575ème anniversaire de l'Université catholique de Louvain
De bon air et dheureuses vues doit être la ville où lon veut établir un collège, pour que les maîtres qui enseignent les savoirs et les écoliers qui les reçoivent, puissent y vivre sainement, puissent sy récréer et recevoir du plaisir, le soir, quand ils achèvent, fatigués, leur temps détude ".(1) C'est en ces termes que le grand roi castillan du XIIIe siècle, Alphonse X le Sage, définissait le cadre où devaient se développer les futures universités (2), au sein d'une société caractérisée par la co-existence des trois cultures, juive, chrétienne et musulmane, dont Amin Maalouf a si bien su évoquer les derniers jours dans Léon l'Africain. A n'en pas douter, Louvain-la-Neuve répondrait au voeu du monarque : à la fois bucolique et urbaine, carrefour de cultures, lUCL est une université à taille humaine qui se donne cependant les moyens de croître. C'est précisément de cette croissance que l'aula magna nous offre aujourd'hui un signe éclatant. Mais... l'université comme lieu de croissance : qu'est-ce que cela implique, qu'est-ce que cela exige? Tout d'abord, sans doute, il importera chaque jour davantage de définir la croissance de l'université en termes quasi exclusivement qualitatifs. Les décisions liées à la réforme et au développement des diverses activités universitaires (recherche, enseignement, services, etc.) devront se prendre dans des enveloppes relativement fermées, que ce soit du point de vue du financement ou du nombre d'étudiants. Il en va de notre université comme de notre bonne vieille planète terre. Selon Albert Jacquard, autre docteur honoris causa de l'UCL, " Le cadeau le plus riche rapporté par Armstrong et Aldrin de la mer de la tranquillité [...], c'est la photographie de notre Terre vue au loin [...]. Elle est bleue, elle est belle, surtout elle est petite. [...] Pour l'Homme, le temps du monde fini commence". Les jeunes académiques éprouvent à leur échelle les nouvelles données de ce " monde fini " où le mythe de la croissance infinie apparaît non seulement comme irréaliste mais dangereux. Je voudrais, aujourdhui, faire avec vous le pari d'une croissance où l'effort le plus important serait consenti sur les conditions de possibilité de celle-ci, dans la confiance que le dynamisme créateur de la vie fera le reste. Comment définir de telles conditions de possibilité? Sur le plan individuel, d'abord, il me semble que l'université doit accentuer le mouvement dans lequel elle est déjà engagée et qui tend à concevoir les trajectoires personnelles en termes de projet. C'est très clair en ce qui concerne les étudiants (même si ceux-ci ne le perçoivent pas toujours), ainsi que le manifestent les réformes en cours, de " Gérer sa formation " aux DEA actuellement en chantier. C'est, me semble-t-il, moins clair en ce qui concerne les professeurs, et tout particulièrement les plus jeunes d'entre eux. Pour ceux-ci, la possibilité d'articuler leur projet, condition sine qua non de leur rayonnement scientifique et de leur développement personnel, nécessite un contrat de départ établi en toute clarté. A l'avenir, il conviendra tout particulièrement de veiller à éviter toute distorsion entre tâches effectivement accomplies et évaluation. En effet, une part grandissante de missions nouvelles incombe aux académiques, même jeunes (services, formation, gestion, administration, etc). Cependant, cette diversité des missions est peu reflétée dans les modes d'évaluation qui portent principalement sur les performances de la recherche. L'évaluation de ces performances elle-même fait problème. La nécessité de publier dans des revues, souvent lointaines et rédigées en anglais, met de facto la reconnaissance de la production intellectuelle de notre université dans la dépendance d'une nouvelle hégémonie, à propos de laquelle on peut se demander pourquoi tous, ou presque, semblent l'accepter comme une fatalité inévitable, voire, par son caractère éminemment sélectif, bénéfique. Certes, l'espace de la recherche est bien celui du village planétaire, mais à moyen et long terme, il importe d'imaginer de nouveaux modes de diffusion scientifique, plus décentralisés, plus souples et moins coûteux, moins tributaires également de l'académie nord-américaine. Un engagement résolu dans les publications électroniques et une redynamisation de celles émanant, en partie au moins, de l'université elle-même, pourraient ouvrir des pistes dans cette voie. Si nous abordons la question de la croissance de l'université dans son ensemble, là aussi, il convient de la penser à l'échelle du " monde fini ". Une université complète, telle que nous l'avons connue jusqu'ici, semble difficile à maintenir à moyen ou long terme. Quels critères allons-nous appliquer pour opérer les choix délicats des secteurs à privilégier? Il est sans doute prématuré de tenter de répondre à cette question. Je plaiderais, quant à moi, pour le maintien d'un équilibre entre les grandes orientations qui ont fait la catholicité, c'est-à-dire, l'universalité et lhumanisme, de notre université. Que l'obtention de financements par le biais des collaborations avec le monde des entreprises n'occulte jamais la valeur d'autres approches scientifiques pour lesquelles ce type de synergie est plus difficile à mettre en oeuvre. La musique comme la littérature, le théâtre comme la peinture, soffrent à nous comme des lieux d'interpellation radicale, des laboratoires de mondes possibles, et en cela, leur fréquentation assidue est indispensable pour imaginer et construire l'université que nous fêterons lors de son 600ème anniversaire, dans un peu moins de 25 ans. Geneviève Fabry (1). Partida segunda, título XXXI, ley I. Cité par Guillermo Díaz-Plaja, Antología mayor de la literatura española, vol. I, Barcelona, Ed. Labor, 1969, p. 308.
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