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Discours de Rentrée académique, le 17 septembre 2001
Luniversité européenne, fondée à laube du second millénaire, retourne aux sources de son identité. Elle a, dès lorigine, affirmé sa vocation internationale et contribué, par les échanges de professeurs et détudiants, à la création et la diffusion du savoir. Au cours des siècles, les systèmes denseignement et de recherche se sont diversifiés, affectés par les nationalismes, les changements de pouvoir, la multiplicité des cultures. Depuis quelques années cependant, les institutions denseignement supérieur, si nombreuses aujourdhui, sont interpellées par la ré-émergence de ce que lon appelle lespace universitaire européen. Nous devons y adhérer : il sagit avant tout dun mouvement qui donnera une nouvelle dimension tant à notre enseignement quà notre recherche et dont lissue renforcera lUnion européenne. Lisbonne, 1997 Une étape majeure de ce mouvement fut franchie à Lisbonne lorsque, le 11 avril 1997, les représentants du Conseil de lEurope et de lUnesco y signèrent une Convention conjointe sur la reconnaissance des qualifications relatives à lenseignement supérieur dans la région européenne. Dans les attendus, les Parties reconnaissaient que " la grande diversité des systèmes denseignement existant dans la région européenne reflète ses diversités culturelles, sociales, politiques, philosophiques, religieuses et économiques et représente dès lors une richesse exceptionnelle quil convient de respecter pleinement ". Toutefois, les signataires de la Convention souhaitaient que les habitants de chaque Etat puissent profiter des ressources éducatives des autres Etats ; la promotion de la mobilité au sein de lespace européen devait, selon eux, saccompagner dune reconnaissance équitable des qualifications. Larticle VI.1 de la Convention énonce que, sauf exceptions dûment précisées, " dans la mesure où une décision de reconnaissance est basée sur le savoir et le savoir-faire certifiés par une qualification denseignement supérieur, chaque Partie reconnaît les qualifications denseignement supérieur conférées dans une autre Partie ". Sorbonne, 1998 Un an plus tard, le 25 mai 1998, les ministres responsables de lenseignement supérieur dAllemagne, de France, dItalie et du Royaume-Uni se réunissaient à Paris pour célébrer le 800ème anniversaire de la Sorbonne ; ils signaient une déclaration inspirée de la Convention de reconnaissance des qualifications avec, cette fois, le souhait de créer un espace européen ouvert de lenseignement supérieur, respectueux des diversités mais volontariste quant à labolition des barrières qui empêchent la mobilité. Les ministres sengageaient " à encourager lémergence dun cadre commun de référence, visant à améliorer la lisibilité des diplômes, à faciliter la mobilité des étudiants ainsi que leur employabilité (en français dans le texte) ". Pour atteindre cet objectif, la Déclaration de la Sorbonne lançait quelques pistes qui font depuis lobjet de nombreux débats. Pour une meilleure lisibilité tant interne quexterne des diplômes et leur transparence, la déclaration suggérait ladoption dun système détudes fondé sur deux cycles principaux : la pré-licence et la post-licence, avec, à la clé, les diplômes de licence, de maîtrise et doctorat. La généralisation du système de crédits obtenus par semestre devrait accroître la mobilité et faciliter la poursuite des études tout au long de la vie. La déclaration plaidait aussi pour un soutien croissant de lUnion européenne à la mobilité des étudiants et des professeurs. Bologne, 1999 La Déclaration de la Sorbonne était signée par les ministres des quatre plus grands pays de lUnion européenne, qui représentent 67 % de sa population. Les réactions immédiates furent plutôt mitigées ; au sein de lEurope des quinze, seuls le Danemark et la Communauté flamande de Belgique signeraient la déclaration. Pourtant, le 19 juin 1999, soit un an plus tard, les Ministres de léducation de 29 pays européens, dont les quinze membres de lUnion, signaient la Déclaration de Bologne, qui reprenait pour lessentiel les termes de celle de la Sorbonne, tout en y ajoutant le souhait dune meilleure compétitivité du système européen denseignement supérieur afin " quil exerce dans le monde entier un attrait à la hauteur de ses extraordinaires traditions culturelles et scientifiques ". Le choix de Bologne pour la tenue dune réunion interministérielle plaisait aux universités. Cétait, pour elles, loccasion de rappeler dans la déclaration commune les principes de la Magna Charta Universitatum, signée en 1988 par les recteurs de 410 institutions. La Déclaration de Bologne y fait en effet référence en rappelant que " lindépendance et lautonomie des universités sont garantes des capacités des systèmes denseignement supérieur et de recherche de sadapter en permanence à lévolution des besoins, aux attentes de la société et aux progrès des connaissances scientifiques ". La Déclaration de Bologne a pour objectif de promouvoir la dimension européenne de lenseignement supérieur ; de manière plus explicite, elle suggère : La Communauté française et Bologne Trop souvent, la perception du processus de Bologne sest focalisée sur luniformisation controversée des cursus universitaires dans lespace européen, symbolisée par labréviation " 3-5-8 ", qui napparaît explicitement ni dans la déclaration de la Sorbonne ni dans celle de Bologne. Depuis deux ans cependant, les universités de la Communauté française se sont pleinement engagées dans la mise en uvre de diverses mesures suggérées par la déclaration. Le supplément au diplôme sera disponible pour tous les étudiants dès la fin de la présente année académique, tandis que lensemble des cours seront dans le même temps évalués en termes de crédits européens (ECTS). Il y a deux ans, le Conseil des recteurs francophones mettait en place un système dévaluation de la qualité des diplômes par des panels dexperts extérieurs. Quant à notre adhésion à la mobilité, il suffit pour la mesurer dévoquer quelques chiffres propres à lUCL. Aujourdhui, 25 % de nos étudiants ont effectué un séjour dau moins un semestre à létranger lorsquils obtiennent leur diplôme ; le Conseil académique a adopté en juin dernier un plan dont lobjectif est dintensifier ce mouvement. Durant lannée académique 2000-2001, les échanges Erasmus entre lUCL et ses consurs européennes ont concerné 475 étudiants ; nous espérons dépasser le chiffre de 500 étudiants cette année. Notre Conseil de recherche finance quant à lui des échanges au niveau post-doctoral, tandis que le recrutement académique fait état dune internationalisation notable : au cours des cinq dernières années, lUCL a recruté dans son personnel académique 37 professeurs qui ont obtenu leur doctorat à létranger. La réorganisation des cursus universitaires en pré et post-licence, comme le proposait déjà la Déclaration de la Sorbonne, na pas rencontré beaucoup denthousiasme en Communauté française. La raison en est simple : le système denseignement supérieur y est sain et a, jusquà présent, rencontré les grands objectifs des déclarations européennes. Le système binaire universités - hautes écoles permet aux diplômés du secondaire de choisir le mode denseignement supérieur qui leur convient ; aujourdhui, 73.000 étudiants suivent lenseignement supérieur non universitaire tandis que 60.000 sont inscrits à luniversité. La réorientation est possible grâce au système de passerelles mis au point par les deux réseaux denseignement supérieur. Les jeunes diplômés ne connaissent pas pour linstant de problèmes demploi, même si celui-ci sécarte parfois du domaine détudes. La mobilité européenne est satisfaisante. Il faut noter cependant que la proportion détudiants non-européens dans nos universités a diminué de 23% en cinq ans. Nous attribuons cet fait alarmant à la difficulté dobtenir un visa plutôt quà un éventuel manque dattrait de nos formations. Vers une réforme de lenseignement supérieur Lefficacité de notre système denseignement supérieur ne peut nous empêcher de percevoir avec lucidité la vague de réformes qui frappe les institutions européennes. Un rapport de synthèse présenté lors de la rencontre des recteurs européens à Salamanque en mai dernier montre que la grande majorité des pays européens auront bientôt adopté le cursus de licence en trois ans suivie dune maîtrise dont la durée nest pas encore uniforme, bien que celle de deux ans soit majoritaire. Quelle doit être notre attitude face à une telle évolution ? Même si nous reconnaissons le bien-fondé du système de candidatures et de licences, issu dune loi de 1835, modifiée en 1929, nous devons mesurer les conséquences quaurait pour nos étudiants le maintien dun cursus qui nous singularise au sein de lUnion européenne. A terme, leurs diplômes risqueraient de ne plus être reconnus à leur juste valeur sinon dêtre mal interprétés. La mobilité de nos étudiants serait plus difficile, tandis que nos universités attireraient peu détudiants étrangers au sein dun système trop différent du leur. Une telle éventualité serait dautant plus dommageable que la mobilité internationale concernera essentiellement les années de maîtrise, préparatoires à la recherche. La conclusion me semble évidente : la Communauté française doit satteler dans les meilleurs délais à une réforme des diplômes denseignement supérieur dans le cadre de lharmonisation européenne. Nous renforçons ainsi lidentité Européenne, dans un domaine autre que léconomie et la finance qui animent la majorité des débats. De plus, lespace universitaire européen anticipe lavenir puisquil dépasse lEurope des quinze et englobe de nombreux autres pays. Lesprit dans lequel nous abordons cette réforme ne peut dès lors se limiter à ladaptation dun programme à un nouveau rythme. Notre université proclame depuis de nombreuses années sa vocation internationale et uvre en ce sens ; profitons de la réflexion qui sannonce pour lintensifier. Cest aussi une chance unique de revoir en profondeur nos programmes et nos méthodes denseignement. Depuis trois ans, lUCL adopte peu à peu dans ses programmes les principes du projet gérer sa formation ; lopportunité nous est donnée dintensifier cette démarche lors de linstallation des nouvelles licences. Toutefois, une réforme de cette ampleur, qui abandonne un système qui a fait ses preuves pour atteindre de nouveaux horizons, ne peut être envisagée que si les valeurs qui nous tiennent à cur sont préservées. Louverture de lenseignement supérieur Il est essentiel, en premier lieu, que soit garantie louverture de lenseignement supérieur à tous ceux qui ont la capacité de lentreprendre. Daucuns craignent que linstauration dun système à deux étages, licence et maîtrise, nengendre, à terme, la réduction du financement de lenseignement universitaire par le pouvoir public, qui prendrait en charge le seul premier cycle. Le libre accès à lenseignement supérieur et son financement ont toujours fait partie des priorités de notre pays, et je sais très bien quune telle réduction nest même pas évoquée par le gouvernement de la Communauté française. Le maintien de cette priorité historique a deux effets majeurs : le bien-être du citoyen, qui sépanouit dans lapprofondissement de la connaissance et de sa formation ; le retour à la société, qui bénéficie de la créativité et de lexpertise de ceux quelle a permis de former. Il faut réaffirmer que lenseignement est un service public ; une telle prise de position est essentielle, si lon sait que les Etats-Unis ont soumis au début de cette année une proposition à lOrganisation mondiale du Commerce préconisant que les pays associés sengagent à lever divers obstacles au libre échange dans le domaine de lenseignement supérieur. Cet enseignement risque bien, en effet, de devenir une matière commerciale.
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