575ème anniversaire de l'Université catholique de Louvain
Le 2 mai 2001
Université et Culture
Discours du recteur Marcel Crochet


Messeigneurs,
Madame et Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs,

Ces images évoquent, trop brièvement mais avec puissance, l’aventure moderne de l’homme : sa pensée, ses découvertes, la violence, l’émergence de ses droits ; elles rappellent la révolution industrielle, la transformation des conditions de travail, l’avènement de techniques qui ont changé le cours de la vie ; mais aussi la recherche du beau, l’alliance renouvelée entre l’art et l’architecture.
Tout au long de l’histoire du dernier millénaire, une institution européenne traverse les guerres, les conflits de pouvoir, la pauvreté, les fermetures et poursuit avec détermination l’exercice de ses missions. L’Université, fondée en Europe il y a quelque neuf cents ans sur le modèle des écoles islamiques, enseigne, discute, cherche la vérité, souvent avec bonheur, et maintient le cap sur l’élévation de l’homme. L’institution universitaire européenne s’est répandue dans le monde entier ; les titres qu’elle délivre aujourd’hui, bachelier, licencié, maître ou docteur, sont ceux des premiers siècles, de même que la dénomination de nos facultés de droit, de médecine et de théologie.
La célébration du 575ème anniversaire de l’Université catholique de Louvain est un hommage à l’institution universitaire européenne ; elle honore tous ceux qui, comme vous aujourd’hui, chers collègues et membres du personnel de l’université, lui ont consacré depuis 1425 leur carrière pour qu’elle vive et soit celle que nous connaissons aujourd’hui.
La Katholieke Universiteit Leuven et l’Université catholique de Louvain n’ont fait qu’une durant près de 550 ans, jusqu’à ce que l’histoire nous sépare en 1968. L’UCL entreprit alors une traversée difficile, tout au long de trois décennies dont l’intensité sera évoquée à la fin de cette séance. En ce jour de fête, nous célébrons notre accostage. Alors que notre Faculté de médecine et les Cliniques universitaires St-Luc font depuis longtemps partie du paysage bruxellois, l’achèvement du centre de Louvain-la-Neuve, dont l’Aula Magna est le symbole, démontre que le pari fou de ceux qui dirigeaient notre université en 1968 est gagné. Une page est tournée : nous nous préoccuperons plus désormais de la vie de la cité que de sa construction, tandis que l’université, comme à Louvain, sera le ferment de sa ville sans en prendre la place.

La célébration d’une longue histoire est un évènement heureux, socle bien utile pour construire le futur, au moment où l’institution universitaire européenne, dont j’ai vanté la pérennité, est mise en cause. Les conférences internationales de la Sorbonne, de Bologne, Salamanque et bientôt Prague questionnent l’université, ses méthodes, ses publics ; la globalisation, la mondialisation, la concurrence et même une certaine commercialisation ne l’ont pas épargnée. Comment, en ce début de 21ème siècle, les universités poursuivront-elles leur mission séculaire tout en préservant les valeurs qu’elles ont toujours défendues ? En 1988, plus de 400 recteurs européens se réunissaient à l’Université de Bologne pour célébrer le 900ème anniversaire de sa fondation. Ils y adoptèrent la Magna Charta des universités dont je voudrais rappeler le premier attendu. " A l’approche de la fin du millénaire, dit la Magna Charta, le futur de l’humanité dépend en grande partie de son développement culturel, scientifique et technique ; celui-ci se construit dans les centres de culture, de connaissance et de recherche que représentent les vraies universités ". Nous souscrivons pleinement à cet attendu ; il proclame la nécessité d’une formation qui, sans les négliger pour autant, ne se limite pas au développement scientifique et technique. André Malraux, dans sa Psychologie de l’Art, écrivait que " la culture est faite de tout ce qui permet à l’homme de maintenir, d’enrichir ou de transformer sans l’affaiblir, l’image idéale de lui-même qu’il a héritée ". La culture, ainsi définie, s’intègre parfaitement à la mission de formation que doit assurer l’université.
Depuis plusieurs années, notre université choisit, lors de sa fête patronale, un thème, une idée dont nous soulignons la signification ; nous avons ainsi mis l’accent sur les droits de l’homme, la coopération au développement, la responsabilité politique, la pédagogie. Nous décernons à cette occasion la plus haute distinction de l’université, le doctorat honoris causa, à des personnalités éminentes qui nous servent de modèles et de guides dans notre action. En cette année anniversaire, alors que nous inaugurons cette merveilleuse salle, vaisseau suspendu, jonction unique entre science, technologie, art et culture, le choix du thème " université et culture " s’imposait. Les fondateurs de Louvain-la-Neuve ont toujours voulu que notre université, dès sa renaissance en terre wallonne, s’entoure d’une ville qui, aujourd’hui, s’enorgueillit d’une intense activité théâtrale, de musique, de cinéma, de conférences, de débats. L’Aula Magna contribuera à la dimension culturelle de la formation universitaire ; elle servira la population voisine qui, en retour, développera un attachement croissant pour son université. Serait-il trop ambitieux de souhaiter aussi que certains étudiants universitaires puissent, durant leurs études, développer une créativité artistique ?
Notre communauté universitaire honore en ce jour des personnalités exceptionnelles dont la créativité, la qualité artistique, le culte du beau mais aussi la rigueur et l’humanisme, les placent au devant de la scène mondiale. Amin Maalouf incarne pour nous le confluent des cultures, comme en témoigne si bien Le périple de Baldassare, dans un style et une langue qui nous tiennent en haleine ; il aborde avec sensibilité le problème de l’identité, de la rencontre, de la reconnaissance de l’autre. Amin Maalouf est un passeur ; les ponts qu’il jette entre l’Orient et l’Occident n’ont fait que renforcer notre choix. Gerhard Richter est un peintre humaniste. Au-delà de la qualité intrinsèque de son œuvre tant acclamée sur le plan international, au-delà de sa créativité exceptionnelle renforcée par la diversité des supports, Gerhard Richter voit dans la peinture abstraite une réponse tangible à notre quête d’infini et de surnaturel. Jordi Savall, musicien, chef d’orchestre, pédagogue et chercheur, jouit d’une reconnaissance internationale pour sa redécouverte de la musique ancienne et la qualité de son interprétation dont l’exigence lui permet d’atteindre la perfection. Grâce à ses concerts et à sa discographie, de nouveaux mélomanes découvrent un champ musical dont ils n’avaient pas connaissance ainsi que la pureté de l’œuvre originale. Josef Svoboda est un magicien du théâtre. Doté d’un goût artistique où la finesse rivalise avec l’humour, il a permis à un nombre considérable de spectateurs de prendre goût au théâtre et de se fondre dans un univers de rêve. Bien malheureusement, Monsieur Josef Svoboda a dû être hospitalisé d’urgence il y a trois jours. Madame Milena Houzikova, qui a bien voulu venir recevoir l’étole que nous décernerons aujourd’hui à Monsieur Svoboda, nous dit que son état de santé s’est un peu amélioré. Nous lui adressons nos cordiales salutations et lui souhaitons un prompt rétablissement. Votre présence parmi nous, Amin Maalouf, Gerhard Richter, Jordi Savall, Madame Houzicova, est un grand honneur. Vous êtes à la fois l’âme de notre fête et une source d’inspiration pour notre avenir.
Toute la symbolique de notre journée connaîtra son apothéose ce soir lors de la création, par des solistes et musiciens prestigieux placés sous la baguette de Jordi Savall, de l’œuvre que Pierre Bartholomée et François Jongen ont écrite pour notre université. Le travail de Pierre Bartholomée, qui a voulu associer les instruments anciens, la forme de l’oratorio et adopter un style résolument contemporain, tout en suivant un livret qui intègre les joies et les tragédies de l’université, ne pourrait mieux correspondre aux sentiments que ressent aujourd’hui notre institution : le respect de son passé joint à la volonté de modernité et de créativité pour construire son avenir.

 

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Dernière mise à jour : 3 mai 2001 - Responsable : Jean Blavier - Contact : Joseline Polomé