Discours de présentation de M. Jordi SAVALL,

au doctorat honoris causa de l'UCL


Le grand musicologue Walter Wiora explique que, si la musicologie peut prendre la vie musicale comme objet d’étude, elle doit se penser elle-même, au même moment, comme partie intégrante de cette même vie musicale. Le musicologue responsable, ajoute-t-il, ne peut s’isoler de la vie musicale de son temps. Ceci, M. Savall, me paraît s’appliquer particulièrement à votre carrière de musicien et de chercheur.

Vous avez choisi de vous consacrer, avec le talent que l’on sait, à la musique ancienne. Ce choix, cependant, vous l’avez fait et vous continuer de le faire en toute conscience du rôle essentiel de votre pratique d’interprète, de chef d’orchestre, de chef de choeur et de pédagogue pour la vie musicale d’aujourd’hui. Le récent changement de dénomination de l’ensemble que vous aviez fondé il y a vingt-cinq ans sous le nom d’Hesperion XX, devenu aujourd’hui Hesperion XXI, marque votre volonté et celle de vos musiciens de suivre au plus près notre siècle. Il y a quelque paradoxe à constater que si vous avez pu tant faire au profit de l’art ancien de la viole de gambe, c’est notamment par le biais de l’un des arts les plus récents, le cinéma. Mais ce qui, aujourd’hui, marquera le plus pour nous votre engagement dans la modernité, s’est votre participation à l’animation musicale de cette journée et, en particulier, la création, ce soir, sous votre direction, de l’oratorio Ludus sapientiae de Pierre Bartholomée.
Votre attachement au présent, votre volonté de faire de la musique ancienne une musique de notre temps, une musique pour notre temps, a trouvé à s’exprimer aussi de manière plus profonde et plus subtile. Vous avez souligné à plusieurs reprises que ce qui vous inspire, dans la musique baroque, c’est sa spiritualité autant que sa beauté, c’est l’émotion qu’elle véhicule et qu’elle suscite, grâce à l’interprète, chez l’auditeur. “ Il faut approfondir les racines de notre culture, avez-vous affirmé, pour mieux garder la mémoire vivante et construire, avec cette mémoire, un avenir dans lequel les gens pourraient être plus heureux ”. C’est dans cette optique que vous avez pris des positions fermes et très actives en faveur de la pédagogie de cette musique que vous aimez, recommandant la création de Conservatoires de musique ancienne et participant vous même activement à cette pédagogie. Votre présence parmi nous aujourd’hui, dans ce pays où l’enseignement musical et la vie musicale elle-même sont sinistrés à raison de l’indifférence des pouvoir publics, représente une lueur d’espoir dans un paysage bien sombre.

J’ai plaisir à souligner en outre, devant cette assemblée universitaire, que votre pratique musicale est aussi une pratique de recherche, de redécouverte et de recréation d’un patrimoine. Les motivations qui vous animent, en tant qu’interprète aussi bien que chercheur, sont proprement scientifiques : vous placez au premier plan le respect des œuvres redécouvertes et recréées et celui des périodes dont elles proviennent. Votre exemple de musicien musicologue ne peut que nous conforter dans la certitude que, malgré les réticences, l’introduction des pratiques artistiques à l’université est aujourd’hui pleinement justifiée, que l’étude de la musique resterait stérile sans pratique musicale.

Pour toutes ces raisons, je vous demande, Monsieur le Recteur, de conférer à Monsieur Jordi Savall le titre et les insignes de Docteur honoris causa de l’Université Catholique de Louvain.

Nicolas MEEUS,
Professeur de musicologie
au Département d’Archéologie et Histoire de l’Art


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Dernière mise à jour : 3 mai 2001 - Contact : Joseline Polomé