Allocution de Monsieur Jean-Jacques Viseur, président du Conseil d'administration

Cette année a été riche en événements et en enseignements

D’abord la continuité de notre institution à travers la succession de ceux qui en assument la gestion.
En date du 05/03/2001, le Conseil académique a réélu le professeur Michel MOLITOR en qualité de Vice-Recteur aux affaires académiques. Avec son sens de l’humain, son intelligence et son regard si lucide, il poursuivra sa mission veillant aussi à lui donner une dimension internationale et de coopération.

Quatre membres quittent le Conseil d’administration.

Les professeurs LAUWERYS et WUNSCH achèvent comme prorecteurs une carrière universitaire passionnante et diverse. Ils ont été des prorecteurs enthousiastes et dévoués. Ils ont porté les sensibilités des sciences médicales et des sciences humaines, tout en intégrant pleinement la logique de l’intérêt général de l’université.

Pierre BEAUSSART a été un administrateur actif et de bon conseil. Secrétaire général de l’Union Wallonne des Entreprises, il a facilité le concours de l’Université au développement économique et social de la Région. Il a aidé à établir des liens sans cesse plus solides avec le monde de l’entreprise. Achevant son mandat à l’UWE, il accepta de dynamiser l’association des anciens de l’UCL et le fit avec beaucoup de doigté et de volonté. La fête des anciens du 12 mai, succès de foule sous un soleil éclatant, fut pour lui une juste récompense.

Durant 13 ans, Gabriel RINGLET a été Vice-Recteur aux affaires étudiantes. Sa réussite exceptionnelle dans une fonction délicate et difficile tient d’abord à sa méthode. Ni paternalisme, ni démagogie ni complaisance, mais un respect attentif de l’autre, de sa personne, de ses forces et de ses faiblesses, de sa liberté et de sa responsabilité. Grâce à son action incessante, l’étudiant a été reconnu dans sa singularité et dans sa dignité comme membre à part entière de la communauté universitaire, avec les droits et devoirs qui en découlent. Souvent, il a mesuré que, pour certains, la vie universitaire est aussi un lieu de souffrance, de rupture, d’échec, d’isolement et de solitude. À chacun d’entre nous, il a, en permanence, rappelé que, dans une université, excellence et sélection n’étaient pas incompatibles avec le respect de chacun et d’abord des plus faibles.
Mais Gabriel RINGLET a été pour notre université beaucoup plus qu’un Vice-Recteur aux affaires étudiantes. Au sein du Conseil rectoral, du Conseil d’administration et du Conseil académique, avec imagination et détermination, il a pesé sur la stratégie et la politique de l’Université.
Homme de communication, à la langue poétique et inspirée, partout, dans les médias, dans ses conférences, dans ses multiples contacts nationaux et internationaux, il a porté l’image de notre université, moderne, inscrite dans son temps, sans complexes, comme sans archaïsmes. Comme il l’a si bien exprimé dans l’avant-propos d’une aventure universitaire, une université avide de commencer à tout instant.
Gabriel RINGLET est aussi totalement un prêtre. Pour les croyants, mais aussi pour beaucoup d’incroyants, il incarne l’intelligence de la foi avec ses compagnons : la liberté de l’homme, la fragilité, le doute, le rejet de tout sectarisme, de l’arrogance et du frileux repli clanique. Selon son expression, il a su nous parler de Dieu par " mi-dire, à demi-mots, sur la pointe des pieds ". A travers cette religion de la pudeur, de l’intériorité et de la fragilité, il a été pour Nous l’espérance d’une Eglise capable de trouver un plus juste ton avec notre époque.
Par toutes les facettes de sa personnalité, il honore notre université. Je ne doute pas que, demain, il continuera à la servir et à lui rendre les services les plus éminents.

Au sein du Conseil, nous accueillons un nouveau Vice-Recteur aux affaires étudiantes, le professeur RENDERS et deux nouveaux Pro recteurs. Les professeurs DEHEZ et DENEF.
Je les remercie d’avoir renoncé à une partie de leur enseignement et de leurs recherches pour se consacrer au service exigeant de l’université et leur souhaite pleine réussite dans leurs nouvelles fonctions.

Cette année a aussi été riche en événements politiques.

Les accords de la Saint Polycarpe et de la Saint Boniface,sont cruciaux pour le refinancement des Communautés et indispensables pour l’avenir des universités de la Communauté française. Certes la part réservée à l’enseignement non obligatoire ne rencontre pas tous les besoins et les ambitions d’une politique universitaire digne de la société de la connaissance. La réserve constituée pour les générations futures devra certainement être sollicitée pour compléter les moyens consacrés aux universités. Les effets du refinancement seront modestes durant les premières années et c’est à l’horizon 2008 que nous verrons vraiment la situation s’améliorer. Mais le pire a été évité. Si, d’aventure, les pouvoirs publics n’avaient pu assumer leurs obligations à l’égard du service public de l’enseignement, on aurait, à coup sûr, assisté à une crise majeure de l’enseignement obligatoire. Morosité et découragement auraient entraîné une pénurie d’enseignants motivés. La qualité de la préparation des jeunes aux études supérieures en aurait gravement souffert. Quant à nous, la disette nous condamnait à des mesures linéaires brutales et injustes, compromettait la démocratisation de l’université et, face à une concurrence universitaire européenne accrue, handicapait fortement nos chances d’attirer les meilleurs enseignants.
Si le financement majoritairement public reste la meilleure protection contre la marchandisation de la formation, nous entendons cependant impliquer nos anciens et le secteur privé dans le soutien à des initiatives d’enseignement et de recherche nouvelles. La fondation Louvain est, dès à présent, un remarquable succès. Dans le respect de l’autonomie académique mais aussi en rencontrant d’importantes préoccupations citoyennes et sociétales, pas moins de 12 chaires sont aujourd’hui financées par le secteur privé dans les domaines des sciences exactes et des sciences humaines. La fondation Saint Luc est un soutien privilégié de la recherche médicale tant fondamentale que clinique.

Si l’euphorie n’est pas de mise, on peut donc, aujourd’hui, davantage parler d’objectifs que de contraintes.

Et d’objectifs ambitieux nous n’en manquons pas.

Je voudrais en citer trois qui marqueront les années à venir.

D’abord la modernisation de la pédagogie.
La mission de l’université n’est pas de fabriquer des diplômés prêts à l’employabilité qui ressembleraient à des pièces usinées utilisables sans rodage et jetables après emploi ni ne délivrer des diplômes dont la valeur ajoutée serait seulement la rémunération potentielle qu’ils représentent. Notre mission est de former des hommes et des femmes dotés d’un solide bagage mais aussi responsables, aptes à comprendre une société en mutation, porteurs de sens et d’éthique. Pour atteindre cet objectif, l ’UCL a l’ambition d’une pédagogie adaptée aux temps futurs. Un an après le lancement, en faculté des sciences appliquées, du projet candi 2000, l’expérience largement positive ouvre la voie. Autour de projets, tous s’impliquent, académiques, personnel scientifique, administratif et technique et étudiants. À contre-courant de l’individualisme ambiant, le travail, la réflexion collective et solidaire deviennent gage de succès et d’épanouissement. Ainsi formés, les étudiants, porteurs d’un diplôme solide, seront armés d’une vision collective de la décision et de l’action, atout capital pour construire la société de demain.
Avec l’opération " gérer sa formation ", s’organisent, dans toutes les facultés, réflexions et actions autour de trois questions essentielles pour une université :

  • Quels sont les savoirs dont la transmission est indispensable ?
  • Comment articuler une pédagogie fondée sur l’échange, les projets, la participation des étudiants, les nouvelles technologies et pour plus d’un étudiant sur quatre l’expérience en deuxième cycle d’un quadrimestre dans une autre université ?
  • Comment enfin construire une relation à la connaissance qui permette à chaque étudiant de devenir réellement acteur de sa formation et demain acteur d’une société plus juste ?

La vision ambitieuse qui sous-tend cette pédagogie nouvelle est de devenir le creuset d’un nouvel humanisme alliant connaissance, regard critique, créativité responsabilité et citoyenneté.

La deuxième priorité est le recrutement du personnel académique et scientifique. Dans les 10 années à venir, 42% du personnel académique et scientifique arrivera au terme de sa carrière. Cela représente 280 équivalents temps plein.
À la veille de la plus grande opération de recrutement de scientifiques et d’académiques de notre histoire, il est urgent de nous définir.
Le Conseil rectoral a confié aux Vice-Recteurs MOLITOR et RINGLET le soin de préparer une charte de l’université. Ce document sera largement débattu pour devenir notre contrat social qui déterminera notre identité et notre originalité.

Le recrutement c’est aussi la préparation en notre sein de candidats de qualité exceptionnelle et l’arrivée d’étrangers de premier plan acquis à notre vision de l’université.

Enfin, l’adhésion des enseignants à nos objectifs pédagogiques est indispensable. À travers " gérer sa formation ", un grand nombre d’entre vous accepte de se remettre en question, de modifier le contenu et la méthode d’enseignement, de s’investir davantage dans le premier cycle. Votre engagement essentiel dans cette mission d’enseignement se réalise sans sacrifier en rien à la recherche sans laquelle se tarit l’âme et l’esprit d’un universitaire. Par ailleurs, beaucoup d’entre vous ne ménagent pas leurs efforts pour assumer le service à la société.

Ces trois conditions sont indispensables mais il faut franchement aborder un élément que l’on tait trop souvent. Demain, la concurrence sera aiguë entre universités européennes. Toutes les institutions et d’abord celles acquises au modèle anglo-saxon vont surenchérir pour s’attacher à grand frais les services des plus prestigieux et aussi de ceux qui, à l’instar des vedettes sportives et médiatiques ou de certains gourous, entraîneront dans leur sillage récompenses prestigieuses, financements alternatifs et étudiants - disciples prêts à investir des fortunes dans des masters classes à la mode. Sous l’impulsion des grandes universités anglaises, on assiste, déjà, à d’importantes distorsions entre les revenus et les moyens attribués aux facultés, aux unités et aux individus.

Longtemps, il a paru incongru de comparer rémunérations et conditions de travail des universitaires comme d’ailleurs de se comparer avec le secteur marchand. Les problèmes matériels qualifiés de vulgaires ont été évacués au prétexte que l’épanouissement intellectuel n’avait pas de prix. Cette pudeur est excessive. Pour prendre un seul exemple, est-il acceptable qu’un fondamentaliste, en faculté de médecine, perçoive une rémunération souvent inférieure au quart de ce que gagne, après quelques années, un médecin spécialiste dans n’importe quelle clinique du royaume.

L’attrait d’une université ne se réduit évidemment pas à la seule rémunération. L’environnement humain, culturel, intellectuel, les moyens de recherche sont autant d’atouts. Mais au moment où la fonction publique, étalon en la matière, est engagée dans une révolution copernicienne et a l’ambition de modifier profondément son échelle de rémunération, il me paraît indispensable que s’engage avec les pouvoirs publics une discussion sur les aspects pécuniaires de la carrière scientifique et académique. Il y va, à moyen terme, de notre avenir et du rôle de l’université dans la société.

Troisième priorité que je voudrais mettre en évidence : la nécessaire transversalité au sein de l’université.
Je me suis particulièrement réjoui de l’attribution du prestigieux prix FRANKY à un éthicien, l’un des nôtres le professeur VAN PARIJS. Quoi de plus transversal que la chaire Hoover d’éthique. Rattachée à la faculté ESPO, elle irrigue les autres facultés de sciences humaines et se révèle indispensable en sciences médicales et en sciences exactes. Depuis plusieurs années déjà, les cours meta et métis avaient donné le ton. Aujourd’hui, il suffit de feuilleter les programmes d’études et d’examiner la liste des recherches pour voir fleurir partout ces échanges, ces interrogations communes de disciplines parfois éloignées dont jaillissent les regards croisés si féconds et où se construit un nouvel humanisme. Dans le cadre du deuxième cycle et davantage encore du troisième cycle les programmes s’ouvrent non seulement aux expériences étrangères mais aussi aux cours à option rattachés à d’autres facultés. Se tissent et se retissent ainsi en permanence ces liens entre disciplines qui font la richesse de la science. La chance et l’exigence d’une université comme la nôtre, c’est de constamment faire éclater les cloisonnements, les routines et de favoriser un bouillonnement si fécond pour l’innovation et la maturité de ceux qui se forment, s’épanouissent, réfléchissent et travaillent dans nos murs. À travers 2002-2007, il faudra donc multiplier et favoriser ce métissage interfacultaire.

Pour terminer, je voudrais tirer quelques conclusions de notre cinq cent septante-cinquième anniversaire. Colloques, expositions, réunions, concerts furent, sans arrogance, autant d’expressions de notre force, de notre harmonie et de notre ouverture.

Je voudrais mettre en exergue trois moments du 575ème.

  • D’abord les liens renoués solennellement avec notre université sœur, la KUL. J’emploie le terme d’université sœur à dessein. La comparaison s’impose avec ces retrouvailles familiales où après une séparation difficile, deux sœurs se retrouvent, partagent ces souvenirs que sont les liens familiaux mais aussi mesurent combien chacune a poursuivi sa propre histoire. Ce qui fait notre estime réciproque, c’est aujourd’hui de constater à quel point chacun s’est épanoui dans sa communauté. Ce n’est pas l’amertume ni la nostalgie qui ont marqué ces retrouvailles mais le respect de l’autre dans sa différence comme dans sa ressemblance. C’est là le gage de liens nouveaux et solides.
  • Ensuite, le colloque sur la mondialisation. L’université a pleinement joué son rôle face à un phénomène majeur. Sans aucun dogmatisme ni a priori, elle a confronté les points de vue, agité les idées, tiré des enseignements essentiels et ouvert des chantiers d’analyse et d’action.
  • Enfin, la rencontre entre université et culture illustrée par le merveilleux concert que nous nous sommes offerts le 9 décembre et la somptueuse séance du 2 mai inaugurant de l’Aula Magna et célébrant des docteurs honoris causa fleurons du théâtre, de la musique, de la peinture et de la littérature.

Cette Aula Magna où nous sommes aujourd’hui devait être réalisée pour donner un lieu privilégié à la culture, ce compagnon indispensable de l’université. L’université est naturellement un conservatoire de la culture, des cultures. Nombreux sont les départements et les unités dont la mission est son analyse, sa protection et sa diffusion. Mais l’université doit assumer une tâche culturelle plus vaste. Le risque est grand, en effet, de voir demain s’imposer la culture anglo-saxonne, véhiculée par l’anglais, langue universelle et portée par une puissance économique dominant les instruments de diffusion et de communication. Tout modèle culturel de cette dimension s’accompagne d’un modèle social et économique qui bouscule et appauvrit les identités. Grande université située à la marche de l’influence latine, sans complexe comme sans fermeture à l’égard du monde germanique et anglo saxon, notre devoir est d’assumer et de promouvoir un modèle culturel original nourri de nos valeurs humaines et sociales. En cela, université et culture doivent s’adosser l’une à l’autre et agir dans une commune appartenance.

Mesdames, Messieurs,

Notre histoire est source inépuisable d’enseignements.
Ainsi, 1517, année charnière pour l’Europe. Martin LUTHER publie ses thèses sur les indulgences.
Cette année-là, grâce à un généreux donataire Jérôme BUSLEYDEN, ancêtre de la fondation LOUVAIN, ERASME fonde à LOUVAIN le célèbre collège des trois langues. Il s’agit de bien davantage qu’un enseignement en latin grec et hébreu. Notre génial humaniste mesure le bouleversement culturel qui frappe alors l’occident. Loin de se réfugier dans les anathèmes, la peur, le repli stérile ou, à l’inverse, la soumission aveugle aux idées nouvelles, ERASME construit à partir de son héritage culturel, une philosophie humaniste pont solide entre tradition et modernité, utopie et libre arbitre.
Humanisme et réforme entraîneront un formidable mouvement culturel et donc social et politique.

Puisse, aujourd’hui, notre université avoir l’ambition d’être un nouveau collège des trois langues où culture et science se conjugueront pour faire éclore un nouvel humanisme pour notre temps.

 


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Dernière mise à jour : 18 septembre 2001. Responsable : Jean Blavier. Contact : Joseline Polomé