Allocution de Monsieur Jean-Jacques Viseur, président du Conseil d'administration Financement de lenseignement supérieur. La Belgique et la société de la connaissance : La comparaison avec le reste de l'Europe nous est défavorable. LUCL est une organisation vivante qui, en permanence doit améliorer son fonctionnement et ladapter à son environnement. Ainsi, le Conseil dAdministration a adopté un important règlement Celui-ci précise la composition et les missions du Conseil Rectoral, lexécutif de luniversité. Les missions des trois prorecteurs nommés par le pouvoir organisateur sont mieux définies. En outre, à linitiative du Recteur et après consultation du Conseil académique, le Conseil dAdministration peut nommer un à trois prorecteurs chargés de missions spécifiques. Ce règlement est une importante étape vers une gestion plus collégiale, plus lisible et plus efficace. La création de ladministration de lenseignement et de la formation et celle de ladministration de la communication et de la promotion complètent cette modernisation de nos structures. Le 19 juillet, le Conseil dAdministration a, sur proposition du Recteur, et après avis du Conseil Académique, désigné le premier prorecteur chargé de missions spécifiques. Il sagit du professeur Gabriel Ringlet. Il sera en charge des affaires wallonnes et Bruxelloises. Lancrage de lUCL en Wallonie et à Bruxelles nécessite un investissement important de lUniversité au service de ces régions. La coordination et le développement des actions de lUCL nous apparaissent essentielles. Le professeur Ringlet aura également en charge la politique culturelle de lUniversité. Depuis la Renaissance, luniversité a été le principal vecteur de la culture, à la fois conservatoire, pépinière, lieu dexpression et danalyse. En la matière, lUCL a une responsabilité particulière vis-à-vis des étudiants, de nos collaborateurs et aussi vis-à-vis de la population. Laula magna est, avec dautres lieux, un outil essentiel pour la culture et sa diffusion. La coordination de lanimation culturelle par lutilisation optimale de ces instruments sera une des tâches de Gabriel Ringlet de même que laffirmation et le développement de la politique culturelle de lUniversité en Wallonie et à Bruxelles. Mais il est une dimension qui demande un important investissement et à laquelle nous sommes très attachés. Cest lintégration de la dimension culturelle et artistique dans la formation de tous les étudiants. On ne répétera jamais assez que lUniversité forme des personnes et pas des outils de production. Sans la dimension culturelle et artistique il ny a pas de sens critique, il ny a pas de goût, il ny a pas de jugement. Chaque étudiant doit intégrer cette dimension dans sa formation, La culture libre et diverse est un des remparts majeurs de la démocratie. Sans son enracinement fort au sein des diplômés de lenseignement supérieur, la brèche est largement ouverte à la marchandisation de toute la société, au nivellement par le bas et à lémergence dun populisme dont nous pouvons mesurer dans des pays voisins lampleur des ravages. Au sein de notre communauté, Gabriel Ringlet a le talent, lénergie et la conviction nécessaires pour relever ce défi si important pour lavenir de nos étudiants et partant de la société de demain. Dans le courant de lannée, Philippe Defeyt a rejoint le Conseil dAdministration. Avant de mener la carrière politique que lon connaît, il fut longtemps un des piliers de lIRES. Notre université lui est familière et il sest demblée parfaitement intégré au Conseil. Mesdames, messieurs, Notre règlement organique assigne au Conseil dadministration la responsabilité de la gestion de luniversité. Nous arrêtons les décisions relatives aux budgets, aux comptes et aux moyens humains et matériels qui permettent à luniversité dassumer ses missions et assurent sa pérennité. Cette mission na jamais été aisée. Jusquà ce jour, le résultat 2001 en témoigne encore, nous avons pu atteindre un fragile boni. Demain, cependant, il sagira moins dune gestion de la disette que dune remise en cause de la nature et de la mission de lUniversité. Je ne veux pas apparaître dans le rôle éculé du président, poussant un cri dalarme rituel, exigeant quelques milliards dans lespoir darracher quelques dizaines de millions Mais je me dois de dire à tous que dans les prochaines décennies, en raison de linsuffisance chronique de leurs moyens financiers, nos universités pourraient être dépassées et reléguées par les principales universités européennes ou obligées de se soumettre au marché pour obtenir une augmentation déterminante de la part privée de leur financement. Entre médiocrité et privatisation cest bien de la sauvegarde de notre modèle universitaire quil sagit. Lespace européen denseignement supérieur Le commissaire européen Busquin a récemment souligné à quel point lEurope de la connaissance bouleverse le fonctionnement des universités. Je le cite : " Le développement du capitalisme académique est gros à la fois de promesses et de dérives potentielles. Il peut susciter des tensions et des disparités entre disciplines et facultés
Dans nos efforts pour promouvoir lexcellence scientifique, progressant comme un funambule sur le fil de la raison, ne risquons nous pas de privilégier lefficacité au détriment de léquité et dainsi transformer radicalement notre modèle européen de développement fait de liberté mais accompagné de légalité et de la solidarité sans laquelle il est difficile de répondre de manière convaincante à la question : Quest ce quune société juste ? ". Le développement de lespace européen universitaire induit une transformation radicale de lorganisation, du financement et du rayonnement des universités. LEurope des universités est brutalement devenue un quasi-marché avec ses règles et ses contraintes. Condition sine qua non pour exister et se développer dans ce quasi-marché : la nécessité de disposer de moyens suffisants en hommes, en équipements scientifiques et en argent. Face à cette exigence, on peut adopter trois attitudes. Soit on accepte purement et simplement les règles du marché. On privilégie les filières riches, porteuses de contrats de recherche. On sélectionne sur concours ou dossiers les meilleurs étudiants. On accepte la croissance sans limite des minervals et des financements privés. On abandonne la solidarité entre chercheurs et enseignants en instaurant, entre départements une vive concurrence récompensée par un écart important des revenus et des subventions des recherches. Ce modèle existe : cest celui de quelques grandes universités anglosaxonnes. Il produit chaque année des étudiants brillants, des chercheurs réputés et des prix Nobel. Mais il dualise lenseignement supérieur. Soit on nie le phénomène au nom de grands et beaux principes. La posture est tentante. Formidable progrès fait douverture et de développement, linternationalisation est aussi une menace réelle. Le danger dune marchandisation pure et simple de la formation est redoutable. Michel Molitor a bien décrit combien le processus de Bologne pouvait aboutir à renforcer dans lUniversité le registre de la rationalité instrumentale. Je le cite : " la rationalité instrumentale désigne la recherche de lefficacité et de la rationalité qui serait largement ou partiellement coupée de ses fins culturelles. A luniversité ce serait linstrumentalisation des savoirs comme la recherche dune amélioration des procédures pédagogiques qui ne saccompagnerait pas de questions ou de choix sur les finalités dune formation. Ces facteurs sont porteurs dun risque considérable : la banalisation ou la standardisation culturelle de luniversité ". Il est donc tentant de récuser ou de nier le processus de Bologne ou den réduire la portée ou les effets et de saccrocher à notre système, fait déquilibres géographiques, philosophiques et politiques, marqué par des compromis et solutions complexes à la belge. On peut se donner lillusion que Bologne ne bouleversera pas ces pesanteurs et que létranger est bien loin. Ce repli frileux nest pas réaliste. Il est dangereux car il noppose à la vague de marchandisation de la formation quune digue dérisoire qui sera rapidement emportée. Soit on intègre les règles du quasi-marché. On en accepte les dangers mais on utilise les avantages pour mieux défendre et imposer un modèle solidaire. Il faut alors supporter les nécessaires surcoûts sans lesquels il nest possible ni de se maintenir à flot ni de sauvegarder ses valeurs essentielles. Les pouvoirs publics mesurent-ils les conséquences organisationnelles, économiques et budgétaires de pareil défi ? On peut objectivement en douter. Derrière les déclarations sur lEurope de la connaissance, on perçoit une mobilisation insuffisante de moyens et une appréciation déficiente des enjeux et des contraintes. La première règle dans un quasi-marché est de se comparer aux concurrents qui, pour les universités belges, sont évidemment au-delà de nos frontières. Cest cette comparaison qui permet de mesurer les forces en présence et lintensité des efforts à accomplir. La comparaison avec le reste de lEurope nous est défavorable . 1-Dépenses déducation dans le PIB (union européenne) (annexe 2). 2-Dépenses déducation dans le PIB (hors union européenne) (annexe 3). La Belgique se situe donc à la 10ème place au sein de lUnion européenne et assez loin au sein des pays de lOCDE. Une augmentation significative de la part du PIB consacrée à léducation est donc vitale. Les accords de la Saint Polycarpe trouvent dans ces chiffres une justification évidente. Le refinancement des communautés était bien une condition indispensable à un nécessaire redéploiement. La marge est cependant très étroite. Le Budget de la communauté française est un budget axé sur lenseignement (annexe 4). Limportance des autres missions de la communauté française rend difficilement possible une augmentation de la part enseignement. La probabilité est, au contraire, de voir la part enseignement au sein du Budget refinancé de la communauté française légèrement diminuer. La part des dépenses affectées aux diverses formes denseignement a été marquée durant la dernière décennie (annexe 5) par un réinvestissement dans le fondamental et dans le secondaire au détriment de lenseignement universitaire. Ce réinvestissement, surtout dans le fondamental et dans lenseignement spécial était indispensable. Cependant, si le mouvement de la dernière décennie se poursuivait et si lenseignement universitaire ne voyait pas sa part augmenter, notre position concurrentielle par rapport aux pays de lunion européenne serait irrémédiablement compromise. La situation actuelle est en effet loin dêtre avantageuse pour les universités belges (annexe 6). Si nous atteignions lobjectif, au demeurant modeste de lui consacrer le même pourcentage de PIB que la moyenne de lOCDE, lenseignement supérieur disposerait, chaque année, en Communauté française de 300 millions deuros supplémentaires. Je voudrais, par ailleurs, relever 3 éléments propres à la communauté française qui font peser, à court terme, une lourde menace sur notre avenir Lévolution en Belgique de la part des crédits publics en R & D La comparaison entre la Belgique, lEurope et les autres pays développés est ici aussi défavorable (annexe 7). La dernière décennie a vu une croissance des dépenses trop faible (3,4 % en moyenne) par rapport au défi de la recherche mais la part flamande (annexe 8) a spectaculairement augmenté alors que stagnait lintervention de la communauté française et des régions wallonne et bruxelloise. Lincertitude quant au grand entretien et à la construction des bâtiments nécessaires aux activités denseignement et de recherche. La valeur de reconstruction du parc immobilier des universités de la C.F. est de 2 milliards deuros. Les besoins réels de grand entretien sétablissent au minimum à 1,5 % de cette valeur soit 30 millions deuros par an. Tout retard, toute incertitude quant au financement dégrade les outils, paralyse les plans dinvestissement et obère les budgets Par ailleurs, les demandes de constructions nouvelles sur tous les sites universitaires sont légitimes. Dans les cinq ans, une enveloppe de 250 millions ne serait pas déraisonnable mais 150 à 175 millions sont absolument indispensables. Des solutions sont possibles quant à létalement du financement mais tant en ce qui concerne le grand entretien que les constructions nouvelles, les universités ont besoin dengagements rapides et précis. La comparaison des carrières universitaires en Communauté française et à létranger. Il existe une réduction de lattraction des carrières universitaires en Europe. Les différences de rémunération entre secteur privé et université, laffaiblissement du respect et de lestime à légard des universitaires, labaissement de lEtat écartent de la carrière de nombreux diplômés brillants. La rareté engendre une concurrence exacerbée entre universités du continent. Il y a longtemps que le regard de nos chercheurs et de nos académiques se porte au-delà de nos frontières. Les échanges multiples, les moyens de communication et le réseau Internet rendent proches de nous les universités du monde. Les universités hollandaises, françaises, allemandes et anglaises, font partie de notre horizon journalier. Leuro permet à chacun de mesurer ce que chacun gagne en net. Langlais est devenu quasi la langue unique déchanges. Quant aux problèmes de logement et déducation des enfants, des solutions existent partout.. Beaucoup (et cest parfaitement légitime) sinterrogent sur lintérêt de faire tout ou partie de leur carrière dans une université étrangère. Même si les comparaisons restent aléatoires, on peut, sans se tromper, relever que, si, au départ, la rémunération dun assistant est chez nous légèrement moins favorable que chez nos voisins immédiats, lécart croît rapidement en raison de deux facteurs. Le premier cest laccès plus rapide, ailleurs, aux fonctions de chargé de cours, de professeur et de professeur ordinaire ou de titres équivalents. Le second cest la différence entre salaires net à mi-carrière et surtout en fin de carrière. Ainsi la France voit elle un professeur ordinaire (professeur de 1ère classe) bénéficier dun salaire net, après paiement des impôts et cotisations sociales, supérieur de 50 % à celui de son collègue louvaniste. LAllemagne a une rémunération de départ, une progression et une rémunération en fin de carrière encore supérieure à la France. A linstar de la Grande-Bretagne, des écarts importants de rémunération y apparaissent en fonction de lattractivité économique de certaines disciplines. Sans même faire référence à la Suisse qui dépasse de très loin tous les pays européens, linventaire détaillé auquel je me suis livré montre que le Royaume-uni, la France, la Suède, les Pays-bas, lAllemagne, lItalie et lEspagne offrent à leurs universitaires des carrières et des salaires nets plus intéressants que les nôtres. LEspagne a développé une politique déterminée améliorant très sensiblement la rémunération et la carrière universitaire, elle a endigué lexode de ses meilleurs éléments et réussi à ramener en Espagne plusieurs brillants universitaires. Quant aux étudiants, le marché verra les plus fortunés, les mieux avertis et donc les plus favorisés socialement faire leur choix, fut ce en payant des minervals très élevés. Bientôt, à linstar de ce qui se fait dans les pays anglosaxons, les meilleurs emplois proposés, à la sortie de luniversité seront offerts à ceux dont le parcours aura été en partie au moins accompli au sein duniversités riches et prestigieuses. Ces lourds handicaps sont dénoncés depuis longtemps par les Recteurs. Ils ont, à plusieurs reprises, stigmatisé la pauvreté du financement et labsence de prospective en passe de rendre les institutions universitaires incapables de répondre à la demande de la société et de faire face aux défis nouveaux que va induire le développement du processus de Bologne Ma conviction est quil est indispensable dengager le plus rapidement possible un vrai plan pluriannuel pour les universités qui leur donne les moyens dentrer et dagir dans lespace universitaire européen à armes égales avec nos voisins. Ce plan qui touche tous les niveaux de pouvoir, doit prendre en compte les besoins en bâtiments, la majoration des crédits R & D, les aides fiscales à lengagement de jeunes chercheurs, laccélération des carrières et le rattrapage des rémunérations. Ce premier volet oblige à une augmentation substantielle des subventions des pouvoirs publics qui est absolument nécessaire sous peine de renoncer à notre modèle denseignement supérieur. A défaut en effet, la nécessité de survie, la réputation et lambition de nos universités les obligeraient rapidement à se résigner à une logique marchande. Celle-ci permettrait sans doute de nous en sortir mais en renonçant à notre projet solidaire. Pareil effort ne peut cependant être demandé que sil saccompagne dune rationalisation importante de loffre universitaire. La solution me parait moins à cet égard devoir être cherchée, en tout cas à court et moyen terme, dans lhypothétique fusion des institutions que dans la détermination et lencouragement de pôles dexcellence que lon peut trouver chez chacun. Rationalisation et redistribution de loffre passent par une évaluation de la qualité et une régulation basées sur des évaluations transparentes, indépendantes et exemptes de toute arrière pensée partisane ou sous régionale. La création dune agence autonome dévaluation de la qualité des programmes denseignement supérieur est une bonne chose si elle sinscrit strictement dans la recommandation du Conseil de lUnion européenne et fonctionne dans des conditions semblables à celles qui existent, par exemple aux Pays-Bas. Il me parait aussi que cette réforme appelle une modification de notre mode de financement. Si celui-ci encourage la rationalisation et récompense les institutions qui sy prêtent, alors la concurrence se déplacera à la dimension de lEurope et chacun rassuré acceptera et soutiendra les pôles dexcellence développés au sein des autres universités de la Communauté. Mesdames, Messieurs, Le prix Nobel Joseph STIGLITZ a bien mis en évidence que la connaissance est un bien public pour lequel lefficacité optimale ne peut être atteinte lorsquon fait appel au seul marché et qui implique des mécanismes de régulation et des interventions publiques aussi importantes quindispensables. Antoine de Saint Exupéry a écrit : " Lavenir tu nas pas à le prévoir, tu as à le permettre " (annexe 9). Puisse notre société, en mobilisant des moyens suffisants, permettre lavenir dune société de la connaissance au service du progrès dans la liberté et la solidarité. Puisse notre société permettre cet avenir que nous essayons tous de forger au sein de notre université |