Doctorats Honoris Causa 2001 Université et culture : Discours des étudiants. Messieurs Josef Svoboda, Jordi Savall, Gerhard Richter et Amin Maalouf, lUniversité Catholique de Louvain a décidé de vous octroyer le titre de docteur Honoris Causa. Par cet acte elle reconnaît limportance à la fois pour notre université et pour la société en général de la place du théâtre, de la musique, de la peinture et de lécriture. Messieurs à travers vos arts vous symbolisez ce à quoi chacun dentre nous aspire : le temps de prendre du recul face aux événements de la vie, de proposer et de partager avec lensemble de la collectivité une définition de sa vision du monde, en dautres termes se libérer un espace d'écoute, dimagination et de création par rapport au monde qui nous entoure. Une société qui nadopte pas ces attitudes est vouée à se refermer sur elle-même. Une université qui refuse cette démarche est condamnée au même sort. Malheureusement messieurs, vos explorations et aventures artistiques relèvent d'un luxe de plus en plus rare pour la majorité dentre nous. En effet, la prégnance croissante de lesprit de compétition et de rentabilité nous contraint à une course effrénée, en nous niant tout retour sur soi et sur le monde faute de temps. Nos relations sont ainsi empreintes de vitesse et déphémères. Le besoin pressant de résultats nous oblige à aller toujours plus vite, à être plus performant. Prenons-nous encore quelques instants pour sarrêter et respirer ? Luniversité et lenseignement, à la fois miroirs et acteurs de notre société, ne sont pas épargnés par cette spirale. En effet, en tant que représentant des étudiants de notre institution, je ne puis m'empêcher de vous partager mon inquiétude. Face aux mutations quil subit actuellement, sous la pression des logiques décrites il y a un instant, notre enseignement, patrimoine et vecteur de transmission de notre culture, est mis en péril. Le risque est réel de mettre à mal des acquis durement conquis tel que la démocratisation des études et leur organisation publique, garante de leur l'accessibilité et de leur indépendance intellectuelle. Je fais ici allusion à la réforme dite 3-5-8 portant sur l'harmonisation des cursus détudes en Europe. Au-delà des objectifs -certes louables- de mobilité et déquivalence des diplômes, cette réforme confirme lébranlement de la conception culturelle de notre enseignement. La finalité du diplôme professionnalisant risque de réduire les rapports au savoir à la seule logique instrumentale déjà omniprésente dans le marché du travail. Quelle sera alors la place des cours de formation générale qui composent la dimension humaniste et critique de léducation, et qui constituent une partie du fondement réflexif de notre culture. Que dire de la dévalorisation subséquente des filières dites non-rentables ou non finançables qui vont au-delà de la simple acquisition de compétences. Enfin il existe un sérieux danger d'une augmentation du minerval pour laccès au master, et de voir ainsi renforcer des inégalités sociales et culturelles que notre enseignement public sétait efforcé de réduire. En résumé, lidée de privatisation de lenseignement et de la formation ne provient pas de fabulations estudiantines. Les dérives de cette réforme sont bien réelles. Lenseignement, au même titre que les autres secteurs du service public, néchappe pas dans la redéfinition de ses missions et de son mode de fonctionnement, à une influence croissante de la pensée néo-libérale. Il est urgent que cette réforme qui concerne le devenir culturel de notre société soit largement débattue sur la scène publique. Or, qui serait capable de nous situer clairement le contexte, le contenu et lavenir que cette réforme nous réserve? Dune part, les principaux intéressés, professeurs et étudiants commencent à peine à être informés de son existence tandis que la société civile lignore totalement. Dautre part, un sentiment de résignation est perceptible parmi ceux qui en sont déjà au courant malgré que les critiques que lon formule à son égard sont des plus légitimes dans une société démocratique. N'entendons-nous pas dire partout que ces réformes nous dépassent, que nous navons pas dinfluence sur elles et que de toute façon nous navons ni le choix ni le temps dy penser ? Dès lors, ne laissons pas notre culture être définie par des technocrates ou des lobbies mus par leurs intérêts propres, bien éloignés de nos préoccupations douverture et d'égalité. Messieurs , vous êtes encore parmi ceux qui ont la chance d'échapper à cette spirale qui aliène notre temps et altère donc nos facultés à formuler nos représentations du vivre ensemble. Une des clés de votre réussite réside sans doute dans les moyens que vous vous accordez: le temps de la réflexion et la passion de laction. Votre démarche artistique, même si elle diffère sensiblement de la démarche scientifique, suggère néanmoins un art de vivre qui nous fait défaut, même ici au sein de notre Université. En vous fêtant, il ne sagirait pas que vous serviez dalibi à nos désenchantements mais bien que nous inaugurions tous ensemble une nouvelle ère
Je vous remercie. Alexandre Chaidron, président de lAssemblée générale des étudiants 2000-2001 |