Discours de présentation de Madame Patricia Palacios de Nava

au doctorat honoris causa.

Une femme, un mouvement de femmes, engagées dans le combat contre l'exclusion sociale

Madame Patricia Palacios de Nava, une femme d'engagement

Il y a presque 400 ans que naissait, suite à l'appel de Saint Vincent de Paul, une des premières associations de femmes regroupant des volontaires engagées auprès des plus pauvres. Aujourd'hui, plus de 250.000 femmes, dans plus de 50 pays de 4 continents, sont membres de l'AIC, l'Association Internationale des Charités. Face au caractère, quelque peu désuet, d'un terme comme celui de "charité", il vous tient à cœur de souligner que le combat de l'AIC d'aujourd'hui se fonde sur un engagement social pour combattre les pauvretés et lutter contre leurs causes. Vous achevez, Madame Patricia Palacios de Nava, votre deuxième mandat comme Présidente de l'AIC, vous inscrivant ainsi dans le sillage de toutes ces femmes qui ont investi leurs énergies pour lutter contre l'exclusion sociale.

Oui, Madame, vous êtes une femme d'engagement. Vous êtes née à Mexico le 2 août 1944, vous avez étudié l'histoire de l'art. Au travers de multiples lectures, vous vous êtes penchée sur les questions liées à l'exclusion, mais, nous confiez - vous, "c'est le contact personnel avec les plus pauvres qui a été le véritable moteur de mon engagement".

De nombreuses rencontres ont façonné cet engagement social au fil du temps. Deux personnes vous ont particulièrement marquée.

Le combat pour la justice mené par Salvador de Nava, votre beau-père, vous a profondément interpellée. Vous avez participé à l'organisation de plusieurs projets visant le développement d'une citoyenneté active dans votre pays. Vous inscrivez ces initiatives dans un projet socio-politique d'une démocratisation du Mexique gouverné par un parti qui s'est maintenu au pouvoir - voir l'a usurpé - pendant plus de 70 ans, jusqu'en 2000. Ce combat n'est pas terminé, comme en témoigne le récent assassinat de Digna Ochoa, cette femme avocate dans une ONG de défense des droits humains à Mexico.

La rencontre avec Mgr Samuel Ruiz, évêque de San Cristobal de las Casas pendant plus de quarante ans, fut décisive dans votre parcours. Cet "évêque des Indiens", reconnu internationalement, s'est consacré à l'amélioration des conditions de vie des populations autochtones et à la mise en valeur de leurs cultures. Il a incarné pour ces communautés l’espoir de voir leurs droits reconnus par la société mexicaine. Cet engagement ainsi que son discours de paix ont fait de lui le médiateur choisi par le gouvernement mexicain et par les zapatistes pour négocier l’accord de paix au sein d'un système collégial de médiation. Vous avez participé, à ses côtés, à la mise sur pied de différents projets d'appui aux communautés indigènes, plus particulièrement dans les zones de conflit.

Votre engagement s'est donc construit grâce à ce dialogue avec des femmes, des hommes, des mouvements issus d'horizons diversifiés. Dans votre cheminement, votre enracinement spirituel est à la source de ces divers combats et vous appelle à porter un regard évangélique sur les personnes et les situations qui vous entourent. Votre foi dans les capacités des êtres humains, et tout particulièrement des femmes, de pouvoir agir sur leur devenir, votre audace, votre force de conviction sont les ferments de vos actions.

Nombre de vos activités se sont déployées au sein de l'AIC, d'abord comme volontaire pendant de près de 25 ans au niveau de l'association mexicaine, ensuite au niveau international où vous avez assumé divers mandats.

L'AIC, un mouvement de femmes engagées dans la lutte contre les pauvretés et leurs causes

Tout comme votre engagement s'est déployé au fil des années, les objectifs de l'AIC se sont ajustés, au fil des siècles, aux contextes historiques et aux défis auxquels elle a été confrontée. Aujourd'hui, l'action de l'AIC s'articule en différents volets qui ne peuvent être dissociés.

Le premier met l'accent sur la rencontre entre les volontaires et les personnes vivant des situations d'exclusion. La solidarité concrète passe par cette reconnaissance mutuelle et ce développement de liens de proximité avec les personnes qui vivent une souffrance sociale.

Le deuxième volet s'appuie sur le développement de projets collectifs, ancrés dans la réalité locale, au sein desquels les personnes deviennent acteurs et participent ainsi à la transformation des conditions de vie dans leurs communautés. Dans ce cadre, l'AIC attache une attention toute particulière à la place des femmes dans diverses initiatives: coopératives alimentaires, espace de rencontre pour les mères, projets de sensibilisation à la violence à l'égard des femmes, cours d'alphabétisation, jardins d'enfants pour n'en citer que quelques-unes. En Europe, l'histoire nous rappelle que le tissu associatif a souvent été le creuset d'initiatives porteuses d'innovation sociale. Ces projets collectifs développés au sein des espaces publics sont des formes privilégiées d’expression de la citoyenneté et de la solidarité, qui explorent l'au-delà des réponses institutionnalisées. Au Sud, ces projets collectifs s'inscrivent le plus souvent au sein du monde populaire, qui, face à la précarité économique, invente ses propres moyens de survie. Cette économie populaire est également un moyen de résistance politique, sociale et culturelle, qui cherche à s'affirmer comme un acteur de développement.

La rencontre personnelle de l'autre dans sa souffrance sociale, le développement de projets collectifs porteurs de transformation sociale, constituent les deux premiers piliers de la philosophie de l'AIC. Mais, nous diriez-vous Madame, avec toute votre force de conviction, il ne faut pas s'arrêter en si bon chemin… En effet, ces actions, aussi généreuses soient - elles, risquent d'être inefficaces, si nous n'agissons pas sur les structures qui génèrent les injustices. Nous avons le devoir de les dénoncer et de faire entendre la voix des plus pauvres dans les lieux de prise de décision. Une de vos convictions les plus fortes est que les volontaires engagé-e-s dans la lutte contre l'exclusion sont appelé-e-s à susciter des projets de transformation des structures. C'est pourquoi, vous avez collaboré à de nombreux projets originaux de formation, comme celui de l'école de formation à la citoyenneté dans votre ville, pour que les volontaires deviennent des véritables acteurs sociaux de changement. Ceci n'est pas sans rappeler un engagement comme celui de Paulo Freire, célèbre pédagogue brésilien, qui conçoit l'éducation comme pratique de la liberté parce qu'elle amène les personnes, et particulier, le monde populaire, à prendre conscience de leur situation et ainsi leur donne les moyens de transformer le monde dans lequel ils vivent.

Pourquoi nous interpellez - vous ?

Madame, votre engagement nous interpelle en tant que communauté universitaire.

Votre engagement social est enraciné dans votre quête spirituelle. Comment assumons - nous, en tant que membres de la communauté universitaire, une cohérence entre nos quêtes personnelles et collectives de sens et nos engagements dans l'enseignement, la recherche et le service à la société ?

Nous assistons à une intensification de la pauvreté, des inégalités et de l'exclusion sociale à l'échelle mondiale. Vous soulignez l'importance pour le volontariat de s'inscrire dans une visée de transformation sociale. Comment nos recherches contribuent-elles à modifier ces structures profondément injustes ? Comment partager, dans les différents projets de recherches que nous menons, les différents savoirs, en particulier concernant l'exclusion sociale, en reconnaissant la valeur et la spécificité de chacun d'eux: savoirs scientifiques, savoirs d'expériences, savoirs d'action ou d'engagement ? Comment nos enseignements participent - ils à la formation d'acteurs sociaux de changement ?

Lors d'une récente évaluation de l'AIC, vous avez identifié, comme une force, le fait que votre association soit composée, essentiellement, de femmes. En effet, notre modèle de développement est le résultat d'une construction sociale où les hommes ont dominé l'espace public. Il y a lieu de reconnaître d'autres façons de penser et d'agir au sein de ces espaces d'autant plus que les femmes jouent un rôle fondamental, mais souvent méconnu, dans le développement. Nous pourrions reprendre, à notre compte, le slogan "deux genres pour faire un monde" et nous interroger, comme le propose notre recteur, sur les orientations à prendre si nous voulons "deux genres pour construire une université".

Enfin, l'une des spécificités les plus marquantes de l'AIC est qu'elle regroupe des cellules de femmes implantées dans leurs réalités locales tant au Nord qu'au Sud, à l'Est comme à l'Ouest. Cette structure peut être le levier d'échanges de point de vue et de pratiques. A l'heure d'un monde globalisé, cette prise de conscience d'une destinée commune me semble essentielle. Comment pouvons-nous renforcer au sein de notre université, caractérisée par une longue tradition de partenariat avec le Sud, les regards croisés nord - sud ? En effet, il ne s'agit plus de ne voir dans l'autre que quelqu'un à aider. Non que l'appui aux initiatives des victimes des injustices ne soit plus de mise, mais ces échanges doivent s'inscrire dans un espace de réciprocité où nous osons laisser interpeller nos modes de pensée, nos modèles de développement.

Voilà autant de questions adressées à la communauté universitaire que votre engagement suscite. Les réponses se construisent et se construiront au fil des dialogues entre les différents membres de la communauté universitaire, au fil des projets de recherche et d'enseignement. Mais votre engagement nous renvoie à notre propre engagement sans lequel nous ne pourrons mobiliser les énergies nécessaires pour construire un monde plus solidaire où chaque homme, chaque femme, chaque culture sont reconnus dans leur dignité.

Demande de DHC

Pour Patricia de Nava, pour tous les membres de l'AIC, pour toutes ces femmes de par le monde, engagées inlassablement dans le combat contre l'exclusion et toutes les formes de pauvreté, je vous demande, Monsieur le Recteur, de bien vouloir conférer à Madame Patricia Palacios de Nava, le titre de docteur honoris causa de notre Université.

 

[UCL] [Docteurs honoris causa] [La vie à l'UCL] [Pointeurs utiles]

Dernière mise à jour : 5 février 2002 - Responsable : Jean Blavier - Contact : Joseline Polomé