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pucechim.gif (931 octets) Bulletin trimestriel - VOL 54, N°4, 1998
Déformations et inadaptations: mauvais repliement des protéines et maladies.
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Les protéines occupent une place centrale dans le fonctionnement des cellules des êtres vivants. Elles y jouent en effet tous les rôles imaginables, depuis la catalyse des réactions chimiques jusqu'à la défense contre les attaques d'agents étrangers. Notre capacité à nous déplacer dépend de protéines présentes sous la forme de muscles. Les os qui constituent l'architecture interne de l'organisme doivent leur résistance à une matrice de protéines collagènes. Qu'une cellule se divise ou non ou qu'elle devienne cancéreuse ou non dépend de l'activité régulatrice de protéines. Le secret de cette remarquable variété de fonctions réside en ce que les protéines peuvent présenter une très large gamme de conformations et peuvent avoir des propriétés chimiques très différentes.

Une protéine est synthétisée en accrochant à la queue leu leu une série d'acides aminés. La chaîne ainsi constituée se replie ensuite pour fournir la forme active de la protéine. La séquence d'acides aminés dans la chaîne, choisis parmi les quelque 20 types différents disponibles, détermine la conformation finale de la protéine repliée. Les résidus d'acides aminés importants pour l'activité sont souvent fort éloignés les uns des autres dans la chaîne linéaire mais sont amenés à se disposer à proximité l'un de l'autre et dans un alignement parfait suite au repliement. Il peut en résulter par exemple le site actif d'un enzyme destiné à réagir avec un substrat spécifique ou alors un agrégat de résidus soit hydrophobes soit chargés électriquement destinés à interagir avec une surface complémentaire sur une autre molécule. Cette conformation de protéine, totalement repliée, correspond à la forme la plus stable et donc, dans des conditions idéales, de nombreuses protéines vont spontanément adopter cette conformation à partir de l'état linéaire initial. La compréhension du code qui prédétermine la conformation à partir de la séquence d'acides aminés représente un des grands problèmes, non encore résolus, de la science.

Les chaperons moléculaires ou comment gérer le stress.

La plus grande partie de nos connaissances concernant le repliement des protéines est le résultat d'expériences en tubes à essai dans des conditions hautement contrôlées. Toutefois l'intérieur d'une cellule vivante est, comparé à de telles conditions, bondé et chaotique et les protéines peuvent rencontrer une série de problèmes très variés durant le processus de repliement. Des protéines partiellement repliées ont des surfaces non protégées, collantes. Si ces surfaces se collent les unes aux autres, le processus de repliement déraille et les conséquences en sont terribles pour la cellule. C'est ici que les gardiens cellulaires du repliement des protéines entrent en jeu.

Les chaperons moléculaires, tout comme leurs homologues victoriens, empêchent les interactions déplacées. Ils constituent une classe de protéines communes à tous les organismes vivants depuis les bactéries jusqu'aux êtres humains et sont essentiels au fonctionnement normal de la cellule. Les chaperons sont aussi connus comme des protéines de stress ou de choc thermique car ils doivent fonctionner sans trêve et sans repos lorsque la cellule est mise sous pression du fait d'événements tels que température excessive, empoisonnement ou maladie. Des chaperons différents interagissent avec la protéine à différents étapes de sa vie. Certains chaperons sont importants pour maintenir la protéine non repliée jusqu'à ce que sa synthèse soit terminée ou jusqu'à ce que la protéine ait été transférée au travers d'une membrane vers le compartiment cellulaire auquel elle est destinée. D'autres sont là pour protéger les protéines lors de leur repliement de telle sorte que les régions exposées, vulnérables, ne se retrouvent pas impliquées dans des enchevêtrements malencontreux. Certains chaperons se lient à des récepteurs d'hormones et agissent en tant qu'"assortisseurs", rassemblant des molécules qui contrôlent la croissance et le sort des cellules individuelles. Enfin certains chaperons sont impliqués dans la dégradation et le recyclage des protéines vieillies ou mal-conformées.

Lorsque le repliement des protéines déraille.

Malgré un maintien de l'ordre des processus cellulaires aussi strict, des problèmes apparaissent néanmoins. Un mauvais repliement des protéines constitue apparemment la cause d'une série de maladies. De nombreuses maladies sont provoquées par une mutation dans un gène spécifique, ce qui produit dès lors une protéine modifiée. La mutation a pour conséquence que l'activité originelle de la protéine est perdue ou modifiée. Un changement dans la chaîne latérale de l'acide aminé provoqué par la mutation peut éliminer les groupes chimiques requis pour la catalyse enzymatique. Dans d'autres cas, la mutation désorganise la structure de la protéine, ce qui affecte sa stabilité ou provoque un mauvais repliement. Une protéine mutée, instable, peut être escortée par un chaperon loin de l'endroit où elle devrait normalement se trouver et dès lors ne jamais remplir le rôle qui lui était assigné.

Le cancer constitue un exemple d'une maladie due à un manque de stabilité d'une protéine modifiée. La division cellulaire est normalement soigneusement contrôlée par des protéines connues pour être des suppresseurs de tumeurs. Si la fonction de suppresseur de tumeur est perdue du fait de la mutation dans une cellule particulière (une mutation somatique), la cellule se met à se diviser sans arrêt et un cancer s'ensuit. Plus de la moitié des cancers chez l'être humain sont associés à des mutations dans le gène suppresseur de tumeurs p53, dont certaines diminuent la stabilité de la protéine p53. Normalement si les cellules sont endommagées ou présentent des signes de cancer, la protéine p53 induit une cascade d'auto-destruction cellulaire (apoptose). Lorsque cette protéine est trop instable pour mener à bien sa fonction normale, ce mécanisme de sécurité est perdu.

Dans d'autres cas, la mutation induit un mauvais repliement de la protéine avec pour conséquence le fait qu'elle devient incapable d'occuper la place qui lui était assignée. La cause la plus fréquente de la fibrose cystique est due à une seule mutation dans une protéine qui normalement transporte des ions au travers de la paroi cellulaire. La fonction normale est perdue parce que la mutation affecte le repliement de la protéine de sorte que celle-ci devient incapable d'occuper la place où elle est requise dans la cellule.

L'emphysème, une maladie des poumons, est parfois provoquée par des mutations dans la protéine alpha-1-antitrypsine qui est fabriquée par des cellules du foie. La protéine défectueuse reste dans le foie dans une conformation anormale au lieu d'être emportée par la circulation sanguine. Ceci signifie qu'elle n'est pas disponible pour sa fonction protectrice normale dans les poumons et son accumulation dans le foie y provoque également des dommages. Myeong-Hee Yu et ses collaborateurs à l'Institut coréen des Sciences et de la Technologie ont étudié le repliement de cette protéine et ont montré que la mutation induit la protéine à se replier beaucoup plus lentement que normalement en passant par un état intermédiaire de longue durée de vie. Cet intermédiaire partiellement replié a tendance à s'agglomérer, ce que la protéine totalement repliée ne fait pas.

De nombreux autres exemples sont progressivement découverts où la cause de la maladie peut être reliée à l'effet d'une mutation soit héritée génétiquement soit somatique sur la stabilité ou le repliement d'une protéine. Dès lors on peut imaginer de traiter une large gamme de maladies en développant des moyens de stabiliser des protéines. Un tel type de traitement est constitué par la thérapie génétique où une nouvelle copie du gène est introduite dans les cellules pour compenser celui qui est défectueux. De même que certaines mutations diminuent la stabilité des protéines, il est possible de créer des protéines mutées superstables lesquelles pourraient être des agents thérapeutiques particulièrement efficaces. Une autre approche consiste à fabriquer des médicaments qui se lient à la protéine mutée et augmentent dès lors sa stabilité, ce qui lui permet de retrouver son activité normale.

Les maladies amyloïdes.

Une cause de maladie plus difficile à expliquer est celle où une protéine apparemment normale adopte une conformation tout à fait différente de la normale. Il y a toute une série de maladies où différentes protéines polymérisent en fibres linéaires, cristallines et insolubles, une forme de protéines connue sous le nom d'amyloïdes. Dans l'amyloïdose systémique, la protéine polymérisée se retrouve dans tout le corps. Il y a aussi un certain nombre de maladies neurologiques où les amyloïdes se rassemblent dans le cerveau, l'exemple le plus commun étant la maladie d'Alzheimer.

Amyloïdose systémique.

Il y a de nombreux types d'amyloïdose systémique et dans chaque cas c'est une protéine différente qui se dépose sous la forme d'amyloïde. Les protéines normales sont très différentes en ce qui concerne leurs séquences et leurs conformations mais dans tous les cas la conformation du polymère résultant est essentiellement la même. On pense qu'elles peuvent toutes partager la capacité de former un intermédiaire partiellement replié qui a alors tendance à polymériser de cette façon.

Un des exemples les mieux compris implique le dépôt de la protéine transthyretin (TTR). L'amyloïdose systémique sénile affecte un quart de la population de plus de 80 ans. Celle-ci se manifeste souvent par une insuffisance mécanique du coeur due à une congestion du fait de dépôts amyloïdes de TTR dans le coeur. Dans ce cas la compréhension du mécanisme de la formation de l'amyloïde est facilitée par l'existence d'une maladie apparentée, la polyneuropathie amyloïdotique familiale provoquée par des mutations dans le gène TTR. Un certain nombre de ces mutations déstabilisent la structure tétramérique normale du TTR en faveur du monomère. Dans certaines conditions, ce monomère a tendance à polymériser en amyloïde qui se rassemble sous forme de dépôts dans tout l'organisme, provoquant des symptômes tels qu'engourdissement ou faiblesse. La fonction normale de la TTR est de transporter la thyroxine au sein de la circulation sanguine. Alors qu'il était à l'Université A et M du Texas, J. Kelly et ses collaborateurs ont montré que non seulement la thyroxine mais aussi le 2,4,6-triiodophénol, un ligand synthétique, stabilisent le tétramère TTR contre la dissociation et inhibent dès lors la formation d'amyloïdes. Ceci prouve la possibilité, ô combien excitante, d'utiliser de petites molécules comme agents thérapeutiques dans des maladies dues à un mauvais repliement des protéines.

La maladie d'Alzheimer.

Dans cette maladie le cerveau s'encrasse avec des amas de protéines repliées de façon anormale et emmêlées. D'habitude les cerveaux de ceux qui souffrent de la maladie d'Alzheimer contiennent deux types de dépôts protéiniques : des plaques amyloïdes, contenant des protéines amyloïdes de type bêta (A bêta), et des lésions aux cellules nerveuses elles-mêmes, contenant une protéine appelée tau. A bêta et tau sont toutes deux dérivées de protéines produites normalement dans le cerveau. Des processus chimiques anormaux changent les caractéristiques des protéines, leur donnant une haute tendance à se rassembler sous la forme de fibres qui s'enchevêtrent ensuite à la façon de cheveux emmêlés. Dans le cas des plaques amyloïdes, la protéine normale est coupée à une certaine place et forme une chaîne d'acides aminés plus courte. La protéine tau perd sa fonction normale et se replie mal lorsque trop de groupes phosphates sont accrochés aux chaînes latérales des acides aminés. La recherche se poursuit pour découvrir pourquoi cette hyperphosphorylation se produit.

Quoique la plupart des cas de maladie d'Alzheimer apparaissent apparemment au hasard, certaines personnes présentent des mutations dans leurs gènes, qui les rendent plus susceptibles d'attraper la maladie. Jusqu'à présent, on a découvert quatre gènes liés à la maladie dont tous influencent la formation des plaques amyloïdes. Le gène qui encode le peptide A bêta est situé sur le chromosome 21. Les personnes qui souffrent du syndrome de Down (mongolisme) possèdent une copie supplémentaire du chromosome 21. Ils produisent dès lors plus de protéine A bêta que les autres gens et ils ont tendance à développer la maladie d'Alzheimer à un âge moins avancé. Des mutations dans la protéine précurseur de A bêta augmentent la probabilité de la maladie en la rendant plus prône à être coupée pour former la chaîne amyloïdogénique.

Les autres gènes de la maladie d'Alzheimer héréditaire sont appelés ApoE, préséniline 1 et préséniline 2. Le fait d'hériter une certaine variante (ou allèle) du gène ApoE, appelé ApoE4, se traduit par une augmentation de la densité des dépôts de A bêta. Dès lors il semble que cet allèle facilite la formation des amas fibreux. Les mutations dans les gènes présénilines modifient la position précise de la rupture du peptide A bêta. Ainsi la majorité des peptides A bêta ont une longueur correspondant à 40 acides aminés. Toutefois, lorsque la chaîne est coupée de telle sorte qu'il y ait deux acides aminés de plus, le peptide résultant, légèrement plus long, forme plus facilement des fibres insolubles.

La maladie de Parkinson.

Des études récentes semblent indiquer que la maladie de Parkinson puisse aussi être due à un mauvais repliement d'une protéine. Sous l'influence de cette maladie, on perd progressivement le contrôle des mouvements volontaires parce que les cellules nerveuses (ou neurones) qui produisent de la dopamine sont progressivement détruites. Comment et pourquoi cela se fait-il n'est pas encore compris. Actuellement le traitement de la maladie de Parkinson consiste à fournir de la dopamine synthétique pour compenser celle manquante. Au fur et à mesure que la maladie progresse, cette thérapie de remplacement cesse de faire de l'effet. De nouvelles approches actuellement en développement tendent à protéger ou à régénérer les cellules nerveuses atteintes. Ce qui n'a pas encore été tenté, c'est de s'attaquer à la racine de la maladie.

Les cerveaux des individus atteints par la maladie de Parkinson contiennent des dépôts protéiniques, connus sous le nom de corps de Lewy, analogues aux plaques amyloïdes de la maladie d'Alzheimer. Ces dépôts contiennent des fibres composées de la protéine alpha-synucléine. Il y a quelques cas rares de maladie de Parkinson héréditaire et ces individus présentent une mutation dans le gène de l'alpha-synucléine. Normalement la protéine alpha-synucléine possède une conformation très flexible, non structurée.

Ceci est la marque des protéines impliquées dans les interactions entre protéines, lesquelles adoptent alors une conformation plus rigide lorsqu'elles sont liées à une autre protéine. La protéine tau de la maladie d'Alzheimer possède également cette propriété. Il est possible que la mutation dans l'alpha-synucléine affecte sa capacité à interagir avec son partenaire protéinique normal et le laisse dès lors seul et capable de se fourvoyer en un repliement délétère. Ou alors la mutation peut induire l'alpha-synucléine à s'agglutiner avec ses semblables.

Les corps de Lewy sont aussi observés dans un certain type de démence. Il est probable qu'il y ait un lien causal entre la présence des corps de Lewy et la destruction des neurones aussi bien dans le cas de cette démence que dans la maladie de Parkinson. Il est intéressant de constater qu'un fragment peptidique de l'alpha-synucléine est aussi présent dans les plaques amyloïdes de la maladie d'Alzheimer. Ce peptide est cent fois moins soluble que l'alpha-synucléine complète et les fibrilles de ce peptide servent de germes pour la formation des fibrilles de protéines A bêta. La protéolyse de l'alpha-synucléine peut donc jouer un rôle important dans le développement de la maladie d'Alzheimer. La compréhension de la raison pour laquelle des protéines telles que l'alpha-synucléine, l'A bêta et le tau se replient de façon erronée dans le cerveau pourrait constituer la clé permettant de traiter toute une gamme de désordres neuro-dégénérescents.

Les maladies à prions.

Une des maladies majeures qui aient fait la une des journaux ces dernières années, tout au moins au Royaume-Uni, a été la maladie de Creutzfeld Jacob, spécialement en vue d'un lien possible avec son équivalent bovin, l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Les symptômes initiaux de cette maladie sont la dépression, des modifications de la personnalité ou des difficultés à contrôler ses mouvements. La maladie progresse de façon irrémédiable vers la démence profonde et la mort. Tout comme la maladie d'Alzheimer et la maladie de Parkinson, la maladie de Creutzfeld Jacob se présente à la fois comme une maladie sporadique et comme une maladie héréditaire. La forme héréditaire est liée à des mutations dans un seul gène appelé PrP. Les patients qui meurent de la forme héréditaire de la maladie présentent des dépôts insolubles de la protéine PrP (ou prion) dans leur cerveau. On trouve les mêmes plaques protéiniques dans le cas de la maladie sporadique.

Jusqu'ici, tout ceci ressemble à la n ième description d'un thème récurrent. La différence c'est que la maladie de Creutzfeld Jacob et les maladies apparentées semblent être de nature infectieuse. Un certain nombre de gens ont attrapé cette maladie suite à des traitements à l'hormone de croissance humaine ou suite à des transplantations de cornées provenant d'individus eux-mêmes atteints. Une autre forme de la maladie, connue sous le nom de Kuru, avait été observée anciennement parmi les populations tribales de Nouvelle Guinée et était due à des pratiques de cannibalisme rituel. Il semble bien également que l'ESB puisse être transmise aux êtres humains par consommation d'aliments infectés. La maladie de Creutzfeld Jacob, le Kuru et l'ESB peuvent toutes trois être transmises aux singes par injection directe dans le cerveau de matériel infecté.

Qu'est-ce qu'un prion?

On a pour la première fois remarqué la nature inusuelle des agents infectieux dans les maladies à prion dans le cas de moutons souffrant de l'équivalent de la maladie de Creutzfeld Jacob, connu sous le nom de tremblante du mouton. Une des expériences les plus dramatiques de transmission de la maladie a été en fait totalement accidentelle : on a administré à un grand nombre de moutons un vaccin contre un virus commun, lequel avait été obtenu en utilisant du matériel provenant d'un mouton infecté par la tremblante. Cet agent de la tremblante était non seulement résistant aux traitements antibactériens et antifongiques tels que la formaline (solution de formaldéhyde dans le méthanol et l'eau) ou l'ébullition pendant plusieurs heures, mais aussi aux traitements par des enzymes qui digèrent l'ARN et l'ADN et qui devraient dès lors détruire les virus. De plus, le traitement par irradiation UV en vue de détruire le matériel génétique n'a pas diminué l'infectivité de l'agent, et l'inactivation par les radiations ionisantes a montré que l'agent était plus petit que tout virus connu à l'époque.

Ces résultats étonnants ont conduit à la suggestion encore toujours controversée que l'agent infectieux puisse être en fait une protéine et à la formulation de ce qui est connu à présent sous le nom de l'hypothèse de la seule protéine. Le mathématicien anglais John Griffith a suggéré en 1967 que l'agent infectieux puisse être un conformère modifié d'une protéine normale, qui pourrait agir comme "patron" pour convertir la forme protéinique normale en la forme pathogénique. Cette suggestion explique aussi bien les occurrences sporadiques qu'héréditaires ou infectieuses.

Quelque dix ans plus tard, Stanley Prusiner de l'Université de Californie à San Francisco entreprit d'étudier cette énigme scientifique et le prix Nobel de médecine 1997 lui fut attribué pour sa contribution à la recherche dans ce domaine. Prusiner réussit à purifier l'agent infectieux et trouva que le constituant majeur était une protéine qu'il appela la protéine prion (PrP). Cette protéine est présente dans les cerveaux non infectés mais sous une forme différente et soluble.

Peut-être l'argument le plus puissant en faveur de l'idée que la PrP des cerveaux infectés puisse d'une façon ou d'une autre convertir la PrP normale en la forme qui provoque la maladie provient-il de la création de souris modifiées génétiquement et démunies du gène correspondant : on ne parvient pas à les infecter. Toutefois la controverse demeure, dû au fait que la dose infectieuse est tellement grande, plus de 1O5 molécules de PrP. Il n'est pas certain que de petites quantités de matériel génétique infectieux ne soient pas présentes à côté de la protéine. Jusqu'à présent, toutes les tentatives pour produire la protéine infectieuse dans un tube à essai à partir de la forme normale ont échoué. De plus, la maladie à prion a été observée sans accumulation apparente de PrP insoluble. Il convient de remarquer que très peu de choses sont connues sur la fonction normale du PrP. Les souris sans gène PrP ne semblent présenter aucune anomalie à part quelques problèmes de sommeil. Il est évidemment difficile de juger si une souris consanguine vivant dans un laboratoire se comporte normalement.

La structure et la stabilité de la protéine prion mammalienne ont été étudiées par un certain nombre de laboratoires et certains faits intéressants ont pu être mis en évidence. La structure est relativement flexible et instable et se modifie avec les propriétés de la solution telles que le pH. La protéine possède une longue queue sans structure organisée quelconque et ceci pourrait constituer un point de départ pour des changements conformationnels pathogéniques. Toutefois, en vue d'obtenir des quantités suffisantes pour de telles études, il faut produire et purifier la protéine à partir de bactéries plutôt que de cerveaux. Dans le cas du PrP, ceci occasionne un certain nombre de problèmes. En effet, la forme naturelle de la protéine possède des sucres attachés de façon covalente et la protéine est ancrée à la surface de la membrane cellulaire au moyen d'un groupe glucosylphosphatidylinositol. Tout ceci pourrait modifier le repliement et la structure et devrait presque certainement affecter la solubilité et l'agglutination de la protéine. Malheureusement, la présence de ces groupes supplémentaires et en particulier la probabilité d'avoir un mélange de formes différentes repousserait probablement de telles études structurales au-delà de ce qui est techniquement possible.

L'hypothèse de la seule protéine - un nouveau code génétique?

L'idée que la conformation puisse être transmise d'une molécule de protéine à une autre est apparemment contraire à un dogme fondamental de la science, à savoir que l'information biologique héritable est toujours encodée par les acides nucléiques. Toutefois, on peut trouver un argument en faveur d'une héritabilité génétique basée uniquement sur des protéines dans une propriété très spéciale de la levure de bière.

Il y a deux protéines de type prion dans la levure connues sous les noms de Sup35 et Ure2p. Ces protéines ont très peu en commun avec PrP et sont impliquées dans des activités aussi diverses que le métabolisme de l'azote et le contrôle de la transcription de l'ADN en ARN. Elles représentent ce qui est connu sous le terme d'éléments génétiques non-Mendéliens, du fait que l'héritabilité des traits associés (ou phénotypes) est liée au cytoplasme de la cellule et non à l'ADN chromosomique. D'habitude les éléments génétiques non-Mendéliens sont constitués de petits morceaux d'ADN ou d'ARN flottant librement dans le cytoplasme de la cellule. Toutefois, dans ce cas, la seule chose supplémentaire libre dans le cytoplasme est constituée d'une protéine agglutinée, ressemblant quelque peu à une plaque amyloïde. La forme normale de la protéine est produite au départ de l'ADN chromosomique. Si la forme prion se trouve dans le cytoplasme, elle oblige toute protéine normale présente dans les environs à se coller à elle sous forme d'agrégat et le phénotype normal est perdu. Lorsque la cellule de levure se divise pour former la génération suivante, certains agrégats sont transmis et le phénotype anormal avec eux. Dès lors, dans le cas de la levure, il semble qu'il y ait des exemples d'héritabilité basés sur la conformation des protéines.

Ensemencement des cristaux dans la formation des plaques amyloïdes.

Une seconde exigence hérétique pour qu'une protéine soit l'agent infectieux est la capacité d'avoir plus d'une structure stable à l'état replié. Un phénomène étonnant dans les infections à prion est l'existence de variétés semblables à des souches microbiennes. Des variétés de prions différentes induisent de façon reproductible des symptômes, des temps d'incubation et des types de maladie différents dans le cerveau. Il y a des indications qui donnent à penser que les variétés pourraient être liées à différentes conformations structurales de la protéine prion. Est-ce que ceci s'oppose à la doctrine selon laquelle une séquence d'acides aminés donnée mène à une seule structure protéinique dans l'organisme?

Une protéine repliée ne possède pas une structure rigide. Elle est constamment occupée à se dérouler et à se ré-enrouler pour retrouver sa forme normale. Les détails de la structure repliée peuvent varier avec les conditions de la solution environnante, comme c'est le cas avec le PrP. Lorsque les structures protéiniques sont résolues par cristallographie aux rayons X, on peut souvent voir différentes formes cristallines pour une même protéine. Ceci peut résulter soit de différences dans les contacts d'empaquetage cristallin entre molécules de protéines soit de différences dans la façon dont des parties d'une molécule individuelle s'arrangent entre elles. Marianne Schiffer et ses collaborateurs au Laboratoire National d'Argonne dans l'Illinois ont résolu les structures de trois formes cristallines différentes d'une partie d'un anticorps, produites en modifiant les conditions ioniques et de pH. Les trois structures protéiniques sont semblables mais de petites différences au niveau moléculaire se traduisent par des différences dans la symétrie globale du réseau cristallin. De même que de petits cristaux d'une protéine (ou d'une autre substance chimique) peuvent être utilisés pour provoquer la croissance de cristaux plus gros, de petits fragments de filament amyloïde ou prionique peuvent être utilisés comme germes pour bipasser le temps nécessaire à la formation des fibres.

Si la protéine PrP elle-même est de fait l'agent infectieux de la maladie à prions, elle peut réaliser ceci en agissant comme un germe en aidant les protéines normales à sauter la barrière menant à un mauvais repliement. Différentes variétés pourraient provenir de différents empaquetages cristallins dans un agrégat ordonné. Un argument supplémentaire en faveur du rôle d'un changement conformationnel d'une protéine dans les maladies à prion provient de l'implication apparente de chaperons moléculaires lesquels sont connus pour faciliter le repliement et l'agglutination des protéines.

Des agents thérapeutiques potentiels.

La maladie d'Alzheimer affecte de 15 à 20 millions de personnes dans le monde et on s'attend à ce que le nombre de cas double dans les trente prochaines années en relation avec l'augmentation de l'espérance de vie. Au Royaume-Uni, on craint une augmentation du nombre de cas de la maladie de Creutzfeld Jacob suite à l'épidémie d'ESB. Il est dès lors essentiel que l'on essaie de prévenir ou de maîtriser les effets dévastateurs de ces maladies. Il n'y a pour l'instant aucun traitement efficace des maladies amyloïdes mais quelques candidats agents thérapeutiques prometteurs commencent à émerger. Ainsi l'anthracycline iodo-4'-deoxy-4'-doxorubicine (IDX) se lie aux fibrilles amyloïdes et induit leur résorption chez les patients souffrant d'amyloïdose systémique. L'IDX augmente également les temps d'incubation et de survie des rats infectés par la tremblante du mouton en inhibant l'accumulation de l'amyloïde de PrP.

Certains polyanions, en particulier les sucres sulfatés, inhibent la propagation des prions dans les animaux et dans les cellules mammaliennes en culture. Un autre exemple est le rouge Congo; en fait, la fixation de ce colorant est utilisée comme caractéristique standard des fibres amyloïdes. Le mécanisme par lequel ces composés inhibent la formation des fibrilles n'est pas complètement compris. L'inconvénient de ces produits chimiques en termes de traitement est qu'ils ne traversent pas aisément la barrière entre le sang et le cerveau de sorte qu'ils doivent être injectés directement dans le cerveau. Le défi pour les chimistes sera de trouver des médicaments efficaces, destinés au cerveau, mais qui puissent être pris par une voie plus pratique.

Beaucoup de travaux ont déjà été consacrés à essayer de comprendre la réaction chimique qui permet à une protéine de se replier à partir d'un ensemble de conformères d'une chaîne d'acides aminés disposés linéairement au hasard pour former une structure tridimensionnelle exquisément complexe. Il est possible de décrire en détails les structures et les énergies des différentes espèces sur le chemin du repliement de la protéine, y inclus les intermédiaires et les états de transition. Les techniques qui ont été développées pour étudier le repliement des protéines en tant que processus biologique fondamental, sont appliquées à présent pour comprendre le mauvais repliement d'une protéine en tant que cause de maladie. Comprendre comment et pourquoi une protéine se replie mal constitue la clé pour découvrir des stratégies en vue d'influencer le processus et dès lors de prévenir ou guérir la maladie.

L'emploi de petites molécules comme agents thérapeutiques a déjà montré une certaine utilité pour prévenir la formation d'amyloïdes. La présence d'un certain repliement toxique, commun aux maladies amyloïdes en fait une cible attrayante pour des médicaments éventuels. En effet un médicament efficace présenterait toute une gamme d'applications. Une proportion croissante de la population vit jusqu'à un âge avancé et dès lors le coût de ces maladies liées de façon prédominante à l'âge ne fera qu'augmenter à la fois en termes de souffrance humaine et en termes de soins médicaux. Des médicaments qui peuvent maîtriser les symptômes des maladies amyloïdes constitueront dès lors une portion croissante du marché pharmaceutique.

Traduction par R. Montaigne d'un article paru dans le numéro du 18 mai 1998 de Chemistry & Industry

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