Discours de Madame Patricia de Nava

Docteur honoris causa – 4 février 2002

Mesdames et Messieurs,

C'est un grand honneur pour moi d'être parmi vous aujourd'hui et c'est avec une vive reconnaissance que je m'adresse à vous, non seulement en mon nom propre, mais en celui de l'AIC, organisation dont j'assume la présidence
Je voudrais avant tout exprimer mes remerciements et ma profonde gratitude à l'Université catholique de Louvain pour le titre dont elle m'honore.
En recevant cette haute distinction, je tiens à souligner qu'elle ne représente pas pour moi une récompense personnelle. Ce pour quoi je me sens fière et qui me comble, ce sont les opportunités, les relations et les échanges qui ont marqué profondément ma vie et ont donné réellement leur raison d'être aux trente années de mon engagement.
Je me sens fière et heureuse d’être membre de l’AIC une grande association, principalement de femmes, inspirée par Vincent de Paul, son fondateur qui, le premier confia officiellement aux femmes un rôle important dans l’Église, celui du service aux plus démunis. Au sein du volontariat, en 50 pays du monde, l’AIC favorise le lien et l’interdépendance entre le niveau local et le niveau international. Elle met en place de manière efficace la solidarité et la proximité sur le terrain, permettant aux plus démunis de devenir acteurs de leur propre développement et de celui de leur communauté de vie. Elle accompagne les femmes de manière spécifique dans leur recherche de promotion et d’autonomie. Elle suscite des actions de dénonciation et de pression sur les structures, et auprès de ceux qui détiennent le pouvoir de décision, pour combattre les causes des pauvretés. Comme organisation de la Société civile, elle participe au grand réseau mondial où se conjuguent et s’articulent les efforts des organismes publics et privés, engagés dans la lutte contre les pauvretés et les exclusions et pour la défense des droits des plus pauvres.
Je me sens fière et heureuse d’avoir développé mon engagement, non de manière individuelle ou isolée, mais toujours en faisant partie d’une équipe, soit sur le plan local, sur le plan national ou international, équipe de femmes enthousiastes et engagées dans l’avenir de la société. Sans les exemples de décision, de ténacité et de courage des volontaires de la base, sans l’appui, l’amitié et la réflexion des ex-présidentes de l’AIC, du Bureau exécutif, du Secrétariat international – mes collaboratrices les plus proches – il m’aurait été impossible de développer le travail mentionné par Madame le Professeur Marthe Nyssens dans sa présentation
Je suis fière d’être femme car, grâce à l’AIC j’ai découvert le rôle si important que nous jouons, nous femmes, non seulement au sein de nos familles et des communautés, mais aussi au sein de la société comme acteurs de changement et de transformation.
C’est avec joie et fierté que je reçois aujourd’hui, ce doctorat, en même temps que deux autres femmes, Madame Carrère d’Encausse et Madame Carla del Ponte ; elles assument toutes deux un rôle important dans la vie sociale, culturelle et politique de la communauté internationale et je les salue tout spécialement.
Dans ce sentiment de gratitude, je voudrais inclure ceux et celles qui ont orienté le sens de ma vie et contribué à former ma personnalité, ma sensibilité et ma vision du monde et des choses. Je pense à ma famille, à son affection, à son appui inconditionnel, à son encouragement. Aux femmes et aux hommes engagés dans la lutte civique dans mon pays qui, en de multiples occasions ont mis leur sécurité et même leur vie en danger, pour faire du Mexique un pays plus démocratique. Par leur exemple, ils m’ont motivée, avec beaucoup d’autres, à m’engager dans la construction d’espaces de citoyenneté et de démocratie, espaces où les droits des femmes et des hommes soient respectés.
De même, je pense aussi à Monseigneur Samuel Ruiz Garcia (évêque émérite de San Cristobal de las Casas), et les équipes de pastorale des communautés indigènes du Chiapas, province comptant le plus fort indice de pauvreté de mon pays. Membres d’une Église pauvre, engagée avec les plus pauvres, ils m’ont aidée par leur témoignage prophétique, à découvrir que la rédemption opérée par le Christ est une rédemption intégrale qui se réalise dans l’histoire et avec la participation de tous les êtres humains. Une des priorités de l’AIC est d’annoncer surtout aux plus démunis, par le témoignage et par sa propre vie, la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. La proximité et l’insertion dans la vie de ces communautés, et d’autres que j’ai pu connaître grâce à l’AIC, m’ont stimulée à renforcer mon engagement
Je ne peux m’empêcher de parler des plus pauvres car ils et elles sont la raison d’être de l’action et de la réflexion de l’AIC. Je pense surtout aux femmes que j’ai rencontrées sur mon chemin, celles dont nous assumons les revendications, initiant un équilibre des relations entre les deux genres, pour une véritable révolution culturelle et de grande portée, comme un futur plus juste et équitable pour l’humanité. La reconnaissance que vous m’accordez aujourd’hui s’adresse à eux et à elles, ces plus pauvres que nous rencontrons chaque jour.
En ces moments, à côté d'une grande joie, je ressens aussi, comme présidente de l'AIC, une grande responsabilité pour mon association, face à ce que représente cette importante distinction, mais aussi le fait d'avoir son siège à Louvain la Neuve.
Comme les défis, les raisons sont multiples. Avec l'Université Catholique de Louvain, je sais que nous partageons une même foi, nous sommes convaincus de la nécessité de renforcer les valeurs éthiques, les valeurs chrétiennes qui soutiennent notre savoir être et notre savoir-faire. Nous pourrons créer de nouveaux mécanismes permettant de sauvegarder et de promouvoir ces valeurs, indispensables au bien-être de la société et établir des alliances stratégiques, des interactions favorisant les relations interpersonnelles, le bénéfice mutuel, la réciprocité et l’impact social.
Avoir son siège social à Louvain la Neuve nous donnera de meilleures opportunités d’entrer en dialogue et en débats d’idées avec l’Université Catholique de Louvain, quant aux transformations accélérées des problèmes de la pauvreté.
Comment pourrions-nous unir nos forces pour développer notre capacité d’analyse et d’évaluation globale des situations qui affectent la vie des pauvres, leurs conséquences et leurs causes ? Comment profiter de cette proximité pour amplifier aussi notre possibilité d’exercer une action politique pouvant influencer la justice et la démocratie et, de cette manière, aller plus loin qu’une action ponctuelle et locale et viser une participation plus large et plus convaincante en vue du bien commun ?
Nous croyons que notre présence à Louvain la Neuve nous permettra d’être plus proactives et convaincantes. Nous obtiendrons que notre voix, la voix des démunis, soit écoutée. Nos actions et nos projets, nos services et spécialement notre témoignage seront une force qui questionne et qui transforme l’aveuglement, volontaire ou involontaire, de la société et l’indifférence de ses grands secteurs.
Dans cette nouvelle relation avec l’UCL, avec les intellectuels, les chercheurs, les enseignants, ceux et celles qui lui donnent vie et support, avec la communauté éducative et avec les jeunes de différents pays et cultures, l’AIC entreprendra une nouvelle étape de créativité mieux informée et plus responsable. Nous chercherons à unir nos efforts et à travailler ensemble pour construire une société meilleure, basée sur des principes de coresponsabilité sociale. Nous lutterons pour construire un monde solidaire où existe la véritable paix, celle qui a son fondement dans l’être humain, sa culture, ses valeurs, ses droits.
Je conclurai en réitérant mes plus sincères remerciements et faisant miennes les paroles de Ernesto Sábato, écrivain argentin dans son libre " Avant la fin " : " Je vous propose donc que nous nous unissions dans un engagement …seulement ceux qui sont capables de soutenir l’utopie, seront aptes pour le combat décisif, retrouver l’humain que l’humanité a perdu ".



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Dernière mise à jour : 5 février 2002. Responsable : Jean Blavier. Contact : Joseline Polomé