montagne lointaine.  Elle ferma les yeux et imagina les Champs Elysées animés par les promeneurs.  De temps en temps, l’un d’entre eux la regardait, plus curieux qu’hostile et elle se demandait si c’était un Français ou quelque touriste étranger.  Avec leurs vêtements, banals, couleur de terre, et leurs écharpes de Gucci, comment pouvait-elle savoir.  Même pour la serveuse, c’était difficile. Pourtant l’accent parisien était évident, maitrisé depuis de nombreuses années.
On frappa à la porte.  Elle revint brutalement à son état présent et sa mort proche.
« Puis-je entrer mademoiselle ? »
Elle reconnut Daniel, tenant une carte dans une main et un bouquet de fleurs dans l’autre.
« Bien sûr, Monsieur. »
Il entra et se tint attentif auprès du lit.
« Assieds-toi, je t’en prie »
Il s’assit au bord d’une chaise destinée aux visiteurs et parcourut la chambre du regard.  Elle le vit s’attarder sur le sinistre liquide jaune.
« La chimiothérapie.  C’est hautement toxique, malheureusement. »
« Pourquoi ils vous la donnent, si c’est toxique ? »

Elle ne savait que dire.  Elle supposait qu’ils espéraient tuer plus de tissus du cancer que de son propre corps.  Ils voulaient prolonger sa vie de quelques jours, de quelques heures, de quelques minutes, si cela en valait la peine.  « Franchement, je ne sais pas.  Je suppose que le docteur peut vous donner une meilleure explication. »
Comme s’il se rappelait subitement le but de sa visite, Daniel se leva et tendit la carte et les fleurs.  « La carte est signée par toute la classe, sauf Marie qui est en vacances.  Nous étions tous très tristes d’apprendre que vous étiez si gravement malade. »
Gravement malade.  Oui, très malade, pensait-elle.  « J’ai essayé de vous épargner les nouvelles.  Comme vous savez, je suis une personne très réservée. »
Elle vit la détresse dans les yeux bleus de Daniel.
« Vous préférez que je parte ? »
Elle leva la main : « Non, bien sûr.  Je suis très émue que tu sois venu. »
Ni Daniel, ni elle ne purent se retenir.  Elle voyait ses larmes et se sentait admirée, peut être aimée.  Sa propre retenue, entretenue depuis longtemps, semblait fondre, tandis que liquide toxique coulait goutte à goutte.
Elle ne put résister.  Elle laissa couler ses larmes plus vite que les gouttes jaunes.  Après un long silence, elle s’éclaircit la gorge et se tourna vers la montagne magnifique et indifférente.
Ses yeux rougis se fixèrent ensuite sur Daniel.  Elle étendit ses maigres bras : il vint vers elle et la prit dans ses bras.
« Nous sommes tous si désolés mademoiselle. »

Elle se reprit : « Ca suffit Daniel.  Vous êtes trop grand pour pleurer. »
Il recula et s’essuya le visage, tenant toujours les fleurs.  Il les tendit vers elle.
Daniel retourna s’asseoir : ils gardèrent un silence étrange.  Claire prit une lettre cachetée dans la table de nuit et la tendit à Daniel : « C’est à ouvrir après que je serai morte.  Il faut la donner à Monsieur Cook.  Tu me promets ? »  Daniel prit la lettre.  « Puis-je te demander quelque chose de plus ? »  Il tenait la lettre sur sa poitrine.
« N’importe quoi. »
«  Je désire que mes cendres soient jetées dans le vent, du haut du Mount Diablo.  Je sais que c’est beaucoup demander à quelqu’un qui n’est même pas de ma famille. »
« Je le ferai mademoiselle. »
« Si possible, c’est quelque chose que vous devez faire ensemble : toute la classe de français. » 
Elle lui tendit une seconde lettre : « Cette lettre est l’autorisation de demander mes cendres aux pompes funèbres. »
Daniel prit la seconde lettre et les serra toutes les deux sur la poitrine.  Elle savait que c’était beaucoup demander, surtout à un jeune étudiant.  « Et une dernière demande. »  Daniel écarquilla les yeux.  Elle savait qu’il était dépassé par la situation.  Sa connaissance du français dépassait de beaucoup son expérience de la vie.  Elle espérait que ses expériences seraient longues et riches et que peut-être se souviendrait-il d’elle affectueusement lorsqu’il regarderait le Mont Diablo, ou lorsqu’il parlerait français ou encore en sirotant un café au lait, attablé aux Champs Elysées.
« Bien sûr, mademoiselle.  N’importe quoi. »
« Quand vous serez ensemble, toi et les autres de la classe et que vous jetterez mes cendres dans le vent, ne pleurez pas, s’il vous plait. »

Elle regardait la lettre qu’il tenait dans ses mains tremblantes. « Tu sais pourquoi ?  Dis-le moi. »
«  Parce qu’on ne pleure pas, lorsqu’on est vraiment triste. » 
Elle ferma les yeux.  « Merci, Monsieur.  Maintenant je peux me reposer un peu. »
Elle l’entendit murmurer : « Au revoir mademoiselle. »  Elle entendit se refermer la porte : elle savait qu’il ferait ce qu’elle lui avait demandé.
« Adieu, Daniel. » dit-elle dans la chambre vide « Adieu et merci. »

  1. De plus amples détails sur la vie de notre confrère américain paraitront dans le cadre d’un interview dans un prochain AMA Contacts.
  2. Les passages en italique sont en français dans le texte.  Les tournures anglo-saxonnes ont été respectées dans la mesure du possible.
  3. Montagne située dans la baie de San Francisco.

 

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