Prix Jean Sonnet 2005

Ama Contacts n°43
Raharison

Le jury composé des recteurs honoraires de l'UCL - Edouard Massaux, Pierre Macq et Marcel Crochet) -  du prorecteur pour les sciences médicales, J ean-François Denef,  du doyen de la Faculté de Médecine,  Jean-Jacques Rombouts,  d'Eugène Lebacq, ancien président de l'AMA-UCL,  de Michel Melange, professeur à l'UCL, et de Myriam Provost, médecin généraliste, a retenu le projet du docteur Andrianaina Raharison.

 

Projet de lutte contre l'épilepsie à Madagascar

Classé parmi les 10 pays les plus pauvres au monde, Madagascar possède 17 millions d'habitants dont  75% vivent en dessous du seuil de pauvreté avec un dollar par jour. Dans ce pays, la politique sanitaire est axée principalement sur la lutte contre le Sida, le paludisme, la tuberculose... mais également sur les diverses campagnes de vaccinations. Quant à l'épilepsie,  cette pathologie n'est même pas reprise dans les statistiques nationales des maladies essentielles enregistrées au Ministère de la Santé malgache.

L'OMS a  lancé depuis 2002, une campagne pour "Sortir de l'Ombre" les 50 millions d'épileptiques du monde entier. Dans un pays comme Madagascar, la Ligue Internationale Contre l'Epilepsie (ILAE) estime à au moins 2 % de la population, le nombre d'épileptiques dont les 2/3 seraient issus des plus démunis. L'épilepsie est une maladie liée à des troubles du fonctionnement électrique du cerveau, malheureusement la grande majorité des malgaches, intellectuels ou non, croient encore que cette affection est due à la sorcellerie, aux maléfices et qu'elle est autant contagieuse qu'incurable. Par ailleurs, le nombre insuffisant de spécialistes dans le domaine de la neurologie dans ce pays (moins d'une dizaine) rend encore plus difficile l'accès aux informations et aux soins par rapport à cette affection. Au coût élevé des consultations spécialisées vient s'ajouter celui d'un traitement au long cours, lui-même indispensable pour la prise en charge d'une telle maladie (jusqu'à 140.000 Ariary par mois par médicament,  soit 56,74 Euros).

Particulièrement convaincu de l'importance de la sensibilisation de la population par rapport à l'épilepsie en général et de la nécessité d'un soutien  moral et thérapeutique aux victimes de cette maladie, encore trop souvent mises en marge de la société, j'ai décidé avec l'aide de trois autres bénévoles de créer en 1997 (bien avant la campagne mondiale de l'OMS), l'Association Malgache pour l'Aide et l'Entraide des Epileptiques (AMAEE).  Cette Association, apolitique, laïque et sans but lucratif est agréée par le Ministère de la Santé de Madagascar et reconnue par le Ministère de la Population.  Elle est soutenue moralement par de nombreuses ONG (Handicap International, Médecins Sans Frontière ...) ainsi que par la représentation locale de l'OMS.  Cette dernière lui a offert des médicaments en 2002 et en 2004 mais par contre, depuis sa création, L'AMAEE n'a jamais bénéficié d'aucune aide financière concrète ni pérenne.

Cette association est à vocation humanitaire et s'occupe des patients épileptiques les plus défavorisés de ce pays. Par contre, à défaut d'infrastructure adéquate d'une part et pour mieux adapter et harmoniser l'organisation de cette prise en charge d'autre part, le Comité National de l'AMAEE a décidé dans un premier temps, de concentrer ses efforts dans une zone pilote: le Vème Arrondissement de la ville d'Antananarivo.  Pour une meilleure efficacité et pour intégrer les collectivités administratives locales dans le dynamisme de l'association, une collaboration étroite a toujours été mise en place avec les représentants locaux de la commune: les fokontany (1).  Le local de travail de l'association dans cette zone pilote, le Centre d'Education Sanitaire et de Soins des Epileptiques (CESSE - I ), a été ouvert depuis octobre 1999.  Chaque comité santé des 27 fokontany du Vème arrondissement est mis à contribution et tout patient voulant s'inscrire au CESSE  doit  se munir d'un certificat de résidence délivré par un responsable de son fokontany.

Les rôles techniques au sein de cette zone de travail sont assurés par le staff du CESSE -I (responsable administratif, médecins du centre, assistante sociale, responsable pharmacie). Par ailleurs, un collectif des patients contribue étroitement aux activités quotidiennes de son centre (accueil, inscription, aide pharmacie, nettoyage, ateliers...).  Ce collectif est formé par les patients et les familles de patients et dirigé par un bureau élu tous les ans sur un programme de travail pour l'année en cours.  La responsabilisation de ces membres est donc fondamentale non seulement pour le fonctionnement du centre mais surtout pour leur apprentissage en prévision d'une réinsertion sociale tant scolaire que professionnelle.

Le CESSE assure localement, l'accomplissement des objectifs de l'Association. A cet effet, sept domaines d'action ont été créés :

  1. La sensibilisation, sous forme de descente sur terrain (réunions d'information à divers endroits dans sa zone d'action, porte à porte, visite au domicile du patient membre ...), elle est donc réalisée avec la collaboration des comités santé des fokontany, des assistantes sociales et  des membres sélectionnés parmi le collectif  des patients.

  2. La réception et l'accueil au CESSE sont effectués à tour de rôle par les membres du collectif des patients.

  3. Les séances d'éducation : elles se font par les assistantes sociales ou les médecins, lors de l'attente aux consultations.

  4. Le dépistage, il est encore uniquement clinique et est réalisé par le médecin spécialiste. Les personnes dépistées viennent de leur propre initiative ou sont dirigées par les fokontany, voire par les agents de sensibilisation.  A l'issue du dépistage, le patient adhère au sein du collectif des patients.

  5. La pharmacie, lieu de distribution des médicaments ; mis à part la cotisation annuelle de 1000 Ariary soit 0,41 Euros, c'est la seule prestation qui nécessite une participation financière dans le cadre du CESSE. La somme de 600 Ariary ou 0,24 Euros, par semaine ou par mois est demandée selon le médicament prescrit par le médecin.

  6. Les consultations de contrôle sont réalisées par des médecins généralistes, qui prolongent  ou  modifient  le traitement déjà en cours.

  7. Les ateliers constituent les activités de réapprentissage à la socialisation et la pérennisation du centre (écriture, langue, cuisine, couture, broderie, art plastique...). Ils participent également à la préparation des activités lucratives de l'AMAEE  (décorations, différentes tenues...)

Cette relation de travail entre les responsables des collectivités (par le biais du Comité santé) et le C.E.S.S.E (par l'intermédiaire des assistants sociaux ou les responsables du collectif des patients) facilite et améliore le suivi de chaque patient dès son inscription au centre et tout au long de son traitement.  Tout problème au quotidien dans la vie de l'épileptique est transmis au CESSE et pris en charge en conséquence (maltraitance familiale, taquinerie du voisinage, exclusion de l'école ou du milieu professionnel, alcoolisme, irresponsabilité sociale, etc).

Malgré un diagnostic exclusivement clinique et un traitement chimique uniquement symptomatique (pour raison budgétaire et insuffisance de matériel), l'adoption par l'AMAEE d'un système de prise en charge personnalisée a favorisé une nette amélioration de l'état de santé de ses épileptiques.  Chez chacun des patients réguliers, il existe une augmentation de la confiance en soi et une meilleure prise de responsabilité tant au C.E.S.S.E que dans son milieu familial, voire professionnel.  Le fait de retrouver un certain "bien être personnel" favorise la maîtrise des émotions, ce qui forcément facilite l'équilibre individuel

Toujours est-il qu'après les six années d'existence du CESSE, les statistiques ont montré que le nombre de patients sans crises a progressivement diminué (75 % la première année et jusqu'à 63 % en 2004).  Il est vrai que de tels résultats, pour le peu d'investissement financier mis en jeu, restent malgré tout satisfaisants surtout comparativement aux chiffres obtenus dans certains centres européens.  Par contre, il faut préciser que même le nombre de patients inscrits a diminué car arrivé à 137 en 2002, il n'y avait plus que 38 en 2004.  Même si ce nombre a réaugmenté et que depuis cette dernière année, deux jeunes patients d'une vingtaine d'année sont même décédés des suites directes de crises d'épilepsie.  Ce sont les premiers décès connus par l'association depuis sa création.  En fait, toutes ces statistiques sont expliquées par la diminution incessante du pouvoir d'achat des malgaches, ce qui entraîne probablement davantage de négligence au niveau des soins des maladies en général et particulièrement celles qui sont chroniques comme l'épilepsie.  La preuve, chacune de ses deux victimes pré citées a été suivie au moins trois années consécutives au C.E.S.S.E.  Leur régularité a fini par leur valoir l'absence de crise.  Malheureusement, en l'absence d'un diagnostic étiologique et sans le traitement précis de cette cause de l'affection, cet arrêt des crises le plus souvent n'est que précaire.  En effet, ce dernier ne dépendrait que de la prise quotidienne et régulière du traitement.  Et pour les cas particuliers de ces deux patients, si l'un n'a point survécu à l'abandon familial et la désolation, l'autre a été vaincu par le chômage et le manque de moyen financier.

Il est clair que si l'AMAEE avait eu plus de moyens tant  financiers que matériels,  un certain nombre de diagnostic étiologique aurait pu être posé et un objectif thérapeutique plus précis aurait pu être mis en place chez la plupart des patients.  A ce moment là, il aurait été envisageable d'arrêter le traitement chez certain patient, sans systématiquement redouter une récidive de ses crises.  Dans ce cas, une réinsertion tant familiale que socio professionnelle serait nettement plus facile.  Avec beaucoup plus de moyens, l'association pourrait également prendre en charge beaucoup plus de malades et étendre sa zone d'action.  Par la même occasion,  il y aurait probablement moins d'abandon du suivi médical pour raison financière.

Ainsi, malgré tous les efforts déployés par le Comité National de l'Association Malgache pour l'Aide et l'Entraide des épileptiques, par manque de moyens et d'infrastructures, les résultats obtenus restent insatisfaisants !   Des malades sont toujours dans le désespoir, leur avenir est compromis et leurs vies sont même menacées !  Et dans un pays aussi vaste que Madagascar, à défaut d'information, de communication et devant l'insuffisance autant en qualité qu'en quantité des soins médicaux, trop de patients finissent encore entre les mains des guérisseurs et autres sorciers.  Suite à un tel échec, la médecine perd davantage de sa notoriété et de sa crédibilité.

Après huit ans d'expérience, dorénavant l'AMAEE a acquis suffisamment de maturité aussi bien dans son organisation que dans ses actions.  Elle a su utiliser la médecine spécialisée au profit de la médecine de masse. La collaboration entre le staff médical et les responsables des collectivités décentralisées pourrait même servir d'exemple dans la lutte contre toutes formes de maladies chroniques mais aussi endémiques.  Les différentes structures qu'elle a réussi à mettre en place et tout particulièrement cette responsabilisation des patients mériterait d'être davantage développée.  Par l'intermédiaire des ateliers, une dynamique volontaire et pérenne est en marche !   Désormais, cette énergie alimentera le moteur de l'Association et il suffirait d'un coup de pouce matériel et financier pour que la lutte contre l'épilepsie devienne une réalité nationale à Madagascar. Enfin, une reconnaissance tel ce Prix Jean Sonnet décerné le 6 novembre 2005 à son médecin fondateur par la prestigieuse Université Catholique de Louvain en Belgique ne peut être qu'un honneur pour l'association. Espérons qu'une telle attribution va davantage faire connaître l'AMAEE et lui ouvrir enfin une porte vers un financement digne de ce nom.  Ce jour là, cette association pourra enfin réaliser sa devise :

" Donner un sens à la vie des épileptiques et la joie de vivre au sein de leur famille "


Dr Andrianaina RAHARISON
Neurologue diplômé de l'UCL Belgique
Médecin du Centre de Diagnostic Neurologique de Tananarive
Président et Fondateur de L'Association Malgache pour l'Aide et l'Entraide des Epileptiques


ASSOCIATION  MALGACHE  POUR L'AIDE ET  L'ENTRAIDE  DES  EPILEPTIQUES
29, rue Rabezavana  Ambodifilao
Antananarivo 101
MADAGASCAR
Tel: (261-20) 22.630.46
Email : cdnm@malagasy.com


  1. Fokontany : Collectivité  locale =  Unité de référence exécutive tant Administrative que Sociale, dirigée par un président, lui-même  épaulé  par différents comités dont celui de la santé.

 

AMA-UCL Association des Médecins Alumni de l'Université catholique de Louvain

Avenue Emmanuel Mounier 52, Bte B1.52.15, 1200 Bruxelles

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