Fête patronale de l’Université catholique de Louvain
Le 4 février 2002
Discours du recteur Marcel Crochet

 

Mesdames, Messieurs,

C’est un grand plaisir pour moi de vous souhaiter la bienvenue. Comme chaque année, vous êtes venus nombreux pour célébrer la fête patronale de l’Université catholique de Louvain. C’est l’occasion, pour la communauté universitaire, de suspendre durant quelques heures le cheminement de l’année académique et de vivre ensemble un moment d’exception qui nous permet de mieux réaliser ce que c’est d’être une université. Nous aimons partager de tels moments avec nos amis.

Depuis plusieurs années, le Conseil académique et le Conseil d’administration associent à notre fête patronale l’octroi de doctorats honoris causa. C’est un privilège que se réservent les universités en tant qu’institutions consacrées à la découverte et à la transmission des connaissances ; leur regard sur le monde et leur indépendance leur permettent de mettre en exergue des personnalités dont l’action et la pensée transforment la société. En les honorant, nous proposons un exemple de vie et de pensée à la communauté universitaire et tout particulièrement aux étudiants. Par le choix de ses docteurs honoris causa, l’université souligne et réaffirme les valeurs qu’elle entend défendre.

Cette année, notre choix s’est porté sur trois femmes d’exception. Elles ont en commun un enthousiasme naturel et une volonté inébranlable ; elles consacrent leur carrière, leur vie, au progrès de la société. Elles ont une vision d’un monde sans frontières, faite de justice, de solidarité et de rigueur de pensée.

Madame Carla Del Ponte veut un monde juste et, pour cela, se bat avec vigueur contre l’injustice ; pour elle, la justice est sans frontières. Après avoir lutté dans son pays contre le crime organisé et le blanchiment d’argent, elle s’est mise au service des Nations-Unies pour que soient punis les crimes contre l’humanité. Madame Patricia Palacios de Nava anime un extraordinaire bataillon de femmes qui s’acharnent contre l’inégalité et la pauvreté dans tous les continents ; ce qu’elles entendent par charité est de rendre à chacun sa dignité et de lui permettre la prise en charge de son destin. Madame Hélène Carrère d’Encausse, grâce à sa pensée rigoureuse et à l’ardeur de son travail, nous permet de comprendre le fonctionnement du monde et de prévoir ses bouleversements. Professeur de grand talent, elle nous rappelle que l’université est un réservoir de pensée où le monde politique peut puiser son inspiration. Merci, Mesdames, d’avoir bien voulu partager avec nous ce moment de fête ; en acceptant la distinction qui vous est conférée, vous faites un grand honneur à notre université.

L’octroi de doctorats honoris causa a suscité dans le passé diverses interpellations à l’égard de l’université. Alors que celle-ci honore d’éminentes personnalités pour leurs valeurs humanistes, s’engage-t-elle à y adhérer ? Quels moyens met-elle en œuvre pour renforcer leur action ? Les valeurs de justice, de solidarité et de rigueur de pensée portées par nos nouveaux docteurs font incontestablement partie de celles que défend notre université. Toutefois, l’attribution de sa plus haute distinction à trois femmes éminentes serait-elle le signe d’une volonté d’égalité des chances et d’un meilleur équilibre entre les sexes au sein des carrières universitaires ? La question mérite d’être posée à une très ancienne université qui a inscrit sa première étudiante en 1920 et nommé son premier professeur féminin en 1960.

Qu’en est-il aujourd’hui des carrières féminines à l’UCL ? Celle-ci a le privilège de compter 53 % d’étudiantes, inégalement réparties entre les facultés. Elles sont 58 % en sciences humaines, 59 % en sciences médicales, mais 30 % seulement en sciences exactes. La Faculté des sciences appliquées ne compte, quant à elle, que 15 % d’étudiantes. La profession d’ingénieur reste manifestement un bastion masculin qu’il serait temps d’investir.

Au sein du personnel administratif et technique, on trouve 54 % de femmes. L’équilibre est un peu moins bon dans le personnel scientifique, constitué essentiellement de jeunes doctorants ; il compte 44 % de femmes, mais cette proportion atteint plus de 50 % dans les facultés de sciences humaines et de sciences médicales.

Nous sommes par contre bien loin de l’équilibre dans le personnel académique à temps plein, qui ne compte que 12 % de femmes. Une observation plus détaillée permet toutefois un certain optimisme, si l’on accepte un lien entre l’âge et la promotion. On constate en effet que 20 % des chargés de cours et 14 % des professeurs sont des femmes, mais ces chiffres ne font que mettre en évidence la proportion de 4 % chez les aînés que sont les professeurs ordinaires.

Notre tâche commune est de préparer l’avenir au moment où le corps académique fait l’objet d’un renouvellement rapide. Au cours des cinq dernières années, nous avons ouvert 150 postes académiques. Parmi les 1167 candidats, nous avons relevé 23 % de femmes. Nous avons procédé à l’engagement de 109 professeurs, dont 22 % sont des femmes. Ces chiffres montrent, fort heureusement, que les femmes ont les mêmes chances de réussite que les hommes face aux commissions de sélection de notre université. Ils indiquent cependant que moins d’un quart des candidatures aux postes académiques émanent de femmes, alors que le personnel scientifique n’en compte pas loin de la moitié.

Tout au long du 20ème siècle, les femmes ont mené un long combat pour que soit reconnue l’égalité des droits entre les sexes ; dans de nombreux pays, celle-ci est inscrite dans les lois, même si elle ne l’est pas encore dans les faits. L’absence de discrimination fait partie des règlements de l’UCL ; elle est explicite dans les instructions qui accompagnent les annonces de postes. Pourquoi, dans ces conditions, les candidatures féminines aux postes académiques sont-elles si peu nombreuses ?

Les raisons sont multiples. Les dossiers de candidature sont déposés à l’âge de trente à trente-cinq ans, au moment où nombre de jeunes femmes fondent une famille et consacrent du temps à leurs jeunes enfants. Les carrières offertes manquent trop souvent de souplesse, alors que le travail à temps partiel serait le bienvenu à certaines époques de la vie. Le partage des tâches familiales au sein des couples évolue lentement, mais les jeunes mères de famille subissent un déficit de facilités mises à leur disposition. Enfin, ne devrions-nous pas blâmer un manque d’information objective ? Est-il normal, en effet, que la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation compte 78 % d’étudiantes alors que les sciences appliquées n’en comptent que 15 % ? Les clichés culturels sévissent alors qu’un équilibre entre les sexes est tout aussi souhaitable dans l’entreprise que dans les autres secteurs de la société.

Mesdames, Messieurs, alors que nous rendons hommage à l’engagement de trois femmes exceptionnelles, je souhaite que notre choix suscite la réflexion sur la place que doivent occuper les femmes dans tous les secteurs de l’université et que des actions s’en suivent.

Le moment est venu d’entendre nos nouveaux docteurs honoris causa. Avant de leur donner la parole, nous écouterons le président de l’Assemblée générale des étudiants. Je vous remercie de votre attention.

 

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Dernière mise à jour : 5 février 2002 - Responsable : Jean Blavier - Contact : Joseline Polomé