Allocutions de Monsieur Philippe Levêque, président du Corps scientifique (Corsci)

" Un niveau élevé dans la formation, la recherche et la technologie, représente une condition impérative si l’on veut atteindre les objectifs fixés en terme de prospérité, de compétitivité, d’égalité des chances, et de diversité culturelle. […]
Malgré une situation budgétaire tendue, qui implique évidemment la réalisation d’économies, on attend d’un gouvernement qu’il ait une réflexion à moyen et à long terme. Certains investissements doivent être faits même dans un contexte budgétaire difficile. "
Mesdames et Messieurs, ces propos volontaires ne sont pas les miens, mais ceux tenus devant la presse en avril dernier par Madame la conseillère fédérale Ruth Dreyfuss, c’est-à-dire la ministre suisse de l’intérieur.
S’appuyant sur cette analyse, la conseillère fédérale annonçait, pour cet automne, un plan d’investissement massif dans le domaine de la formation, de la recherche et des technologies. Elle indiquait par ailleurs que cela constituerait une rupture par rapport au contexte de baisse continue depuis 1988 des dépenses à franc constant réservées à ce domaine.

La Communauté française vit également une situation budgétaire difficile, ainsi qu’ un faible investissement dans le domaine de la recherche et du développement: selon Eurostat, la Belgique est classée parmi les mauvais élèves de l’Union, avec un investissement public inférieur de 25% à la moyenne européenne (0,50 % du PIB contre 0,66%).
Dans ce contexte de moyens publics limités qui perdure depuis trop longtemps, les universités ont été contraintes de puiser dans d’autres sources de financement et se retrouvent dans une situation que nous estimons préjudiciable à un épanouissement serein de la recherche.
Ceci à un double titre :
Tout d’abord,

1- La nécessité de recourir dans une large mesure aux investisseurs privés, ou même publics comme la Région wallonne ou l’Union européenne, n’est pas sans conséquences sur le développement de la recherche. En effet, ces bailleurs de fonds privilégient d’avantage une recherche orientée, exigeant des retombées à court terme, au détriment d’une recherche libre ou fondamentale, dont l’initiative est laissée à l’originalité et à la créativité des chercheurs, ainsi qu’à la dynamique propre de chaque discipline.

Ensuite,
2- Rémunéré au projet, pour un ou deux ans, rarement plus, par les investisseurs privés ou publics, le chercheur, nommé sur crédits extérieurs, est de fait maintenu dans un statut précaire. Soit il voit son contrat dénoncé lorsque la source de financement extérieure se tarit, soit il est conduit à réserver une part importante de son temps, normalement consacré à la recherche, à dénicher les contrats suivants qui lui assureront un avenir au sein de son laboratoire ou de son équipe. Ce phénomène s’amplifie, et les chercheurs de l’UCL dans le cas sont de plus en plus nombreux.

Pour remédier à ces deux problèmes, le Corps scientifique interpelle autant notre université que les pouvoirs publics.

A notre université d’abord, il appartient de capitaliser sur les jeunes chercheurs. Nous entendons par là les stabiliser par des contrats définitifs dignes de ce nom, et pas seulement dans la carrière académique.
En effet, stabiliser les chercheurs de manière définitive constitue un début de garantie d’indépendance, et leur permettrait de se consacrer à cette mission essentielle de l’université qu’est la recherche non orientée ou fondamentale, recherche qui demande du temps non seulement pour être mise en œuvre et produire des résultats, mais aussi pour permettre au scientifique d’accumuler connaissances et compétence. La carrière académique est une solution, elle ne doit pas être la seule. On peut en effet être excellent chercheur et piètre professeur.
Notre université ne doit pas vivre sur un modèle unique. Des carrières pédagogiques et scientifiques doivent pouvoir être menées distinctement. Il ne s'agit pas de revenir à un statut de scientifique définitif qui fut considéré comme une sous carrière académique, constituée de subalternes surqualifiés ou de profs sous payés, mais bien de réinventer, de repenser un parcours scientifique aussi valorisé et valorisant que la carrière académique.

Au pouvoir public, ensuite, il appartient de reconnaître la place du chercheur dans la société, celle de contribuer au développement économique, au développement intellectuel et au développement social du pays et de ses régions. Celle aussi d’explorer, en toute liberté, les nouveaux territoires du savoir, et de jeter ainsi les fondations sur lesquelles on s’appuiera demain pour construire le futur de notre société.

Toutefois, les priorités que se donne une société se manifestant aussi par les moyens qu’elle leur accorde, nous demandons spécifiquement la poursuite du plan d’expansion du FNRS, de manière à accroître le nombre de chercheurs qualifiés. Plus largement, nous demandons avec insistance que les pouvoirs publics s’engagent à augmenter leur contribution à la recherche scientifique, principalement fondamentale, de manière à l’amener à hauteur de la moyenne européenne, au moins. En d’autres termes, passer de 0,5 % du PIB à 0,66 %, c’est-à-dire une augmentation de 30%
A l’image de la Suisse, il est urgent que les autorités de notre pays et de notre communauté s’engagent, et que cet engagement se traduise dans les faits.

A moins d’un an des élections fédérales, et à deux ans des régionales, nous sommes à la croisée des chemins. La situation financière des universités, de toutes les universités, est préoccupante. Sans mesures correctives, nous sommes au bord d’un puits financier. Le privé joue son rôle en soutenant l’université dans certaines de ses missions. Mais pour nos missions essentielles, rien ne peut remplacer le rôle des pouvoirs publics.

L’enjeu est là :
Pour sortir l’université du puits, sera-t-elle réduite à vivre au crochet du privé ?



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Dernière mise à jour : 19 septembre 2002. Responsable : Patrick Tyteca. Contact : Joseline Polomé