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Abstracts

Raphaël Goubet (Doctorant en information et communication COMU/ UCL / LLN)

Approche phénoménologique des savoirs informels

Dès ses débuts, la recherche en sciences cognitives a tenté de modéliser le savoir par l'abstraction de règles formelles supposées universelles. Conceptualisé sous l'influence de la métaphore de l'ordinateur, l'esprit apparaît aux cognitivistes comme la manipulation de symboles abstraits dépourvus en eux-mêmes de sens, selon les règles de la logique formelle. Le savoir est donc l'objet d'une description purement syntaxique. Forts de ce modèle, les pionniers de l'intelligence artificielle se mettent alors en quête d'un programme (ensemble d'instructions formelles) capable de mener un ordinateur (manipulateur formel) à des comportements intelligents.

Pourtant, très tôt apparaissent des difficultés, liées à un problème général : l'inscription de l'esprit dans un corps vécu et dans un environnement physique et humain. Hubert Dreyfus, s'inspirant de Heidegger, Merleau-Ponty et Wittgenstein, mènera ainsi une critique féroce du programme cognitiviste. Il montre que le savoir humain n'est pas réductible à des règles syntaxiques (ne peut donc être abstrait de sa sémantique intrinsèque, comme le montrera plus tard Searle), mais est au contraire fondé dans une connaissance intuitive du monde, ancrée dans une expérience corporelle (l'horizon husserlien) toujours située, et jamais descriptible par des règles. Ainsi, il écrit : "la chose importante à propos des compétences [humaines] est que, bien que la science requiert que les performances compétentes soient décrites selon des règles, ces règles ne doivent en aucun cas être impliquées dans la production des performances."Plus tard, avec son frère, il détaille un parcours de l'acquisition de compétences en cinq étapes, allant de l'usage de règles explicites (novice) à l'intégration intuitive de ces règles qui n'ont plus à être explicitement évoquées (expert).

Au bout du compte, comme l'écrit Michael Polanyi, autre référence de Dreyfus, "les règles de l'art peuvent être utiles, mais elles ne déterminent pas la pratique d'un art ; elles sont des maximes, qui peuvent servir de guide pour un art uniquement si elle peuvent être intégrées dans la connaissance pratique de l'art. Elles ne peuvent remplacer cette connaissance."

Je terminerai l'exposé par l'évocation de deux programmes contemporains en Intelligence Artificielle.

  1. Le projet CYC de Douglas Lenat prétend rencontrer la nécessité du sens commun par l'élaboration d'une base de données formelle reprenant l'ensemble des savoirs. Cependant, cette approche ne peut recréer la créativité d'un esprit humain doué de sensibilité et d'émotion dans des situations toujours nouvelles.
  2. Les robots de Rodney Brooks constituent une alternative prometteuse. Ces robots sont dépourvus de programme central, mais leur comportement émerge plutôt de la coordination de " couches " comportementales autonomes. Ainsi, le robot, incarné et situé dans un environnement réel, " énacte " (Varela) son propre sens commun au cours de son expérience singulière.Je conclurai en proposant que le sens commun, comme sens partagé du corps vécu (Merleau-Ponty), est au fondement de toute communication, un aspect que n'ont pu saisir les théories de la communication les plus importantes et d'inspiration sémio-pragmatique.

Mots-clés : phénoménologie, corps, expérience, intelligence artificielle, sens commun


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  Auteur: Pierre Fastrez — Modifications: Pierre Fastrez   
  Date de dernière modification: 09.03.2010